Retour en or pour Romane Dicko. Crédit photo : Tamara Kulumbegashvili/IJF
La Géorgie était en embuscade derrière la France, qui n’avait pas su enfoncer le clou la veille malgré les podiums de Clarisse Agbegnenou et de Manon Deketer. La Russie avait les moyens de finir fort avec deux médailles d’or, ce qu’elle ne fut pas loin de faire avec la finale de sa grande (au sens propre et au sens figuré) espoir Elis Startseva, médaillée sur tous les grands chelems où elle fut engagée depuis le début de l’année 2024 en +78kg, et le triomphe de son fabuleux poids lourd Inal Tasoev. Victorieux de ses trois dernières sorties, notamment le championnat d’Europe 2024, ce fantastique combattant est quasiment en démonstration à chaque fois – une véritable exhibition de judo qui fait toujours un bien fou – et même le saignant Géorgien Guram Tushishvili en finale, en pleine forme depuis son retour de suspension (liée à son comportement face à Teddy Riner aux Jeux olympiques) et sortant d’une victoire en Autriche quinze jours auparavant, ne put que limiter les dégâts. Il ne concéda en effet qu’un yuko sur une séquence ébouriffante du Russe : confusion avant-arrière enchaînée avec un mouvement d’épaule super précis. Inal Tasoev a beau être un point lourd, il est l’un des techniciens les plus séduisants du moment, peut-être le plus « judo total » de tous.
La France devait donc finir en force, ce qu’elle sut faire, et même au-delà.
Dicko ne tremble pas
On attendait bien sûr le retour de l’olympienne Romane Dicko, avec la même interrogation que pour Buchard, Cysique ou Agbegnenou : le niveau de forme. La partition a été bonne pour notre meilleure +78kg, peut-être aiguillonnée par les résultats contrastés de ses camarades et la menace encore lointaine, mais tout de même, d’une opposition naissante avec les jeunes Grace-Esther Mienandi-Lahou et Celia Cancan, finalistes en Autriche. Efficace sur ses trois premiers tours, elle avait un véritable test en finale, la grande Russe qu’on voit monter depuis un moment, et victorieuse sur une erreur au sol au tour précédent de la Française Julia Tolofua. Plus grande au point de faire paraître la Française petite, accrocheuse et bien entraînée, dangereuse dans ses attaques de jambe et ses sutemi façon yoko-guruma, Elis Startseva était presque intimidante face à notre médaillée olympique… pendant quarante-cinq secondes exactement, le temps que cette dernière ne parvienne à monter la main très haut pour l’enrouler et la fixer au sol. Du travail bien fait et la seconde Marseillaise pour les Françaises, Romane Dicko rejoignant le clan fermé d’Amandine Buchard, celui des médaillées d’or sur ce Grand Chelem, son huitième en cinq ans… exactement comme Amandine Buchard, qui a atteint ce chiffre en six ans. Avec Julia Tolofua en bronze, mais aussi une excellente Fanny-Estelle Posvite en -78kg, le bilan des féminines sur ce dernier jour permettait à la France de revenir de la Géorgie avec le statut de première nation, ce qui n’est jamais anodin. Annoncée en semi-retraite à la sortie de son titre national, mais déjà troisième à Paris, Fanny-Estelle Posvite, réédite à Tbilissi, seulement victime d’une faute d’inattention qui lui valait un petit contre face à l’étonnante Colombienne Brenda Olaya, vingt ans et toute récente championne du monde juniors. Cette dernière en profitait pour se hisser en finale avec un autre petit hold-up contre la médaillée olympique portugaise Patricia Sampaio qu’elle fixait au sol par inadvertance. La Colombie a peut-être trouvé celle qui relèvera le flambeau de la triple championne du monde et double médaillée olympique (en -70kg), Yuri Alvear.
Alexis Mathieu, la taille patron
Pour la France, la bonne journée ne s’arrêtait pas à la réussite attendue (espérée) de son élite féminine. Après le titre magnifique de Luka Mkheidze en -60kg le premier jour, qui répondait à la pression de sa « concurrence », le petit prince de Paris (mais licencié à Boulogne-Billancourt) Romain Valadier Picard, après les cinquièmes places de Joan-Benjamin Gaba en -73kg – auteur d’un combat dantesque contre l’ancien champion olympique géorgien Lasha Shavdatuashvili – et d’Arnaud Aregba en -81kg – encore une concurrence bienvenue qui s’installe dans la catégorie avec l’habituel titulaire Alpha Oumar Djalo – on attendait le dernier représentant masculin français engagé, Alexis Mathieu en -90kg. Excellent à Paris, il se hissait à un niveau encore supérieur ce dimanche, s’offrant au passage le « top 10 » brésilien Rafael Macedo sur un contre après esquive dont il a le secret. À l’aise avec le nouveau règlement qui pondère un peu les adversaires ultra-tactiques et lui permet de placer ses mains comme il l’entend, souvent en garde unilatérale revers – manche, pour placer des sode très véloces et des o-soto-gari tranchants, il est terrible pour prendre toutes les occasions de contre et s’affirme de plus en plus comme un des gros dangers de la catégorie. Arrivé en finale, il découpait proprement avec deux yuko le combattant imprévu du jour, un total inconnu ouzbek qui faisait son premier grand tournoi à vingt-cinq ans, Umar Borozov… avant de concéder un waza-ari sur la « spéciale » de l’ex-Iranien Mollaei, le passage de tête sous l’aisselle pour jeter derrière soi. Il le « scotchait » quelques secondes plus tard sur un admirable « ippon-ko’ »… mais avec un bras coupable traînant sur une jambe. Dommage encore une fois, c’était un très joli geste de judo. Alexis Mathieu rate de façon frustrante l’occasion de devenir… le premier vainqueur français d’un Grand Chelem dans cette catégorie (le dernier vainqueur tricolore d’un tournoi majeur tricolore en -90kg étant Axel Clerget en 2019 au Grand Prix d’Israël et 2016 au Kazakhstan, après Alexandre Iddir en 2014 au Grand Prix d’Ouzbékistan, et Matthieu Daffreville en 2009 à Paris !), mais il engrange tout de même une deuxième médaille de suite à ce niveau et revient lui aussi à hauteur du titulaire actuel, le médaillé olympique Maxime-Gael Ngayap Hambou.
Arrivée en force en Géorgie, avec notamment la présence constante du président Nomis et de la responsable du haut-niveau Frédérique Jossinet dans les tribunes, mais surtout avec beaucoup de ses leaders sur le tapis, la France s’est rassurée avec six finales pour trois titres face à une opposition loin d’être négligeable. Elle peut aussi cocher une étape intéressante sur son tableau de marche vers Los Angeles, visant à renforcer une équipe masculine de plus en plus consistante sur le plan collectif, et à trouver chez les féminines le regain d’énergie de celles qui tiennent le haut du pavé depuis deux olympiades… et, à défaut, celles qui peuvent les faire oublier dans les quatre ans qui viennent.