Malgré Buchard et Malonga, le compte n’y est pas

Le Masters de Saint-Pétersbourg nous apprend bien des choses, dont les quatre plus importantes sont sans doute celles-ci :
-Un Masters sans les meilleurs mondiaux, c’est dommage. Il manquait trop de leaders, trop de numéro un(e) pour que ce tournoi de la crème de la crème soit à la hauteur de la réputation qu’on voudrait qu’il ait. Au fil des années, le Masters n’a toujours pas vraiment trouvé sa place, signe que la modélisation voulue par la FIJ, sur l’imitation du tennis, n’a pas (encore) réussi à modifier les mentalités et les motivations. Le placer cette année à quelques semaines du grand tournoi de Tokyo, plus que jamais le tournoi de référence, n’était sans doute pas une très bonne idée.
-Sans le Japon, rien n’est pareil. Surtout si on prétend à l’excellence. Le Pays du Soleil Levant n’avait fait le déplacement qu’avec trois garçons et cinq filles. Le bilan ? Sept médailles pour ces huit engagés, six finales, quatre titres et le leadership des nations devant les vingt-sept russes, les dix-huit brésiliens, les quatorze Mongols ou les seize Français. 
-La France avait emmené six combattants masculins, dont ses deux vice-champions d’Europe 2017, Axel Clerget et Cyrille Maret, ainsi que son champion d’Europe 2016, Walide Khyar. Les six engagés perdent au premier tour, sans même rencontrer les grands leaders ni les futurs vainqueurs. C’est un signe clair du niveau auquel peut prétendre le judo de nos masculins dans les mois à venir sur les grands rendez-vous qui les attendent, et c’est inquiétant.
-Les féminines françaises étaient dix et, avec Clarisse Agbegnenou et Audrey Tcheumeo, avaient en leaders leurs deux chefs de file actuels. Le résultat final, cinq médailles pour deux finales, est apparemment positif et en vérité un peu trouble : pas de titre, notamment en -63kg, ce n’est pas bon, et les confrontations attendues qui tournent en la défaveur de nos représentantes montrent que l’adversité se renforce. 

Chez les féminines…

48kg : Tonaki, la Kondo bis

Mélanie Clément bat la Serbe Nikolic, cinquième mondiale, sur un uchi-mata tranquille, et c’est une belle performance car cette adversaire, qui a marqué beaucoup de points en 2017, s’était finalement hissée à la cinquième place du classement, mais elle n’est manifestement plus dans sa meilleure période. Elle est ensuite battue aux pénalités, au golden score par la décuple médaillée européenne hongroise Eva Csernoviczki. Une prestation à son niveau, qui montre qu’elle est de plus en plus difficile à prendre pour des filles de ce calibre, mais qu’elle ne parvient pas non plus à prendre le dessus. La combattante qui impressionne est la Russe Dolgova, finaliste en battant la n°1 mondiale, la Mongole Munkhbat, mais finalement dominée par la n°2 japonaise, la jeune Funa Tonaki, championne du monde et troisième à Tokyo, un tournoi emporté par Ami Kondo, la championne du monde 2014. La montée en puissance de la jeune Russe de 22 ans est nette, mais elle est finalement fixée au sol par la Japonaise après un long golden score. Le Japon possède désormais les deux meilleures mondiales dans la perspective de 2020, Kondo et Tonaki, 22 ans elles aussi.

-52kg : Buchard persiste et signe

Amandine Buchard en bronze était la bonne nouvelle de Tokyo pour les Français, elle insiste, persiste et signe à Saint-Pétersbourg, en se hissant en finale cette fois. C’est en battant la double médaillée mondiale brésilienne Erika Miranda sur un très joli étranglement de face dans la garde qu’elle s’offre cette finale, dans laquelle elle finira par s’incliner au golden score sur un petit ura-nage en contre, par celle qui l’avait déjà dominée aux championnats du monde, la Russe Kuziutina. Sa limite à l’heure actuelle. 

