Après le monde en 2015, l’Europe en 2016 !

Gévrise Emane, quintuple championne 2006, 2007, 2011, 2012 et 2016 / Emmanuel Charlot – L’Esprit du Judo

Sheldon Franco-Rooks, le commentateur pondéré des événements judo de l’Union Européenne a pris sur lui d’insister : c’est une légende, disait-il à l’antenne, c’est une légende que vous avez sous les yeux. Il parlait de Gévrise Emane, emportant son cinquième titre européen. Une légende ? Oui, à l’évidence. Gévrise Emane était là du temps de la Néerlandaise Edith Bosch, elle était là quand l’Américaine Ronda Rousey était encore une judokate et elle était déjà vice-championne du monde en 2005, championne d’Europe pour la première fois en 2006, avant le doublé en 2007, puis un nouveau titre en 2011 après son changement de catégorie vers les -63 kg, doublé par celui de 2012. En 2016, c’est donc son cinquième titre européen, le premier de son retour en -70 kg, sa catégorie d’origine, abandonnée pour cause de Lucie Décosse. Un cinquième titre. Dit comme cela, c’est synthétique : on peut même dire que ce cinquième titre a été parfaitement négocié et que Gévrise Emane, championne du monde en titre, a fait preuve d’une autorité sans faille face à ses rivales, et notamment la Néerlandaise Kim Polling en demi-finale, battue dès la première minute d’un yuko opportuniste et qui n’a pas eu ensuite, malgré sa puissance, l’occasion de rêver qu’elle allait faire craquer la lionne française.  Mais ce n’est pas assez faire honneur au chemin parcouru pour en arriver là, ni assez pour exprimer la valeur de l’exploit. Emane est de retour. Jusque là, la « patronne » en Europe c’était la Néerlandaise Kim Polling, triple championne d’Europe en titre. La Française, il faut le rappeler, était en 2015 une championne du monde inattendue, une « légende »… c’est à dire une combattante du passé, médaillée mondiale pour la dernière fois en 2013, championne d’Europe et médaillée olympique en 2012, dans la catégorie inférieure.

Elle a pris le temps et elle est finalement revenue, avec une opiniâtreté sans égal, le sens aigu de son destin. Après ce formidable titre mondial l’année dernière où elle avait dominé la triple championne du monde colombienne Alvear, elle ajoute cette année un titre européen à son long palmarès, manifestant en même temps l’évidence de son retour aux affaires. Championne du monde 2015 et championne d’Europe 2016 dans la foulée, et sans vraiment souffrir, elle qu’on croyait définitivement rangée au rayon des anciennes gloires… voilà ce qui crée les légendes.

Malgré sa volonté de bien faire et le fait qu’elle obtient sa première médaille de bronze européenne, la médaillée mondiale Fanny Estelle-Posvite n’est pas parvenue finalement à incarner une opposition vraiment légitime à cette marche en avant. Il lui a manqué un peu d’éclat, mais c’est aussi qu’il était difficile de briller à côté de Gévrise Emane ce vendredi. Voilà qui est joué, elle ne sera plus un obstacle pour la championne sur le chemin de ses troisièmes olympiades. La légende ? C’est là-bas, à Rio, comme elle le dit elle-même, que s’écrira la plus belle page, la seule qui compte vraiment pour elle désormais.

Et quoi d’autre, en ce vendredi où on n’a vu qu’elle ? Rien pour la France, et c’est dommage pour Alain Schmitt (-81 kg) qui ne retrouve plus les moyens qui avait fait de lui un champion si digne en 2013 et 2014 et se retirera probablement sans avoir jamais gagné de médaille européenne. Et c’est inquiétant pour Pierre Duprat (-73 kg), qui donne l’impression d’avoir du mal à maîtriser les situations de combat qui se présentent à lui, et c’est peut-être parce qu’il n’a pas totalement assumé la situation de base : être désormais le n°1 de cette catégorie. Quoi d’autre alors ? La première médaille d’or de la Russie. C’est peut-être parce que le Président Poutine avait prévu une sortie judo – et participé à une cérémonie d’ouverture assez bluffante – mais ce vendredi le pays hôte jouait deux belles cartes avec des hommes en forme, le -73 kg Denis Iartcev et le -81 kg, Khasan Khalmurzaev. C’est le second qui touche au but, battant en finale l’invincible triple champion d’Europe géorgien Tchrikrishvili et se proposant ainsi pour compléter la grosse équipe russe pour les prochains jeux olympiques. Si la Russie avance masquée, il ne faut pas se tromper : son groupe sera très redoutable à Rio et ce -81 kg en fera sans doute partie.
La Géorgie sera elle aussi terrible. On avait découvert Margvelashivili jeudi, on retrouvait ce vendredi non pas le leader des -81 kg Tchrikrishvili, battu en finale, non pas le titulaire habituel en -73 kg Tatalashvili, troisième, mais son vainqueur, le champion olympique -66 kg Lasha Shavdatuashvili, qui a décidément le sens du timing. Même battu en finale pour une énorme erreur de gestion de sa part, il a démontré qu’il trouvait encore une fois au bon moment la plénitude de ses moyens dans cette catégorie qu’il a mis quatre ans à apprivoiser. Aujourd’hui c’est fait, et c’est sans doute l’une des informations les plus importantes de la journée.

Une dernière information ? Elle n’est guère surprenante : Les rivales de Clarisse Agbegnenou, la Slovène Trstenjak, championne d’Europe pour la première fois, mais aussi l’Autriche Unterwurzacher, finaliste revenue à son meilleur niveau, l’attendent de pied ferme.