Yamanashi Gakuin et Tokai gardent leur titre
Evènement majeur du calendrier du judo nippon, les championnats universitaires par équipes toutes catégories se tenaient ce week-end au Nippon Budokan (bientôt fermé pour rénovation en vue des JO de 2020). Une compétition où croiser un champion du monde ou olympique relève de la normalité, où l’ambiance est sans conteste la plus chaude des événements judo organisés dans l’Archipel, où la tactique joue un rôle fondamental, et où ce sont toujours les mêmes qui gagnent à la fin. Retour en cinq points sur ce week-end qui s’est conclu sur une finale masculine incroyable entre l’université de Tokai et de Tsukuba.
1) Tout comprendre à la compétition
-Les équipes masculines sont composées de sept combattants. Chez les féminines, il y a en fait deux compétitions : une pour les équipes de cinq combattantes et une pour les équipes de trois combattantes (une règle instaurée depuis 1998). Pour cette dernière et la compétition masculine c’est simple : peu importe le poids du judoka ! Pour la compétition féminine de cinq, les deux premières judokates doivent peser au maximum 57kg, la troisième et la quatrième au maximum 70kg et la cinquième peut peser n’importe quel poids.
-Il n’y a pas de repêchages.
-Le samedi, c’est les filles, même si se déroule le premier tour de la compétition masculine. Le dimanche est consacré exclusivement aux garçons.
-Contrairement aux compétitions internationales et françaises, le « hikiwake » (combat nul) est toujours en place. Ce qui a pour conséquence fondamentale de laisser une place passionnante à la tactique. Exemple ? Faire match nul contre une pièce maîtresse de l’équipe ou conserver l’avantage du score lors du septième combat. Une tactique utilisée deux fois avec succès par l’université de Tenri en 1/8e de finale contre Nichidai (l’université coachée par Jun Konno, le responsable du haut-niveau nippon) et en quarts de finale contre Nittai-dai.
-La composition d’équipe est souvent de cet ordre : un très bon combattant en premier, pour bien lancer la machine ou au pire faire match nul, un autre combattant très fort en quatrième place pour assommer l’adversaire ou revenir dans le jeu et un très costaud en dernier si le résultat est à préserver ou pour aller chercher une victoire impérative.
-L’arbitrage est un mixe, assez convaincant, d’ancien et de nouveau. Il y a toujours trois arbitres sur le tapis. Mais si, sur une valeur ou une pénalité il n’y a pas d’accord au sein du trio, l’arbitre central se concerte avec un arbitre « vidéo » qui a le dernier mot. Rarement utilisée lors du week-end (les décisions à trois sont à 90% suffisantes), le combat ne subit pas ces interruptions interminables, parfois même à contre-temps complet, qui marquent désormais trop souvent les combats sur le circuit international.
-Le tableaux sont faits en fonction des résultats de l’année précédente avec, donc, des têtes de série.
2) Yamanashi Gakuin et Tokai toujours n°1
Les chiffres sont saisissants : avec sa victoire hier chez les masculins, Tokai (l’université de Yasuhiro Yamashita, Kosei Inoue, Naohisa Takato, Mashu Baker, Aaron Wolf ou Soichi Hashimoto) glâne son 23e titre national et aligne désormais une treizième finale d’affilée !
Une machine à gagner. Moins « rouleau compresseur » que les années précédentes, l’équipe coachée par un homme peu connu en France, mais ayant une grosse côte au Japon, Kenichiro Agemizu, conserve sa coupe de champion grâce à son capitaine Hyoga Ota (vainqueur du GC de Russie en mars en +100kg). Pour Yamanashi Gakuin, le règne dure depuis maintenant cinq années consécutives (pour neuf titres au total). Si elle a été peu flamboyante, la -70kg Saki Niizoe (5e à Düsseldorf en 2018 et vainqueur du GC de Tokyo en décembre 2016) a tout de même tenu son rôle de leader en remportant tous ses combats. Vainqueurs également du championnat universitaire par équipes et par catégories de poids à l’automne 2017, le constat est limpide : Yamanashi et Tokai sont incontestablement les deux meilleures universités féminine et masculine des années 2010.
3) Une finale masculine de dingue
Tokai vs Tsukuba. La première bat Tenri en demi-finale sur le score de 3/0. La seconde passe aux forceps, sur le dernier combat grâce à un ippon qui vaut de l’or (puisque le score final sera de 3/3 mais que Tsukuba aura marqué trois ippons contre deux à Kokushikan).
Deux équipes qui s’étaient déjà rencontrées en finale en 2015 pour une victoire incroyable de Tsukuba emmené par son capitaine d’alors, Takenori Nagase (champion du monde 2015 et médaillé olympique 2016 en -81kg), qui ce jour-là marcha sur l’eau, gagnant le combat décisif face au pourtant très costaud Aaron Wolf.