-57kg : Receveaux, c’est costaud

Une jeune espoir russe bien contrôlée, puis une mauvaise rencontre avec la Coréenne Kwon Youjeong, victorieuse de l’Open d’Asie, qui marque waza-ari au golden score, elle aussi sur un petit contre. Le parcours réussi d’Hélène Receveaux vient après : deux victoires pour la médaille, dont la première contre l’Allemande Stoll, vice-championne d’Europe, et la deuxième face à rien de moins que la Brésilienne Silva, championne olympique, sur un bel uchi-mata de jambe. Une belle performance là encore, même si la finale se joue à un niveau au-dessus entre les deux meilleures du classement mondial, la Mongole Dorjsuren, victorieuse du Grand Chelem d’Abou Dhabi, qui l’emporte sur la Japonaise Yoshida, victorieuse du Grand Chelem de Tokyo. Un remake de la finale des championnats du monde, mais qui ne se joue que sur une pénalité pour « fausse attaque » après sept minutes de combat. 

-63kg : Miku Tashiro domine Agbegnenou

C’est l’information la plus importante sans doute en ce qui nous concerne. Clarisse Agbegnenou n’avait jusque-là qu’une seule ennemie à sa hauteur sur la durée, et c’était la fameuse championne olympique slovène Trstenjak. Il y en a désormais une seconde : la Japonaise Miku Tashiro. Cinquième seulement des Jeux après avoir perdu d’un petit shido contre la Française, blessée ensuite, elle n’est revenue qu’après les championnats du monde (gagnés par Clarisse Agbegnenou), mais son come-back est éclatant : victoire à Tokyo en surclassant la Slovène, victoire au Masters après un combat formidable en demi-finale contre la Française, qui tenta tout pour la dominer, et qu’elle parvint à contrôler par un art consommé du kumikata. Concentrée sur le bras gauche de la force de frappe tricolore, elle finissait par la surprendre au bout près de neuf minutes sur un o-uchi-gari d’école. Bien sûr, c’était la reprise pour la Française et une défaite dans un combat pareil n’est pas du toute honteuse, mais l’information est claire, il faudra désormais compter avec cette Japonaise.

-70kg : Matic, une Européenne de plus…

Marie-Eve Gahié parvient à la médaille de bronze de ce Masters avec deux victoires, l’une contre la Marocaine et ex-Française Assmaa Niang, la seconde contre la championne de France (en son absence) Fanny-Estelle Posvite, qu’elle finit par dominer d’une pénalité. On est à deux doigts du match nul entre les deux meilleures Françaises de la catégorie, mais le leadership reste du côté de Gahié. Mais tandis que Posvite est battue par la Suédoise Bernholm, sixième mondiale, Gahié prenait deux waza-ari sur uchi-mata-gaeshi et sur sode de la Croate Barbara Matic. Une façon de se rappeler, pour la jeune espoir tricolore, qu’en plus de la Néerlandaise Sanne Van Dijke qui la bat aux championnats d’Europe, elle a une autre rivale au niveau continental : cette Croate de 22 ans, sur laquelle elle comptait déjà deux défaites en 2014 et 2015. Mais c’est la Brésilienne Maria Portela qui arrache en finale et la Croate et la victoire. Il y a du monde devant. 

-78kg : Tcheumeo disparaît, Malonga prend le relais

Depuis son titre européen 2017, la médaillée olympique Audrey Tcheumeo a un peu de mal à assurer son statut. Souvent blessée, souvent battue, notamment par des Européennes, privée de médaille mondiale, troisième tout de même à Tokyo, la voici à nouveau contestée, et par deux Néerlandaises. Marhinde Verkerk, championne du monde 2009 et médaillée 2015, la pousse au bout du golden score, en contrôlant son terrible bras droit sans baisser la tête. Plus surprenant, Karen Stevenson l’amène elle aussi à céder au golden score avec ses seoi-nage et obtient contre elle la médaille de bronze. Sale temps pour la championne française, d’autant que la n°1 mondiale est Guusje Steenhuis… une Néerlandaise. Intéressante en revanche la bonne dynamique actuelle de sa rivale Madeleine Malonga, championne de France, battue par Tcheumeo à Tokyo, mais pleine de feu dans ce Masters, avec notamment un formidable uchi-mata sur la Brésilienne Aguiar, la championne du monde en titre, et une autre très convaincante victoire sur la Cubaine Antomarchi, médaillée mondiale. Une rivalité pour de vraie est en train de s’installer. Néanmoins, en finale, c’est la Néerlandaise Verkerk qui règle la question par un seoi-nage malin. 

