La France admirable, trois fois en finale… mais deux fois battue.

Pietri à l’attaque, mais le Géorgien Tchrikrishvili contrôle le champion du monde / Emmanuel Charlot – L’Esprit du Judo

Quelle journée ! On pourra faire toutes les analyses de ce deuxième jour des championnats d’Europe de judo 2014, mais la première évidence qui s’impose, c’est que ce vendredi de judo a fait honneur au concept de championnat continental, fait honneur au judo et fait honneur aux grands champions – lesquels étaient nombreux aujourd’hui, et au meilleur de leur talent. Tout fut réuni pour produire dans la grande Park & Suites Arena de Montpellier l’un de ces grands moments dont on se rappelle longtemps : les grands ippons décisifs, l’opposition des volontés et des styles, l’intensité des combats et des joies. Il ne manqua pour la perfection du jour que deux médailles d’or françaises en plus de celle de Clarisse Agbegnenou (-63 kg), celle de Ugo Legrand (-73 kg) et de Loic Pietri (-81 kg), mais il n’y avait, comme on dit, « rien à dire ».

-70 kg : Kim Polling satellise l’opposition
Des Français étaient tombés un peu vite en ce début de journée, Alain Schmitt (-81 kg) glisse sur un de-ashi-barai – la même mésaventure qu’aux Jeux olympiques. Gévrise Emane (-70 kg), qui n’était guère dedans, fut rapidement dehors, manifestement peu inspirée et éliminée sur un problème de concentration. Elle a donné du grain à moudre à ceux qui pensaient que Montpellier aurait mieux convenu à de la jeunesse volontaire, du genre Margaux Pinot, et que la championne de Levallois aurait dû plutôt faire ses preuves dans de grands tournois avant de faire un championnat officiel. Fanny Estelle Posvite fit un parcours au niveau auquel on l’attendait, mais les deux solides kumi-kata « germaniques » de Vargas-Koch l’Allemande vice-championne du monde et Graf l’Autrichienne médaillée européenne furent encore trop copieux pour elle. Dans cette catégorie très stable par rapport à l’année dernière, la Néerlandaise Kim Polling fit sentir tout le poids de sa suprématie. Elle avait commencé sa journée sur un ura-nage dantesque, elle la termine en ridiculisant la vice championne du monde Vargas-Koch à la première prise de garde sur un utsuri-goshi – un arraché de face avec récupération sur la hanche – absolument hallucinant.

-63 kg : Clarisse, comme prévu !
Clarisse Agbegnenou n’a ni tremblé, ni souffert, comme on pouvait s’y attendre, d’autant que l’Israélienne Yarden Gerbi, qui l’avait battue au championnat du monde, s’était incliné dès le premier tour. Depuis la montée en puissance de Clarisse Agbegnenou, aucune combattante européenne, ni d’ailleurs d’un autre point de la planète, n’a montré qu’il avait les moyens de faire face à la « furia francese » de la jeune femme. Seule l’Autrichienne Kathrin Unterwurzacher, 7e mondiale, était parvenue en tournoi à mystifier une fois la Française, mais, 5e aujourd’hui, elle n’a pas eu l’occasion de créer le suspens. Agbegnenou (2e mondiale) bat l’Italienne Gwend (14e mondiale), la Néerlandaise Van Emden (4e mondiale), le Slovène Trstenjak (6e mondiale), une bonne part du gratin européen qui a du se résoudre à mettre bas les armes dans une forme de panique, à l’évidence incapable de maîtriser la « guerrière » française. Deuxième titre de suite pour Clarisse, qui a désormais comme mission de répandre sa bonne parole au niveau mondial et olympique, si possible.

