Troisième volet de notre reportage
Ils ont souvent un palmarès qui comptent, au minimum, un titre de champion du monde. Et ont laissé l’image de judokas au style pur et traditionnel, ADN du judo à Tenri.
Voici donc les professeurs actuels (et passés) qui ont fait (et font encore) aussi la réputation de l’université du Kansai.
Takamasa Anai. Crédit photo : Thomas Rouquette
Takamasa ANAI
Kantoku (entraîneur en chef)
Champion du monde en 2010
3è aux championnats du monde 2009
Vainqueur du Zen Nihon 2009 et 2013
Si ce poste lui était un jour destiné, il en a assumé les fonctions beaucoup plus vite que prévu.
La raison ? Le scandale Ono, qui éclate fin 2013.
Rappel des faits : quelques mois après 1er titre mondial éblouissant obtenu à Rio, Shohei Ono, 4è année et capitaine de Tenri est accusé par un étudiant de 1è année d’avoir avalisé et participé à une « expédition punitive » avec d’autres 4è années contre lui et quelques autres 1è années, les « sempai » estimant que leur « kohai » en faisait un minimum sur le tatami.
Dénonciation est faite à la présidence de l’université, alors que le judo nippon fait la Une des journaux à propos des maltraitances au sein de l’équipe féminine et constitue, selon les dires du ministre des sports de l’époque, « le plus gros scandale du sport japonais ».
On pouvait difficilement faire pire au niveau du timing.
Sans attendre, Shozo Fujii démissionne de son poste de responsable du club de judo, Saburo Tosa, nouveau kantoku, redevient assistant, Ono est déchu de de son titre de capitaine et suspendu et le club de judo est fermé pour un mois !
C’est dans ce contexte d’ébranlement qu’Anai Sensei prend les commandes.
Champion du monde en 2010, battu assez piteusement à Londres, ce judoka « made in Tenri » au talent incroyable mais plombé par un mental parfois fragile et une concurrence hors norme (Kosei Inoue et Keiji Suzuki), Takamasa Anai comprend tout de suite que les méthodes qu’il a connu comme étudiant, sous la férule de son mentor Shinichi Shinohara, ne peuvent plus avoir cours sur le tatami de Tenri, particulièrement réputée pour sa dureté.
Ainsi, a-t-il banni toute forme de violence sur le tapis et au dortoir.
Autre changement notable : l’empathie dont il fait preuve. Anai aime se balader sur le tapis, demander des nouvelles des blessés, donner des conseils (avec parfois démonstration à l’appui), discuter avec le capitaine (lequel lui propose l’organisation de l’entraînement et qu’il validera ou non) et punit l’attitude condescendante des garçons vis-à-vis des filles comme il n’a pas hésité à le faire il y a deux semaines.
En effet, une judokate invite un garçon qui lui fait comprendre par un dédaigneux geste de la main qu’il n’a aucune envie de faire randori avec elle.
Par habitude, la fille court chercher un autre garçon. Une scène qui fait réagir immédiatement Anai qui, après lui avoir expliqué le fond de sa pensée, enjoint au judoka de prendre ses affaires et de « dégager ».
Shinji Hosokawa. Crédit Photo : EJU
Shinji HOSOKAWA
Champion olympique en 1984
Champion du monde en 1985
2è aux Championnats du monde 1987
3è au Jeux olympiques en 1988
Shinji Hosokawa ou le « grand » petit bonhomme de Tenri.
Polyglotte (il parle couramment français et anglais), longtemps membre du staff national, désormais membre important de la fédération japonaise et internationale, à l’humour truculent, mentor de Tadahiro Nomura, Shinji Hosokawa est un Monsieur du judo japonais actuel. Fin connaisseur du judo français qu’il est venu étudier une année, il est depuis l’interlocuteur principal du secteur « Formation » de la Fédération française de judo à propos du stage organisé annuellement au Japon pour les professeurs tricolores.
De plus en plus rare sur le tapis de Tenri du fait de ses obligations multiples, il fait l’objet d’une crainte très respectueuse des étudiants liée à son statut de plus ancien prof sur le tatami et une attitude mêlant silence absolu et regard qui en disent parfois long…
Yoshimi Masaki, 2è en partant de la gauche. Crédit photo : Arnaud Carrard
Yoshimi MASAKI
Champion du monde 1985
Vainqueur du Zen Nihon 1986 et 1987
Masaki Sensei, c’est le professeur que vous verrez assis sur une chaise à côté du tapis des lourds donner quelques conseils très précis de sa voix rauque et couvrir du regard son fils, Seigo (voir article sur les judokas), tout en lui ne passant rien et exigeant de lui encore plus que les autres.
Spécialiste des mouvements de jambe, Yoshimi Masaki est celui qui enseigne aussi les katas aux judokas…sauf le Goshin-jutsu considéré comme le kata « des voyous ». Un apprentissage obligatoire dans le cadre de leurs études. Un cas rare dans les clubs de judo universitaires au Japon.
