Forcément, comment ne pas parler de Maxime Ngayap Hambou après cette sublime médaille ? Tous les journaux et les réseaux vont s’en emparer, du moins de sa médaille, mais il n’est pas impossible que je sois la seule à vous dire que j’ai pleuré en voyant son quart de finale gagné… Mon voisin me surprend :
– Tu pleures encore ?
– Mais oui ! Tu ne vois pas comme il a tout donné pour gagner ?
– Il faut que tu arrêtes, c’est du haut niveau, c’est normal de tout donner.
– Je n’y peux rien, ça m’émeut. Les p’tits nouveaux qui font des prouesses me font pleurer et je suis amoureuse des légendes qui battent des records.
Quand j’y réfléchis, ça a sa logique : si je n’ai jamais été ni l’un ni l’autre, j’ai bien été cette petite fille qui en rêvait en rentrant du dojo le soir, déjà fière de porter une ceinture orange. Alors j’imagine que Maxime m’a emmenée, le temps d’une journée, dans ce joli pays, celui des rêves oubliés depuis longtemps.
– Alors attends un peu avant de pleurer car ce ne sont que les quarts de finale : il a gagné un combat, mais pas la bataille !
– Mais ce n’est pas sa victoire qui me fait pleurer, c’est le fait qu’il l’arrache in extremis… Qu’il ait pris tous ces risques, qu’il se soit donné sans retenue.
Avec le judo de Maxime, les shido pour non-attaque ne tombent pas vite : il est vif, audacieux, ce n’est pas forcément propre, le timing n’est pas toujours le bon mais il ne fait pas semblant, il ose. Et alors qu’à chaque fois, il frôle la chute fatidique, il ne semble pas freiné pour autant. Un peu comme un enfant qui n’a pas conscience des dangers et qui se lance la tête la première tout sourire… Je me suis demandée si, ne serait-ce qu’en randori, j’osais autant attaquer. Ai-je cet esprit, presque innocent, de tout donner dans mes attaques sans craindre aucune conséquence ? Suis-je relâchée à ce point pour lancer tout mon corps sans aucune inhibition ?
– Ça oui, il a pris des risques, il devra faire attention contre Murao, ça pourrait lui coûter cher.
– Il ne tremble devant aucun cador de sa catégorie : il donne même l’impression que ça lui fait plaisir de se confronter aux plus grands aujourd’hui ! Moi, je pense que c’est un atout de son côté face à Murao…
Dans sa fougue décomplexée et pas très raisonnable parfois, il pourrait justement avoir le geste nécessaire pour surprendre un Japonais aussi posé que potentiellement meurtrier. Ou pas. Mais j’ai hâte, quelle que soit l’issue parce que je sais que ce sera un beau combat. Mon voisin a alors commencé à rentrer dans le débat de ce qu’est le « beau judo ». On n’est jamais vraiment d’accord et pour être honnête, il m’arrive régulièrement d’esquiver cette discussion qui me paraît sans fin. Un moine au Japon m’a récemment appris que le mondo devait se pratiquer comme le randori parce qu’il avait les mêmes vertus : progresser soi-même (dans la réflexion et l’expression) et rencontrer l’autre, donc améliorer la société elle aussi. Je me suis alors prêtée au jeu de ce « mondo-randori » en rentrant dans ce grand débat sur ce qui serait du « beau judo » avec mon voisin et je suis arrivée à cette drôle d’interrogation : ce « beau judo » ne serait-il pas tout simplement celui que l’on pratique sans inhibition parce que l’on a pour seul guide, à ce moment-là, ce plaisir naturel, instinctif, que l’on avait enfant, au judo comme ailleurs ?
Quelques heures plus tard, je me demandais donc à quoi rêvait Maxime, ce « p’tit nouveau » qui ne l’était désormais plus, dans ce beau survêtement blanc orné d’une médaille olympique. Ce qui me renvoyait peut-être à mes propres interrogations. Et vous ?