
Crédit photo : Carlos Ferreira
Le succès tout frais de l’épreuve par équipes mixtes aura le mérite à la fois de clore de très belle manière cet événement, tout en prouvant que le collectif français dans cette tranche d’âge prouve une nouvelle fois qu’il est l’un des plus beaux atouts de notre judo et de notre système.
Une fin joyeuse après trois jours de compétition individuelle, sans Israël – pour des raisons évidentes -, sans l’Ukraine qui boycotte le retour plein et entier de la Biélorussie et avec équipe d’Allemagne réduite aux acquêts mais pas sans talent. Pour quel bilan ? Un sillon fait de satisfactions pérennes mais aussi, et peut-être surtout, d’interrogations profondes.
Quatrième place
La France finit donc à la quatrième place de ces championnats d’Europe avec six médailles : une d’or pour Emma Feuillet-Nguimgo (JC Villiers-le-Bel) en +70kg, trois d’argent pour Alice Lopez (Dojos de l’Agglomération du Niortais 79) en -52kg, Audrey Guenneuges (Sainte-Geneviève Sports Judo) en -63kg – qui n’était pas même remplaçante lors de la publication de la sélection – et Astan Sacko (Budokan Deuil) en +70kg dans une finale franco-française, et deux de bronze pour Chloé Jean (Budokan Deuil) en -63kg et Titouan Lucas (Bayeux Bessin Judo) en -55kg.
Une quatrième place derrière l’intouchable Russie, l’Azerbaïdjan, et ses terribles légers, et la Géorgie qui, comme à Budapest chez les seniors, prend un titre chez les féminines, en -70kg. Une quatrième place comme en 2019 et 2021, bien mieux que la onzième place de l’année dernière, mais moins bien qu’en 2023 et 2022 (meilleure nation).
La Russie, qui aura débuté doucement avant de réaliser une deuxième journée hors norme. Un vendredi, et cela n’a pas échappé à certains observateurs, où elle fut un bourreau sans aucune pitié pour la France. Huit duels franco/russe pour un résultat effrayant : sept victoires à une pour la Russie. Seule Alice Lopez, en demi-finale, bat Polina Furman avant de céder en finale face à l’autre combattante de l’équipe de Téa Donguzashvili.
Le groupe de Mikhail Puliaev, nouveau responsable de cette équipe cadette, qui empile pas moins de quatorze médailles : quatre d’or, quatre d’argent et six de bronze !
Si on entre dans le détail, les premières questions affleurent et de nouvelles tendances apparaissent : les féminines Françaises terminent à la troisième place derrière les Russes et les Turques. Elles qui avaient terminé meilleure nation féminine en 2013, 2016, 2018, 2022, 2023, avaient dégringolé à la huitième place en 2024, l’absence de titre étant rédhibitoire pour se hisser haut au classement.
Cette fois-ci se sont les Russes qui terminent première nation féminine, se classant une deuxième fois consécutivement devant la France. L’année dernière, les combattantes du nouveau responsable du judo russe, Vitali Makarov, avaient remporté quatre médailles, dont un titre. Cette semaine, elles sont à six médailles, dont trois titres ! Une performance jamais vue et même historique, puisque ce sont elles qui permettent à leur pays de finir première nation. Pas sûr que beaucoup auraient parié sur cela il y a encore deux ans. Car, s’il était arrivé que les féminines de ce pays terminent devant les Françaises, cela relevait de l’exception. Rien n’est bien sûr joué, mais cette tendance à une montée en puissance significative du judo féminin de ce pays, depuis son retour sur le circuit, ne doit pas du tout être ignorée. La Russie semble avoir mis les bouchées doubles sur son groupe féminin et ce n’est pas une bonne nouvelle pour la France.
De même, le travail effectué par la Géorgie sur ses filles doit être pris en compte en ce début d’olympiade. Il y a bien sûr le premier titre mondial féminine d’Eteri Liparteliani en -57kg, époustouflante à Budapest. À Skopje, le pays à la Croix de Saint-Georges obtient le premier titre cadet féminin depuis 2017 pour un total de deux médailles, dont une dans une catégorie des équipes mixtes, ce qui n’était pas arrivé depuis 2016.