Saburo Tosa donnant des conseils. Crédit photo : Thomas Rouquette
Saburo TOSA
Membre de l’une des familles les plus respectées de Tenri (le nom Tosa est cité dans le livre sacré de la religion du Tenrikyo), ce judoka dût arrêter la pratique quotidienne du judo au lycée puis à l’université à cause d’un problème au coeur. Nommé professeur assistant par l’université, les étudiants, pour le décrire utilisent presque tous le même adjectif, « majime », littéralement « sérieux » mais qu’on traduira plutôt par « dur », « très exigeant ».
Souriant très rarement (sauf quand il fait randori avec les filles), Saburo Tosa donne l’image de la sévérité faite homme, restant la majorité de l’entraînement en position de seiza, sans que cela ne lui cause visiblement la moindre douleur.
Un des « personnages » de Tenri qui revient de manière récurrente dans les récits faits par les Français venus s’éprouver sur le tapis de l’université.
Les anciens professeurs célèbres
Sensei YAMAMOTO (Kim Ih Tae)
Yamamoto Sensei, en compagnie de Shinji Hosokawa. Crédit photo : Patrick Vial
Yamamoto Sensei montre l’un de ses spéciaux. Crédit photo : Patrick Vial
Le combat entre Isao Okano et Kim Ih Tae lors des JO 1964
3è aux JO de 1964
3è aux championnats du monde 1965
Né au Japon dans une famille nord-coréenne, le futur Yamamoto Sensei fait ses classes à Tenri.
3è aux JO de Tokyo en 1964 où il sera battu par Isao Okano, 3è aux championnats du monde de Rio en 1965 où il sera également battu par Okano malgré une mise en danger très forte sur un seoi-nage. Spécialiste des balayages, ce coréen prendra le nom japonais de Yamamoto. Après avoir enseigné quelques annéesà Nagoya, il deviendra Kantoku de Tenri.
Très dur, il avait pour habitude de se balader durant tout l’entraînement avec une fine baquette de bois qui lui servait à corriger (dans les deux sens du terme !) les étudiants !
Matsumoto Sensei, en haut à gauche. Crédit photo : Patrick Vial
Yasuichi MATSUMOTO
Champion du Japon en 1948, 3è en 1950 et 1953
Voici une photo rare et précieuse. En haut à gauche, Matsumoto Yasuichi. En dessous de lui, Isao Okano, assistant à Tenri et « guide » de l’équipe de France (nous sommes alors en 1968). A ses côtés, Patrick Vial, médaillé olympique en 1976 et médaillé européen en 1969, l’un des meilleurs connaisseurs de l’université japonaise au sein du judo français (Retrouvez ici son portfolio consacré à Tenri : http://www.lespritdujudo.com/actualites/les-inedits-du-mag-edj-55-tenri-vu-par-patrick-vial)
Matsumoto donc. Un nom légendaire à Tenri.
Terrible sensei durant les années 1950/1960, les pionniers français au Japon auront l’honneur de voir à l’œuvre celui qui fut l’entraîneur du Japon lors des JO de 1964, et qui suite à la défaite d’Akio Kaminaga en finale des lourds contre Anton Geesink, se rasa la tête le lendemain en signe de contrition pour cette défaite aux allures d’humiliation nationale.
Anton Geesink, qui s’entraînait au Japon à …Tenri (il y avait d’ailleurs une maison, toujours visible d’ailleurs). Cruelle ironie de l’Histoire.
Une anecdote contée par Patrick Vial, qui résume le personnage :
« Lors du footing que l’on faisait près du cimetière de Tenri, il y avait une grande côte avec en son milieu un virage. Il se tenait là et quand le dernier passait il se prenait un bon coup de bambou (mais pas pour nous les Français !). Les Japonais nous demandaient donc de freiner, mais comme nous étions meilleurs à la course, on fonçait ! Alors l’après midi sur le tatami « on prenait cher »( il faut rappeler qu’en 1968, c’était « la guerre » sur le tapis !) mais c’était un petit plaisir que de les faire bastonner par le senseï. Et lors d’un test match (nous avions perdu sur toutes les universités de Tokyo contre des 4è années qui étaient en moyenne 10 kilos plus lourds que nous !) Tenri avait joué le jeu en nous opposant des 1è et 2è années et au poids ! Nous les avons battu. Ensuite, nous n’avons pas eu accès au vestiaire car Matsumoto les avait alignés à genoux et les frappait avec son shinaï. Et le lendemain tous la boule à zéro !! Je ne vous dis pas la séance ensuite !!!! »
Shozo FUJII
4 fois champion du monde (1971, 1973, 1975, 1979)
Ce fut l’un des combattants les plus éblouissants des années 1970 avec son morote-seoi-nage et son yoko-tomoe-nage.
Très apprécié et respecté en France, Shozo Fujii, qui fut l’un des meilleurs arbitres du monde (après avoir donc été l’un des meilleurs judokas), s’est longtemps occupé des filles à Tenri.
Très exigeant, ces dernières en faisaient souvent plus que les garçons sous l’oeil attentif et sévère du sensei. Alors que l’entraînement était terminé pour les judokas, les filles, elles, enquillaient les nage-komi en file indienne, montée de cordes et renforcement musculaire.
Malheureusement, Shozo Fujii quittera Tenri sur une polémique. Président du club de judo lors du scandale Ono, il présentera immédiatement sa démission de la présidence, comme de ses fonctions au sein de la fédération japonaise.