+78kg : Kim Minjeong, c’est confirmé

La Française Anne Fatoumata M’Bairo est souvent de sortie en cette période de transition, et peut s’honorer d’une médaille de bronze au Grand Prix de Croatie et d’une cinquième place à Tokyo. Cette fois, elle chute d’entrée, et par ippon, devant la n°2 brésilienne, tout juste sortie des championnats du monde juniors (où elle avait battue la Française Romane Dicko dans la compétition par équipes), la prometteuse Beatriz Souza. Mais cette jeune Brésilienne ne fait pas le poids en Russie contre la Coréenne Kim Minjeong, laquelle dispose aussi des leaders mondiales Ceric et Ortiz, la Bosniaque n°3 mondiale, et la double championne du monde et championne olympique cubaine. C’est confirmé, cette Coréenne est désormais l’une des meilleures mondiales, et un nouvel obstacle de taille pour les Françaises sur la route des médailles dans cette catégorie. 

Chez les masculins…

-60kg : Après Takato, Nagayama

Tandis que Walide Khyar était éliminé pour « non combativité » au golden score par le Russe Robert Mshvidobadze, champion d’Europe en titre, que Cédric Revol subissait sa troisième défaite de rang devant l’Espagnol Garrigos, champion d’Europe et du monde juniors 2014 (année où Revol était finaliste national derrière Khyar), c’est le Japonais Ryuju Nagayama qui refaisait surface en or, après sa victoire au Grand Chelem de Russie et sa troisième place à Tokyo, battu seulement par Takato. C’est l’Espagnol Garrigos qui était en finale, mais il prenait un ippon-seoi-nage impeccable de fluidité, le même que la plupart des adversaires de ce champion du monde juniors 2015, une nouvelle arme dans l’arsenal de ce technicien qui promet beaucoup, un nouveau talent d’exception dans la team nippone. Une bataille pour la sélection olympique – et le titre – est engagée. 

-66kg : Ganbold, un Mongol qui monte en gamme

Pas de Français engagé dans cette catégorie, et pour cause, ils n’ont pas le niveau requis… pas de Japonais non plus, et pourtant il y avait l’embarras du choix. Le vice-champion du monde Mikhail Puliaev était là, mais il se faisait jeter au sol comme un paquet de linge sale par l’étonnant Géorgien Margvelashivili, sur un geste ébouriffant. Dans cette catégorie ouverte, c’est le Mongol Kherlen Ganbold qui emporte son premier Masters après deux Grands Prix à son actif. Un outsider de 25 ans désormais seizième mondial. 

-73kg : L’hypothèse Hashimoto

On pensait qu’il allait retourner dans sa province avec son titre mondial en poche, le come-back d’Ono étant annoncé pour Tokyo. Mais si à Tokyo, Hashimoto n’a pas gagné, victime d’un arbitrage à forte valeur ajoutée du côté pénalité — son unique défaite depuis début 2016 (!) — Ono a montré qu’il n’était pas prêt à faire son retour. C’est donc Hashimoto, tenant du titre d’ailleurs, qui faisait ce Masters avec l’idée d’ajuster le tir. Mission accomplie dans un parcours souverain où son sode à une main et son tai-otoshi lui permirent d’écarter le Russe Iartcev, le rugueux Canadien Margelidon, le champion d’Europe azerbaïdjanais Heydarov et le médaillé olympique 2016 géorgien Shavdatuashvili. Une « démo » incroyable, avec à chaque fois le petit geste de sympathie pour relever l’adversaire incrusté dans le tapis. Dur pour les autres… De quoi aussi valider l’hypothèse de plus en plus probable d’un statut de n°1 pour les prochains championnats du monde. À voir si Ono a la motivation pour s’emparer d’un strapontin, ou s’il laisse une seconde année de suite l’emprise à Hashimoto. En tout cas un choc monumental en perspective pour la suite des événements. 
La France ? Pierre Duprat fait un combat solide sur l’Ouzbek Glyosjon Boboev, mais se fait marquer un waza-ari fatidique. 

