Kelmendi redouble, Ebinuma triple !
Ebinuma – Zantaraya, un combat d’anthologie en -66 kg / Emmanuel Charlot – L’Esprit du Judo
Deux catégories seulement par jour, et pourtant, c’est étrange, mais on a l’impression que les journées sont plus remplies que d’habitude. C’est sans doute parce qu’on a le temps de bien regarder les combats, et que ces combats sont pour la plupart excellents, certains mêmes extraordinaires. C’est que les arbitres, comme on l’a déjà dit (mais il faut le répéter), ayant décidé de retrouver la bonne posture, les combattants sont immédiatement au cœur du sujet. Extraordinaire, voire même un peu plus, comme ce duel de virtuoses entre le Japonais Ebinuma, double champion du monde en titre, et le formidable showman ukrainien Zantaraya. Avec son visage séraphique et son air gracile, l’élégant samourai nippon contraste avec le style bouche ouverte et attaques foudroyantes du pirate slave. Mais ce sont deux des plus grands combattants du monde et ils ont décidé de faire ensemble l’un des plus grands combats de la décennie, un de ces affrontements où plus rien ne compte que les séquences « amazing » qui se succèdent, les attaques précises et presque précieuses du sublime technicien japonais se combinant parfaitement avec les défenses hollywoodiennes du cascadeur de Kiev, champion du monde en 2009, médaillé en 2010, 2011, 2013 et désormais 2014. Respect tout de même… Un combat entre deux géants de 66 kg moins deux bons litres de sueur qui aurait pu tourner au combat de légende si la jeune arbitre coincée sur le tapis avec ces deux-là n’avait pas décidé de donner elle-même un vainqueur, une première tentative d’abord en balançant une pénalité à l’Ukrainien à quinze secondes du terme, que celui-ci eut le talent et la lucidité de faire immédiatement compenser en mettant le Japonais à genoux, une seconde fois après une minute et demi de golden score, comme si il fallait absolument intervenir ici, entre eux, et donner une fin à cet affrontement d’anthologie. Mais quand on a trop bien intégré la crainte de se faire sermonner pour un combat qui se prolonge, on ne mesure peut-être plus qu’on participe à un grand moment.
Masashi Ebinuma, déjà trois fois champion du monde… à 24 ans
Ebinuma a été désigné vainqueur, et logiquement, d’un combat qu’il avait dominé largement, ce qui lui a permis d’aller mettre une touche finale magistrale à son triplé mondial, série en cours à seulement 24 ans, en catapultant sur uchi-mata – un mouvement qu’il n’avait pas sorti de la journée – le phénoménal russe Mikhail Pulyaev, finaliste attendu, mais largement battu, comme son camarade Beslan Mudranov la veille. Une belle fin pour une belle compétition des -66 kg, impressionnante de niveau et ultra spectaculaire, dans laquelle on a eu le plaisir de retrouver un Rishod Sobirov en forme, vainqueur de l’un des favoris, le Brésilien Chibana. L’Ouzbek avait été l’un des grands -60 kg de l’olympiade précédente avec deux médailles olympiques et deux titres mondiaux, il semble tout doucement commencer à trouver ses marques en -66 kg.
Loic Korval, champion d’Europe en titre, finit au pied du podium… / Emmanuel Charlot – L’Esprit du Judo
Loic Korval, volé ?