Avec cinq médailles, le bilan comptable est bon pour nos féminines. Deux d’entre elles sont remportées dans la catégorie des +70kg. Une catégorie bénie pour notre pays qui profite de talents variés et innombrables. Une contre-performance en revanche pour Lucie Rullier, tête de série n° 1 et championne du monde en titre. Très sollicitée ces dernières semaines, a-t-elle manqué de jus ? Quoi qu’il en soit, rendez-vous est pris à Sofia, fin août, pour aller chercher un second titre et clore de la plus belle des manières ses années cadettes.
Trois fois dans les cinq meilleurs nations en 15 ans
Chez les masculins, en revanche, le bât blesse. Une seule médaille de bronze, qui place la France à une dixième place, comme en 2023. Un bilan d’une unique médaille identique à 2024 où les garçons avaient fini à la onzième place. 2019 reste la meilleure performance masculine cadette tricolore depuis plus de quinze ans avec les deux titres des ACBB Boys, Romain Valadier-Picard et Kenny Livèze. Ce qui n’avait tout de même pas suffi pour être meilleure nation chez les garçons. 2022 restera, elle, comme une excellente cuvée avec une quatrième place (un titre, deux médailles d’argent, une de bronze). Mais sinon ? Les statistiques sont implacables : l’équipe masculine a terminé dans les cinq meilleures nations masculins seulement trois fois depuis 2010 : en 2014, 2019 et 2022.
Elle a fini à la dixième place ou au-delà en 2010, 2016, 2017, 2019, 2023 et 2024. Pire, en 2013, 2015 et 2018, celle-ci revient totalement bredouille de cet événement.
Une corrélation cadets/seniors qui prend de l’épaisseur
Comment expliquer de tels résultats pour un pays qui compte cette saison près de 34 400 cadets dont 24 350 masculins, un système reconnu — et même souvent envié — pour son remarquable maillage (26 pôles espoir et 2 CREJ), la qualité et le nombre de ses structures d’entraînement et son organisation rodée ?
La question se pose : comment expliquer un tel hiatus entre l’un des trois grands systèmes d’organisation de masse dans le monde (avec le Japon et la Russie) et des performances dont l’efficience pourrait, devrait être meilleure ? Une problématique qui court depuis très — trop ? — longtemps, mais dont l’absence de mise à l’agenda peut trouver des explications multiples.
La première, désormais très largement démentie par les statistiques, tient dans l’idée que le judo serait un sport à maturité tardive.
La seconde a pour argument de dire que certains pays de l’Est, de par leur culture, imposent des charges de travail ou ont une approche de cette catégorie d’âge bien plus exigeante et dure qu’en France. À voir.
La dernière, enfin, argue qu’être fort en cadets n’est pas forcément synonyme d’une trajectoire de performance rectiligne jusqu’en seniors. L’exemple de notre nouveau champion du monde, Joan-Benjamin Gaba, en témoignerait. Troisième des championnats de France cadets 2018, notre formidable -73kg ne sera pas le titulaire aux championnats d’Europe de 2018 (c’est Robin Garbe qui le sera).
Un exemple légitime, mais qui ne doit pas servir de cache-sexe à une dynamique souterraine qui se fait de plus en plus claire : être médaillé sur les championnats internationaux cadets est désormais une case à cocher pour atteindre le très haut niveau. Ainsi, si l’on ne prend que les championnes du monde 2025 : Assunta Scutto, Eteri Liparteliani et Hayun Kim ont été sacrées championnes continentales cadettes. Alice Bellandi a remporté le bronze, alors qu’Uta Abe, la surdouée, remportait les championnats du monde juniors en étant cadette troisième année. Chez les masculins, les Russes Arbuzov, Kanikovskiy et Tasoev sont tous champions d’Europe cadets alors que Ryuju Nagayama a été champion du monde en 2011. Des Russes, sous l’impulsion d’Ezio Gamba, qui ont très vite observé et intégré cette vérité cachée pour construire des dynamiques ascendantes (Bliev, Igolnikov, Bashaev sont également médaillés continentaux) chez ses masculins. Si maintenant, ces derniers arrivent à le faire pour son groupe féminin, il y a de quoi frémir…
Le coup d’accélérateur mis par plusieurs pays pour faire émerger des générations féminines performantes – dès les cadets serait-on tenter de dire (le recrutement par l’Azerbaïdjan d’Amina Abdellatif en est une preuve) -, la corrélation toujours plus forte entre podiums internationaux cadets et seniors. Deux sujets de réflexion systémiques, dont le premier a été évoqué sans détour par Frédérique Jossinet au sortir des championnats du monde seniors et que ce début d’olympiade a le mérite de mettre devant nos yeux.