Ancien du Pôle France de Strasbourg, photographe, directeur media pour la FIJ, ce combattant sincère et discret est au cœur du judo mondial. De sa vie de nomade menée dans le grand barnum du World Judo Tour, il propose aussi un regard sur le monde, s’arrête, prend le temps, parcourt les rues la nuit plus qu’il ne dort, partage et pousse avec sincérité des projets de solidarité. Un Tori qui trouve surtout son épanouissement à être un excellent Uke.

Un parcours atypique
« J’ai pratiqué le judo à bon niveau, fait des études scientifiques, travaillé dans l’industrie, aussi été cadre technique à la ligue d’Alsace, mais, surtout, je n’ai jamais eu de plan de carrière. Les choses se sont faites à l’instinct et cela me mène depuis quelques années à m’occuper des médias mais aussi du programme Judo For Peace à la FIJ. La photo, elle, ne m’a jamais quitté. Mon premier souvenir d’image remonte à l’âge de 5-6 ans. Nous sommes en vacances au Sénégal. Ma soeur a trois ans de plus que moi, elle a un automatique qui ne l’intéresse guère et je le récupère… pour ne plus jamais le lâcher. Depuis, j’ai appris à voir les choses à travers un appareil photo. J’ai bouffé des livres et des revues photos à la tonne, je me suis formé l’oeil. Cela a été une étape, ou plutôt des étapes successives indispensables. C’est devenu une passion. Je me suis acheté du matériel, au début avec des jobs d’été. En 1991, alors que j’étais encore athlète, j’ai fait une exposition pour payer un séjour au Japon et m’y entraîner. J’avais 18 ans. Cela m’avait rapporté autour de 1000 francs, une cagnotte qui avait servi à payer mon billet. À l’époque, ces expos étaient seulement connues de mon entourage, mais cela a créé un contact et m’a permis de faire des photos pour les villages Club Med à travers le monde, soit une quarantaine en tout, missionné et payé par une agence. »

Peace and judo
« Mon père (Bernard Messner, NDLR), qui était impliqué à la Fédération Internationale du Sport Universitaire, a fait lien avec cette fédération et c’est comme ça que j’ai débuté dans la photographie de sport. Pour être honnête, la toute première rencontre avec la FISU ne fut pas très concluante, mais, en avril 2001, pour l’Universiade d’été à Pékin, on m’a commandé un reportage sur l’avant et l’après-événement. J’ai travaillé pour eux jusqu’en 2009, lors des Universiades d’été et d’hiver, en couvrant près de quarante sports différents. Durant ces années, ma démarche a toujours été de faire de belles photos partout où je suis allé, ce qui est différent des podiums ou de l’exhaustif d’un reportage. J’ai aussi couvert le sommet de l’OTAN à Strasbourg, travaillé pour Kronenbourg, ADP… Cette passion de la photo a croisé, au début des années 2000, un projet solidaire de développement du judo au Burundi, monté avec mes parents et des amis. Le problème, à ce moment-là, c’est qu’un container, c’était 10 000€, une sacrée somme. Là encore, nous avons organisé une vente de photos, j’ai rencontré la FIJ et vous aussi, L’Esprit du Judo, à cette période. Je me suis retrouvé au coeur de ce qui me passionne : les projets solidaires et humanitaires, et la photo, qui m’a justement permis de montrer ce qui était fait sur place. Je suis entré à la FIJ à ce double titre : responsable média, mais aussi en charge du développement de la pratique du judo dans le monde, notamment à travers le programme Judo For Peace dans lequel la FIJ a massivement investi depuis plusieurs années. »

Un jour, une image
« Les voyages créent toutes ces opportunités de belles rencontres et de belles images. Je suis un privilégié et j’en ai conscience, même si c’est aussi au prix d’une vie de nomade qu’il faut accepter. J’ai encore pris cent quarante-deux vols différents en 2018, parcouru presque 350 000 km, soit plus de huit fois le tour de la terre… Ça permet de rencontrer du monde, de prendre conscience des autres, de la nature aussi. Je me suis donné comme objectif, depuis près de deux ans, de poster une belle image par jour. Je cherche à travailler le style pour donner envie de me suivre, de partager un univers. Douze à treize mille personnes me suivent sur Facebook, vingt-quatre mille sur Instagram… Ceci étant, l’image est un aspect de ce que je veux dire. J’y associe de plus en plus des mots : un texte ou simplement une légende, en français et en anglais. C’est aussi ce que l’on va retrouver dans mon livre, Voyages immobiles autour des tatamis du monde, qui est sorti en février. »

Leçons
« Parcourir le monde, même si je le suis déjà au départ par mon éducation, c’est devenir plus sensible encore à son environnement, à la protection de la planète, à la dimension sociale également. Toutes mes photos ne portent pas forcément un message. Parfois, c’est juste poétique : une forme, une couleur, une ambiance… Je veux simplement partager. C’est ce que je fais qui dicte ce qui va être publié, je me laisse porter par ce qui vient. En tant que photographe, on cherche toujours les conditions optimales, les bonnes lumières, mais j’essaie surtout de trouver un angle, je mets rarement en scène, je préfère l’instinctif, l’inattendu. La première idée, toujours à l’esprit, c’est qu’il y a toujours quelque chose de beau à montrer, que ce soit dans une favela au Brésil, un camp de réfugiés ou un township. Attention, beau, c’est différent de gai ou de joyeux. Ma photo du jour, ce n’est pas forcément celle qui est incroyable, celle du bout du monde. L’inconnu peut se trouver au bout de la rue, mais avec un angle différent, et là, le texte est très important. Après, je ne me pose pas en donneur de leçons, je veux juste proposer ma vision du monde. »

Dans cinq ans
« Je vis entre Strasbourg, ma ville, même si j’y suis de moins en moins présent, le grand nord norvégien à la nature splendide qui offre notamment des aurores boréales incroyables, qui m’a adopté et que j’ai adopté… et le reste du monde. C’est une vie de voyages, de découvertes surtout, avec la chance de vivre les grands événements, proche de l’émotion des champions, dans leurs victoires comme dans les moments de doute, de défaite. C’est un privilège. Surtout, le judo n’est pas une clé, c’est un trousseau de clés pour ouvrir les portes des dojos du monde, et au-delà de ça, un moyen de pénétrer, sans effraction, dans l’âme de l’humanité. Je continue à voyager avec mon judogi dans la valise. J’aime à penser qu’il y a mille façons de faire du judo et ce n’est pas nécessairement en faisant de la compétition. L’avenir ? C’est une question que je ne me suis jamais posée. En général, je préfère me dire : ‘‘il y a cinq ans, est-ce que je me serais imaginé là à répondre aux questions de L’Esprit du Judo ?’’ Certainement non. Je veux continuer à partager et à créer. Cela peut revêtir tant de formes. Quant à la photo que j’aimerais faire ? Celle que je n’ai pas faite, celle de demain ! »

Propos recueillis par Olivier Remy. Photos : Aurélien Brandenburger