Chiel Willems, Christophe Massina, Francesco Bruyere, Shani Hershko, membres de la commission Coaches de l’UEJ.
Crédit photo : Tino Maric/UEJ

Ce week-end se tenait à Gyor (Hongrie) le séminaire annuel d’arbitrage organisé par l’Union Européenne de Judo (UEJ). Un symposium où étaient présents les arbitres du circuit international – dont Mathieu Bataille et Olivier Desroses, la commission d’arbitrage de l’UEJ, mais aussi celle de la Fédération Internationale de Judo (FIJ) et la très grande majorité des entraîneurs des équipes du circuit mondial. Pour la France, outre deux personnalités de la commission nationale d’arbitrage (CNA), Christian Dyot et Jean-Louis Preslier, étaient présents Bastien Puget – directeur technique national adjoint en charge du haut niveau, Baptiste Leroy pour l’équipe masculine et Christophe Massina pour l’équipe féminine, ce dernier étant, depuis l’année dernière, membre de la commission des entraîneurs au sein de l’UEJ. Un groupe de huit personnes dont le coordinateur est Shany Hershko, responsable de l’équipe féminine israélienne. Cette commission a présenté ses travaux samedi en fin d’après-midi… Et c’est peu dire qu’ils mirent mal à l’aise et/ou irritèrent certains membres de la FIJ selon nos informations.
Des statistiques ont ainsi été compilées sur l’année 2023 qui portent sur dix Grands Chelems, quatre Grands Prix, un Masters, un championnat du monde senior et un junior soit 8547 combats.
Premières données : 57% des combats sont gagnés l’ont été par ippon, 22% par sogo-gachi (un waza-ari d’un côté, pas de valeur de l’autre), 19% par hansokumake et 2% par kiken-gachi. 61% des victoires ont lieu avant la fin du temps réglementaire, 15% à la fin du temps réglementaire et 24% au golden score. Une donnée intéressante : la durée moyenne d’un golden score est de deux minutes et huit secondes.
Des premières informations vite éclipsées par ce qui allait être le coeur de cette analyse quantitative expliquée par l’Italien Francesco Bruyere : les pénalités. Une thématique qui allait retenir particulièrement l’attention de la salle, pour son côté vertigineux. En effet, il a été annoncé que, sur les 8547 combats, 16 624 shidos furent attribués ! Les combats sans aucune pénalité distribuée représentent seulement 24% du nombre total. Ce qui signifie que 76% des combats (trois-quarts donc) ont vu au moins un shido distribué. 5,7% des combats se sont terminés à cinq pénalités, 14% à quatre pénalités, 18% à trois pénalités, 19% à deux pénalités.
85% des pénalités concernent l’attitude, 13% le kumikata et 2% la mise en danger de l’intégrité physique.
Quelles sont les pénalités les plus distribuées ? Le refus de combattre (ou passivité) arrive très largement en tête avec 6 536 shidos, soit 46% des shidos concernant l’attitude, devant le refus de saisie à 26,6% et les fausses attaques à 13,7%.
Dans ce tableau très complet, les sorties de tapis sont au nombre de 823 pour seulement… 6 « pushing out », soit le fait de pousser son adversaire en dehors du carré. Une mise en comparaison sur laquelle Francesco Bruyere resta plusieurs minutes durant sa présentation, critiquant, en creux, l’analyse de ce type d’action par la commission d’arbitrage de la FIJ à la vue d’une telle disproportion entre sortie de tapis et pushing. Shany Hersko allait dans le même sens quelques secondes plus tard, forçant le trait volontairement en disant en substance : « Je vais être honnête. Comme beaucoup des coaches présents, je joue avec le règlement.. Connaissant ces statistiques, je dis à mes athlètes de cadrer leur adversaire en bordure et de pousser fort, car elles n’auront quasiment aucune chance d’être sanctionnées pour pushing. C’est comme jouer au casino. Vous êtes sûr de gagner. Évidemment, je préférerais que mes combattantes gagnent avec un judo positif. Mais je dois tenir compte du contexte. » Une démonstration qui mettait immédiatement mal à l’aise Laszlo Toth, le président de l’UEJ assis à côté d’Hershko. Même démonstration entre l’attitude défensive et la garde outrancière où la seconde n’est quasiment jamais sanctionnée (seulement vingt-sept shidos sur l’année).
Pour les hansokumake via trois shidos, 54% sont donnés suite à une pénalité pour refus de combattre, qui occupe de très loin la première place.
51% des hansokumake directs ont été infligés, eux, pour « diving ». Une stat’ qui écrase toutes les autres raisons comme le fait de provoquer une hyperextension du coude en nage-waza (seulement 16%), pourtant deuxième cause d’hansokumake direct.
Parmi les compétitions de l’année 2023 où il y eut le plus de pénalités : le Grand Chelem de Bakou, d’Astana et… celui de Paris. La moins pénalisée ? Les championnats du monde juniors d’Odivelas. Une culture tactique moins affirmée chez les moins de vingt ans explique en grande partie cette donnée.
Au niveau de la distribution des pénalités dans le temps, les graphiques actent ce que tous les spectateurs savent : 3500 pénalités données la première minute, 5000 lors de la deuxième. Puis une chute ascensionnelle : 3500 la troisième, 2500 la quatrième, 1000 la cinquième, 500 la sixième puis un nombre très négligeable ensuite. Là encore, Shany Hershko mettait avec sa franchise, les pieds dans le plat : « Je connais la position de la commission d’arbitrage qui est de dire : pénalisons très rapidement les combattants pour “ouvrir” le combat. Seulement la réalité statistique, je le crains, ne confirme pas du toute cela puisqu’en fait on assiste bien plus à la recherche d’une troisième pénalité qu’à une recherche de projection et d’un judo positif. » Francesco Bruyere ajoutait que la pénalité pour refus de saisie au bout de quelques secondes envoyait un message négatif aux pratiquants et spectateurs, symbole d’un sport devenu celui des pénalités.
Alors que la discussion se lançait avec la salle, Laszlo Toth, le président de l’UEJ reprenait la main de manière subtile et diplomatique, expliquant que ces statistiques seraient très utiles pour l’après JO de Paris et qu’il y avait également une commission d’athlètes qui aurait son mot à dire. Une manière habile de mettre fin à une démonstration objective et critique – même si elle était plutôt feutrée – qui rejoint ce que, à L’Esprit du Judo, nous analysions encore dans notre n°106 : le judo est objectivement devenu un sport de pénalisation et de restriction bien plus que de valorisation.