-81kg : Chasse gardée russe

Impressionnante démonstration russe dans cette catégorie où le Japon, en l’absence de son champion du monde 2015 Nagase, n’a apparemment pas d’autres cartes fortes à jouer pour l’instant. Le champion olympique Khasan Khalmurzaev règle superbement la question et retrouve la victoire, une vieille amie car, hormis sa défaite inattendue aux championnats du monde devant l’Allemand Wieczerzak, il n’a pas perdu de combat depuis fin 2015 ! Il domine par o-soto-gari son compatriote champion d’Europe Alan Khubetsov au deuxième combat — lequel Khubetsov avait battu le Français Allardon par deux waza-ari au premier tour —, le Belge De Wit, puis un autre de ses compatriotes, le médaillé européen Lappinagov en finale, sur un très beau ko-uchi-gari. Une vraie démonstration de contrôle de la part du jumeau Khalmurzaev et de l’ensemble de l’armada russe. 

-90kg : Clerget n’a pas pu

Depuis son merveilleux championnat d’Europe, avec l’accumulation des blessures, ce sont les déconvenues qui s’accumulent aussi pour Axel Clerget. Des championnats du monde ratés et désormais une opportunité de faire des points qui s’envole par dessus l’épaule du Hongrois Toth. Désormais treizième mondial, lui qui fut dans le trio de tête l’année dernière, le Français aura tout de même la satisfaction d’avoir tenu son adversaire bien au-delà des quatre minutes. Il n’a pas dit son dernier mot.
Le champion de Tokyo, le brillant Kenta Nagasawa, semblait avoir fait le plus dur en projetant le frangin Khalmurzaev, Khusen, mais il est pris au jeu des pénalités par l’ancien champion du monde 2015 (et médaillé 2017), coréen Gwak, lequel allait s’empaler en finale sur le sumi-gaeshi de l’ogre géorgien Beka Gviniashvili, toujours 22 ans, et désormais vainqueur de son second Masters.

-100kg : Maret, deux de chute

Fallait-il aller faire les championnats du monde Open à Marrakech en novembre ? Battu aux championnats du monde, le médaillé de bronze de Rio avait pourtant gagné une précieuse médaille d’or au Grand Chelem d’Abou Dhabi en octobre, la première qu’il gagne hors de Paris. Le voici resté depuis sur deux échecs frustrants. À Marrakech contre le revenant russe Mikhaylin, à Saint-Pétersbourg contre le Russe Bisultanov, un combattant de qualité, mais rarement dominant dans les grandes occasions. Il surprenait pourtant joliment le leader français sur un enchaînement seoi-nage / eri-tai-otoshi. Il va falloir serrer le jeu dans les rendez-vous à venir pour Maret, d’autant que deux Européens se hissaient en finale, le jeune Néerlandais Michael Korrel, de plus en plus dangereux, et désormais… premier mondial suite à sa médaille de bronze à Tokyo, et le vieux guerrier géorgien Varlam Liparteliani, vice-champion olympique 2016 en -90kg, qui aura mis un peu plus d’un an à ajuster le tir en -100kg. C’est lui qui trouve là l’occasion d’emporter sa première grande victoire dans cette catégorie. Une mauvaise nouvelle pour ses adversaires. 

+100kg : Tushishvili vous salue bien

Traumatisé par sa défaite contre Riner à Marrakech le jeune Géorgien Tushishvili ? Apparemment pas trop. Il met ippon à tout le monde, et notamment les deux Brésiliens médaillés mondiaux, Silva en demie et Moura en finale. Comme un air de dire : « Teddy, si tu m’entends »…