Pour les Français, la catégorie a été grande, aussi, grâce à Loic Korval. Si le champion d’Europe en titre, médaillé mondial en 2010, finit 5e de cette confrontation mondiale, on peut être déçu pour lui, mais en aucun cas déçu de sa prestation. Le tableau lui a offert une montée en puissance tranquille, qu’il a exploité pour montrer qu’il est capable de gestes étourdissants comme ce ashi-guruma en cercle qu’il exécute en se jetant dans les airs comme une tornade humaine. En surclassant l’excellent Biélorusse Shershan, médaillé européen cette année, en projetant Sobirov comme un enfant sur un o-soto-otoshi « à la Korval » le Français est passé ensuite dans la dimension supérieure, en plus de parvenir en demi-finale. Si à la reprise, comme ses camarades de la veille, il a paru un soupçon moins maître du jeu, il avait tout de même à faire au double champion du monde Ebinuma, lequel ne dût finalement sa victoire qu’à la prudente gestion de deux shido d’avance. Quant à la place de trois contre le second Russe du jour, Kamal Khan-Magomedov et ses formidables sode-tsuri-komi-goshi, même si on peut ne pas être fan de sa façon véhémente et systématique de protester contre l’arbitrage, même si on peut considérer que son attitude n’est pas exemplaire à ce niveau, même si c’est à distance donc, on peut suivre Loic Korval quand il s’estime lésé par un arbitrage « à la maison » sur ce combat en particulier. Dès la première action le Français parvint en effet à surpasser un contre du Russe et l’amenait à se dérouler sur le dos, action dont on peut discuter la validité ou pas, mais qui ne sembla pas valoir la peine d’une analyse au ralenti, contrairement au contre de seoi-nage lancé par le Russe en fin de combat, qui allait lui apporter un yuko décisif de la table, et la victoire. L’arbitre étant le même que celui qui officiait la veille pour le combat Takato – Mudranov si proche du scandale et qui avait mis le ver dans le fruit… on peut se demander si il était bien raisonnable de l’exposer deux fois à la même situation à gérer. Khan-Magomedov n’a pas volé sa victoire, ni Mudranov la sienne la veille, mais ces deux combats rappellent opportunément que le retour très bien venu d’un arbitrage « dans l’esprit » doit s’accompagner d’une intégrité scrupuleuse de ce corps arbitral à nouveau responsable, d’une capacité à l’hermétisme absolu en ce qui concerne toutes les pressions diffuses qui peuvent influencer un jugement. Ne pas pouvoir douter de la justice du jugement est la première des garanties. Quoiqu’on puisse en dire, la chute du champion du monde en titre la veille face au combattant du pays restera comme une ombre portée sur ce formidable championnat du monde.
Jusqu’où ira la Kosovar ?
Bredouille la France aujourd’hui car Priscilla Gneto n’est pas parvenu à se hisser au niveau d’une catégorie des -52 kg acérée, laminée finalement par la déjà championne du monde kosovar Kelmendji. Plus vite, plus fort, plus dur, le judo de Kelmendi a touché – coulé la Russe Kyuzutina qui avait pourtant placé un merveilleux mouvement de hanche à la Japonaise Hashimoto, la Cubaine Bermoy qui en a pourtant vu d’autres depuis son titre mondial 2005 et ses quatre finales mondiales et olympiques en 2007, 2008, 2009 et 2012. Jeté sur un uchi-mata intimidant, manifestement elle n’est plus de taille, comme aucune de ces adversaires d’ailleurs. Le phénomène Kelmendi, tout juste 23 ans et déjà double championne du monde, prend son plein volume. Combien de temps va-t-il durer ?
Le Japon en tête, mais pas trop
Le Japon caracole en tête, selon l’expression, avec déjà deux titres. Mais si l’on compare avec 2013, l’exceptionnel Masashi Ebinuma réédite certes son exploit, mais Yuki Hashimoto perd sa médaille de bronze et le second atout nippon en -66 kg, Kengo Takaichi, s’arrête au pied du podium sur lequel était monté Masaaki Fukuoka.
La Russie se montre très pressante chez elle, avec trois médailles aujourd’hui pour deux catégories, quatre médailles en deux jours, déjà deux finalistes masculins sur deux catégories… mais ne parvient pas à attraper l’or, le métal qui départagera les nations samedi, alors qu’elle a déjà joué deux de ses meilleurs cartes.
Nous saurons dès demain si il faut compter sur l’équipe de France, 8e à l’heure actuelle avec son unique médaille de bronze, pour se battre pour la première place des nations. La médaillée olympique 2012 Priscilla Gneto trop « en dedans » pour se mesurer à la catégorie, c’est sans doute le premier signe négatif donné par cette équipe tricolore en deux jours. Mais rappelons que la France n’avait pas emporté de médaille mondiale dans les deux catégories légères féminines depuis 2009 avec Frédérique Jossinet – c’était chose faite hier avec Amandine Buchard, nouvelle venue au palmarès, et que la dernière médaille masculine dans ces deux catégories légères date de 2010… avec Loic Korval.
Les Français, c’est maintenant
Sauf Alexandre Iddir (-90 kg), sur le podium européen tout de même cette année, et la jeune Fanny Estelle Posvite (-70 kg), finaliste du tournoi de Paris, tous les titulaires français qui vont se présenter maintenant pour défendre leurs chances et les couleurs nationales sont dans les cinq premiers mondiaux, récents médaillés mondiaux ou olympiques, au pire champion d’Europe pour Emilie Andeol en +78 kg. La deuxième -63 kg sélectionnée, Anne-Laure Bellard est 6e mondiale. Les forces françaises s’engagent pleinement dans la bataille à partir de ce mercredi. Il n’y a plus qu’à assumer.