…Et deux, qui font quatre. Le compte y est.
Udaka Nae, une championne du monde inattendue en -57 kg et déjà la quatrième médaille d’or japonaise / Emmanuel Charlot – L’Esprit du Judo
Etonnant contraste. Tandis que mardi les combattants les plus attendus assumaient leur statut, tandis que le judo brillait de ses plus beaux feux, ce mercredi était laborieux à tous points de vue, beaucoup plus pâle sur le plan du spectacle et totalement imprévisible sur celui des résultats, ceci expliquant parfois cela. Les amateurs de jeu de massacre ont été servi : AUCUN des huit médaillés mondiaux 2013 ne s’est retrouvé sur le podium mondial 2014. Les huit médaillés olympiques 2012 non plus d’ailleurs, sauf deux tout de même, le Japonais Nakaya… et la Française Automne Pavia.
Un « strike » de champions
Une vraie partie de bowling. Les leaders mondiaux les plus fiables, les plus stables, comme le Néerlandais Elmont, trois fois médaillé mondial, ont été blackboulé comme des quilles à la vanille. Symbole de ce naufrage collectif, le héros 2013 redevenu tristement ordinaire : le génie Shohei Ono, mal dans ce championnat du monde jusque dans sa coiffure hasardeuse, incapable de passer une attaque, faisant illusion sur deux combats gagnés aux pénalités et finalement balayé comme un 150e mondial par un Coréen inconnu. Autre « invincible » à passer à la trappe, la grande championne 2010 et médaillée olympique 2012, Kaori Matsumoto elle aussi devenue presque ordinaire, balayé et prise en clé par une Américaine (pas n’importe laquelle tout de même) le bras cassé, battue au sol, son terrain favori. Tous et toutes, comme la championne du monde en titre Rafaela Silva, irrésistible en 2013, inexistants ou presque en 2014, battus par des inconnu(e)s, des jeunes, des seconds couteaux à peine identifiés outsiders potentiels. Pour les Français, c’est Ugo Legrand qui a illustré cette tendance du jour. On était habitué à voir notre grand longiligne bien dans son rythme et fort sur les mains passer les tours sur tous les podiums mondiaux ou olympiques depuis 2011. Pourquoi en aurait-il été autrement cette fois ? Mais le Coréen du Nord Hong Kuk Hyon, champion d’Asie 2013, a dissipé cette illusion.
Shohei Ono, l’ombre du héros de Rio / Emmanuel Charlot – L’Esprit du Judo
Rio, c’est loin
Ils ont donc échoué. Pourquoi ? Peut-être parce que ce championnat du monde 2014 est celui de trop, à mi parcours entre deux Jeux olympiques, déjà loin de la précédente, et encore très loin de la suivante. Une année « creuse » où, avant 2010, il n’y avait pas d’événement majeur, quand les championnats du monde avaient lieu tous les deux ans, de part et d’autre de l’année olympique. Désormais toujours brûlées au rouge, les générations changent peut-être un peu à l’improviste, sans qu’on s’y attende, poussées hors du podium qu’elles avaient l’habitude d’atteindre par de jeunes lames plus ardentes. Certains résistent, comme le triple champion du monde Ebinuma qui doit rêver de son titre olympique de dans deux ans. Il n’a que 24 ans… Pour d’autres c’est plus difficile, et c’est probablement le cas de notre Ugo Legrand national, pourtant à peine un an de plus. La source de la motivation sera plus claire en commençant à distinguer l’autre rive olympique, mais les mois qui viennent vont être durs à vivre pour lui, avec cet échec à assumer, et avec l’idée qu’il n’a pas pu profiter de la chance offerte : Ono inexistant, et pour une fois sa bête noire néerlandaise, Dex Elmont, écarté de son chemin vers l’or.