Et bien bis repetita ce dimanche ! puisque à l’issue des sept combats le score est de 1-1 (un ippon partout). Pour Tokai, c’est Captain Ota qui offre le point sur un gros o-soto-gari face à Shohei Ueno lors du quatrième combat. Match nul lors du cinquième et sixième combat. Et puis Takeshi Sasaki, capitaine de Tsukuba entra en scène… l’impressionnant vainqueur du Grand Chelem de Russie en -81kg, monte alors sur le tapis, fier, confiant, presque arrogant de certitude quant à sa victoire avec la manière face à Daisuke Murata. Première action et première tentative de ura-nage de Sasaki face aux 120 kilos de son adversaire ! Si les choses se calment un peu par la suite, Sasaki fait exploser de joie ses coéquipiers et les autres judokas de Tsukuba, transformés pour le coup en supporters chantant à tût-tête, en réussissant sur sa seconde tentative un yoko-guruma parfait. Ippon. Le banc de l’université, coachée par Takashi Ono, se lève alors comme un seul homme, les bras en l’air, laissant éclater leur joie de revenir dans la course au titre.1-1 et combat décisif ! Tokai choisit logiquement Hyoga Ota. Et Tsukuba ? Les trois quatrèmes années (dont Sasaki) se réunissent, discutent et se lancent dans un « pierre/feuille/ciseau » pour savoir qui montera sur le tapis ! Retentit alors un grand « oooooohhhhhhhhh » dans les tribunes face à cette solution complètement décalée, surprenante et assez provocatrice. Heureux hasard ! Sasaki l’emporte et remonte donc sur le tatami ! Face à lui, Ota reste de marbre. Première séquence et première tentative d’arraché de Sasaki. Mais le capitaine Tokai reste lucide et à mi-combat place un magnifique uchi-mata à son homologue de Tsukuba. Ippon. Et voilà Ota, levant un poing rageur en direction des autres judokas de Tokai, dans les tribunes. Sasaki sort du tatami, s’effondrant en larmes.
4) The « Kansai »* is back
Ces derniers années, ces championnats nationaux se résumaient à une compétition entre universités de la région de Tokyo. Et bien pas ce week-end ! Chez les filles, l’université qui monte s’appelle Ryukoku. Située à Kyoto, cette dernière finit 2e après un superbe parcours, battant notamment en demi-finale une autre université féminine qui monte, Kokushikan. Une équipe dans laquelle on retrouve des jeunes judokates très prometteuses comme la -52kg Natsumi Kuroki ou la -57kg Yui Murai. Chez les garçons, Tenri revient donc sur le podium. Une première depuis 2014. Une équipe sans « crack » mais très homogène, jouant de manière assumée et réussie sur beaucoup de matchs nuls pour l’emportant de peu grâce à ses points forts. Une réussite pour Takamasa Anai, l’entraîneur en chef de l’université de Shohei Ono.
5) Les combattants d’un week-end
Chez les filles, la -52kg de Yamanashi Gakuin, Yuwa Owaku. Un nom à sans doute retenir car elle a parfaitement joué son rôle de rampe de lancement avec un morote à gauche supersonique et un très fort o-uchi-gari. Gros mental aussi puisqu’elle remonte en finale un waza-ari sans jamais avoir donné l’impression de douter. Autre judokate qui a fait forte impression : la Vénézuélienne Elvismar Rodriguez, vice-championne panaméricaine 2018 en -70kg, étudiante depuis cette année à Tokai. Gros bras droit, elle met en 1/4 de finale un tani-otoshi qui enfonce son adversaire dans le tapis.
Chez les masculins des noms plus connus : il y a bien sûr Takeshi Sasaki, héros malheureux mais qui dégage une puissance et une confiance au service d’un judo très varié qui fera de lui un prétendant très sérieux à une titularisation en -81kg pour le Japon en vue des JO à la maison. Il y aussi le « beau gosse » Kentaro Iida qui a confirmé, après un Zen Nihon réussi, qu’il revenait très en forme. Le -100kg de Kokushikan, vainqueur du Grand Chelem de Paris 2017 a satellisé tous ses adversaires avec son uchi-mata très pur. Nouveauté dans son judo : un morote-seoi-nage déjà très fort. Des noms moins connus mais à suivre : Kiyotaka Sekine (un -100kg qui vient de s’imposer à la Coupe d’Europe juniors d’Autriche) et Goki Tajima (champion du monde juniors 2017 en -90kg).
Mais au-delà des noms, si ce n’est pas une surprise pour les connaisseurs et amateurs du judo nippon, la densité de combattants « forts » au pays du Soleil-Levant, en particulier le dimanche, laisse tout de même une impression de vertige.