-73 kg : Elmont, l’homme qui bat toujours Ugo Legrand 
Il y avait aujourd’hui un effet de correspondance assez spectaculaire. Tour après tour, Pietri et Legrand se retrouvaient à combattre au même moment, amenant le public à ébullition d’autant plus facilement que les exploits étaient redoublés. D’un côté la machine Pietri, le « Stakhanoviste » des mouvements d’épaule, percutant et destructeur, de l’autre Legrand le patient, inlassable sur les mains et toujours prêt à lancer en reprise le mouvement définitif. Les deux Français ont fait un championnat formidable, affirmant leur force sur l’opposition, notamment le Géorgien Tatalashvili, médaillé européen, et le Solvène Draksic, champion d’Europe en titre, pour Legrand. Mais sur les tapis annexes, leurs finalistes à venir déblayaient aussi le terrain. En -73 kg, Dex Elmont se montrait expéditif et brillant et il est vite devenu clair que Legrand devrait faire face à sa « bête noire » en finale, le très habile Hollandais volant, médaillé sur les trois derniers championnats du monde.

-81 kg : Tchrikrishvili enfonce le clou
Quant à Pietri, il était déjà évident que l’autre homme fort de la catégorie au niveau mondial, le vice champion du monde géorgien Tchrikrishvili, vainqueur du dernier tournoi de Paris, allait une nouvelle fois être le dernier adversaire à combattre, et le plus fort. Si Pietri se montrait particulièrement vif et efficace toute la journée, le Géorgien était carrément intimidant, sortant tous les meilleurs du jour, et jetant notamment le Russe Sirazhudin Magomedov sur un mouvement de hanche venu d’ailleurs. Et c’est eux qui, en finale, en chevaliers errants sur les terres françaises, tout en assurance et en autorité, malgré la tendance positive de l’équipe de France et le soutien du public, ont mis à bas leur adversaire respectif.

Un gant lancé à la face des Français
On aurait vraiment aimé voir cette grande journée terminer en apothéose, mais la vérité du jour est que nos deux héros nationaux ont été battus par d’immenses champions, plus fort qu’eux, et largement, aujourd’hui. Et ce n’est pas une surprise. Si Legrand est médaillé mondial et olympique, il n’est jamais parvenu à battre Dex Elmont en grand championnat, souvent pris dans les filets de la technique tout en finesse du Néerlandais. Cette fois encore, le mouvement est merveilleux : Elmont s’attendant à l’attaque en reprise de Legrand, parvient à la surpasser avec une forme de génie, pour l’un des grands ippons de l’année.
Pietri voyait monter depuis des mois l’aura de son grand rival, vainqueur trois fois dans leurs quatre dernières rencontres et cette finale a semblé marquer une nouvelle prise de distance du Géorgien. Le pion qu’il administre au champion du monde en titre va rester longtemps dans les mémoires.
Ugo Legrand et Loic Pietri ont été fantastiques, mais « Montpellier 2014 » a rappelé qu’ils ne sont pas seuls, et pas forcément les premiers européens de la catégorie. C’est la leçon paradoxale de cette grande journée de judo, qui promet aussi de belles fêtes sportives à venir. Les duels vont encore s’exacerber. Mais le gant est jeté, et dans le fief même de nos champions français. La riposte à Chelyabinsk ?

La France tient son championnat

Malgré cette double déconvenue finale, en ajoutant une médaille d’or et deux médailles d’argent, la France s’est quasiment garantie aujourd’hui la première place au classement des nations, d’autant que demain Teddy Riner devrait pouvoir nous en amener une de plus… ainsi que Maret (-100 kg), Tcheumeo (-78 kg), ou même Andeol (+78 kg), pour ne citer que des favoris logiques. Avec sept finales pour trois médailles d’or le judo français distance tout le monde. On avait vu les Russes hier, ils ont été broyé aujourd’hui par les Géorgiens et ils ne leurs restent plus beaucoup de cartouches, car ils n’ont pas engagé de lourd masculin. La Géorgie est revenue dans la bataille comme on s’y attendait, mais la victoire de Legrand sur Tatalashivi a pondéré l’impact de ce retour. C’est finalement les Pays-Bas, deux fois vainqueurs aujourd’hui qui viennent chatouiller la France de plus près. Avec deux titres et une médaille d’argent, la France a déjà une avance nette sur les autres nations chez les féminines et devrait pouvoir garder facilement le leadership. Chez les garçons, tout est encore possible en revanche avec quatre finales, mais une seule médaille d’or pour la France. Géorgie, Russie, et Pays-Bas (qui va regretter l’absence du -100 kg Henke Grol sur blessure) ont aussi leur médaille d’or. Il reste trois titres à gagner…

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