Gahié bat Posvite et Malonga bat Tcheumeo !

Clairement l’opposition du Grand Prix de Turquie de ce week-end n’était pas celle du Grand Prix d’Allemagne par exemple. Mais on ne va pas bouder son plaisir et la France, qui avait choisi d’investir le tournoi turc avec une grosse délégation, a écrasé la concurrence. Quatre titres, mais aussi deux finales franco-françaises, c’est un beau bilan qui sera, au moins, favorable sur le plan du classement mondial.
Une médaille d’or pour Teddy Riner, trois pour les jeunes Françaises, dont deux se payent le luxe de bousculer leur leader pas assez concernée, c’est un beau week-end pour le judo français.

Pinot revient fort

Première médaille d’or en -63 kg pour Margaux Pinot, une jeune combattante qui ne se laisse jamais enterrer trop longtemps. Elle semble trouver rapidement ses marques dans cette catégorie des -63 kg dans laquelle elle est redescendue récemment. Plus variée dans ses options techniques, plus dominante dans ses saisies, la Levaloisienne n’a pas marqué beaucoup (une seule marque en cinq combat), mais elle a contrôlé efficacement et battu des filles à la lisière du Top 20. Championne de France des -70 kg en novembre, la voici en passe de s’installer dans le sillage de Clarisse Agbegnenou en -63 kg comme c’était le cas en junior en 2010 et 2011 (année où elle l’avait même battue en finale du championnat de France junior). D’autant que Marielle Pruvost, qui s’était mise en valeur en Géorgie la semaine précédente, tombe cette fois d’entrée sur l’Autrichienne Drexler.

Finale 100% française en -70 kg et en -78 kg

Des performances, somme toute assez logiques dans la mesure où la catégorie des -70 kg ne présentait qu’une « top 10 », la solide, mais accessible Anglaise Sally Conway (n°6) et trois top 20, l’Espagnole Bernabeu (n°14), la Mongole Tsend-Ayush (n°17) et la Brésilienne Portela (n°19). La catégorie des -78 kg était sur le même registre avec l’Ukranienne Turks (n°11) et la Coréenne du Nord Sol (n°14). Pas de quoi effrayer a-priori Fanny-Estelle Posvite, n°11 mondiale en -70 kg, et encore moins Audrey Tcheumeo, n°2 mondiale en -78 kg. Ce n’est donc pas une surprise de les retrouver toutes les deux en finale, et pas tellement non plus qu’elles y soient opposés à leurs meilleures adversaires françaises, Marie-Eve Gahié (27e en -70 kg) – c’est elle qui fait la belle performance en battant Sally Conway aux pénalités – et Madeleine Malonga (11e en -78 kg).

Quatre pénalités en trente secondes pour Tcheumeo

Il est plus surprenant en revanche que ce soit à chaque fois les « challengers » qui dominent les leaders. À la fin d’un combat un peu confus, Posvite s’incline en effet devant sa cadette d’une pénalité et Audrey Tcheumeo, coutumière des « éclipses » dans certains de ses combats, rend l’une de ses prestations les plus étranges : Après avoir marqué un sumi-gaeshi tout en autorité et en confiance pour waza-ari, elle donnait quatre pénalités dans les quatre séquences suivantes : deux décrochages de saisie illicites, une sortie de tapis et un passage de tête en suivant. Une disqualification en trente secondes ! Du jamais vu peut-être. Même si ce n’est pas encore trop inquiétant à ce moment de sa préparation, ce sont quand même des signes donnés à ses adversaires qui s’en frottent les mains en imaginant déjà les pièges à lui tendre pour la battre sur ses points faibles sur le plant tactique et mental. Quant à Posvite, c’est sa deuxième finale de Grand Prix en une semaine, et elle rate l’occasion d’envoyer un message encore plus clair à Gévrise Emane et aux sélectionneurs nationaux… même si, comme ça, c’est déjà assez net. La bataille de Kazan entre les deux rivales sera très, très chaude.

Des adversaires pour Riner ?

Il faut revenir un peu sur la belle victoire de Teddy Riner en Turquie. Seul Français à s’imposer et à briller, il a encore une fois été éclatant en allant chercher, comme il en a pris l’habitude sur les tournois dont il fait désormais un espace d’entraînement, les ippons et les belles attitudes. Plus ouvert qu’en championnat, n’hésitant pas à faire durer pour profiter de la séance, mais concentré pour finir sur un geste décisif, il a régalé non seulement ses fans, mais aussi tous les amateurs de judo dans le monde, qui apprécie que le n°1 mondial des poids lourds soit aussi un beau technicien plein de judo dans ses appels souples, ses petits décalages, ses entrées fluides, précises et puissantes. 
Mais à l’approche des Jeux, on sent aussi monter la sève chez ses adversaires qui n’abdiquent pas aussi piteusement et aussi rapidement que d’habitude. Est-ce parce qu’il leur laisse plus de champ d’expression ? Sans aucun doute, mais on sent l’esprit de révolte s’exprimer et chacun à son idée, son mouvement, pour tenter de bousculer la statue du commandeur. 
Au premier tour, Juhan Mettis, 41e mondial (!) a été surprenant d’envie et de résistance, tentant de forts ko-soto-gari bien contrôlés par le Français avant de prendre o-soto-gari. L’Autrichien Allerstorfer (26e) a tenté o-uchi-gari avant de subir un bel enchaînement ashi-guruma / uchi-mata. Quant au Brésilien Moura (12e), vainqueur du Géorgien Okroashvili (7e), c’est au sol qu’il a tenté de trouver la solution, avant de subir un uki-waza conclu en osae-komi. Mais la palme de la révolte appartient au petit Géorgien Levani Matiashvili (11e), normalement n°2 chez lui, mais qui devrait être passé devant à cette occasion. Non seulement il bat le grand Brésilien Rafael Silva (13e et ancien n°1 mondial), mais il sort grandi d’un combat plein de culot mené contre le Français. indéracinable, il s’est appliqué à gêner la saisie de Teddy Riner pendant tout le combat, l’empêchant de poser sa main droite. Surtout, il a attaqué avec détermination en plaçant plusieurs fois sa hanche et son épaule, fixant même une courte seconde le géant tricolore dans son dos pour un seoi-nage debout qui a fait frémir tout le monde. Bref, une prestation remarquable, encore une fois mal récompensée par un arbitrage très en dessous de la situation. Mais là encore Teddy Riner a été, lui, à la hauteur en refusant que ce combat se termine sur les pénalités qu’il avait d’avance et en trouvant dans les toutes dernières secondes l’ouverture pour un magistral uchi-mata en chassant devant lui le bras défensif du Géorgien. Un très beau geste technique pour l’un des plus beaux combats de lourds qu’on ait vu depuis longtemps. Teddy Riner avait décidé de sortir un peu plus après sa finale d’Astana, il a bien raison, c’est magnifique à voir.
Tout serait joué pour Rio ? Quand on regarde ce que fait Teddy Riner, on peut se dire que oui. Mais quand ses adversaires refusent leur destin tracé, tout devient plus dangereux. Il va falloir rester concentré.