Le cauchemar n’a pas eu lieu
Pour Automne Pavia l’histoire finit bien cette fois. Peut-être pas comme dans un conte pour enfants – dans ce cas elle serait championne du monde – mais avec une belle première médaille mondiale senior autour du cou, après un long combat, en grande partie menée contre elle-même. Pas très bien dans son judo dès le début de la journée, elle a dû faire face. Ce mercredi, elle était fragile sur ses jambes, accessible comme rarement aux attaques de ses adversaires, mêmes encore modestes, comme la Polonaise Padolak, qui lui marque waza-ari au second combat. Il a fallu faire avec, faire la deuil de son autorité « européenne » et avancer quand même, au jugé. « Elle n’a pas été timide, elle n’a pas eu peur, mais c’est comme si elle n’arrivait pas bien à se concentrer. Trop dominée par l’envie de gagner » analysait à chaud son entraîneur Christophe Massina, un peu perplexe. Mais l’Autrichienne Filzmoser est tombée en quart et la demie s’annonçait plutôt bien finalement contre la seconde Japonaise, du jour, la relativement modeste Udaka Nae, 29 ans, championne nationale pour toute référence, engagée parfois en équipe, mais une seule fois en individuel à ce niveau, déjà en seconde combattante derrière la titulaire (et future médaille d’or) Kaori Matsumoto, au championnat du monde 2010 à Tokyo. Elle avait été battue rapidement par l’Anglaise Howell. La dernière fois que Pavia l’avait rencontré, en 2013 au tournoi de Paris, la jeune Française avait marqué ippon à la Japonaise. Mais cette fois, à Chelyabinsk, Pavia faisait avec ses moyens. Udaka n’avait pas été flambante non plus dans les tours précédents, et contre des adversaires modestes. Mais elle s’en tenait dans cette demi à la tactique prescrite, peser sur la manche du bras fort de la grande blonde, et cela allait suffire. Une erreur de Pavia, qui recule, la Japonaise s’engouffre en o-soto-gari et marque un yuko décisif. Deux pénalités contre elle plus tard, elle est en finale. Elle y rencontrera Telma Monteiro, une combattante intelligente, tactique et talentueuse qui a toujours su s’adapter à tout, sauf à une situation : une finale mondiale. C’était en effet sa quatrième sans victoire (pour cinq podiums mondiaux en tout) et l’enjeu d’un triomphe si longtemps différé la paralysait manifestement. Elle avait pourtant battu cette Japonaise lors de leur unique rencontre en 2009 et l’arbitre avait l’amabilité de lui donner rapidement une pénalité d’avance pour trois attaques mécaniques exécutée dans un état second. À mi-parcours elle effectuait une fausse attaque énorme qui ramenait son adversaire à égalité, avant de finir, au golden score, par lui toucher la jambe, comme pour se débarrasser plus vite de la situation. Un vrai « breakdown ».
Quant à Automne, elle rencontrait pour le bronze l’une des adversaires qu’elle aime le moins, la dangereuse contreuse brésilienne Silva, celle qui l’avait écarté facilement de la route de l’or à Rio l’année dernière. Le cauchemar de la cinquième place une nouvelle fois ? Pavia lançait bravement… et se faisait contrer d’entrée pour yuko. Mais Silva, elle aussi fatigué et un peu démobilisée par son échec à conserver son titre laissait passer une nouvelle attaque courageuse en uchi-mata pour un yuko. Au golden score, c’est la Française qui restait dans sa ligne quand la Brésilienne déclinait. La pénalité fatidique tombait rapidement.
Les Japonais juste ce qu’il faut
Udaka Nae n’est pas Kaori Matsumoto, elle ne restera pas dans les annales des grandes championnes du monde, mais elle emporte l’or et c’est ce qui compte. En voilà une de plus pour le Japon qui passe à trois, et encore une qui fait quatre, car derrière l’effondrement du golden boy Shohei Ono en -73 kg, c’est Nakaya qui s’y colle. Le champion du monde 2011 n’eut que quelques fulgurances aujourd’hui et faillit bien passer à la trappe, contre l’excellent Azéri Orujov notamment, mais là encore, ce fut suffisant. Le compte y est. Sans briller, le Japon récolte les fruits de son habituelle consistance. Rien d’inattendu : le Japon gagne les titres en -66 kg et en -73 kg depuis 2010. L’année dernière, il avait même emporté celui des -60 kg, qui aurait pu – dû ? – revenir une fois encore au lutin Takato en 2014. Sur les trois catégories légères, les Nippones font aussi bien qu’en 2009 (deux titres) et moins bien qu’en 2010 et 2011 (trois titres), mais déjà beaucoup mieux qu’en 2013 où elle n’avait pas accroché un seul titre. Après deux ans de galère, les féminines japonaises vont un peu mieux, c’est une excellente nouvelle pour le judo, et une mauvaise pour les autres grandes nations. La leçon est là : sur ses ressources actuelles, avec ses armes, le Japon a déjà engrangé quatre titres, un de plus que l’année dernière, et ce sera probablement suffisant pour finir, comme d’habitude, première nation mondiale de judo.
Devant la Russie peut-être ? Laquelle continue à placer ses hommes sur tous les podiums en profitant de l’effet accélérateur du pays organisateur, mais sans gagner l’or une nouvelle fois. Devant la France peut-être, qui a perdu à ce stade, c’est embêtant, sa médaille masculine de 2010, 2011 et 2013 (Korval en 2010, Legrand en 2010 et 2011), mais a tout de même gagné deux médailles de bronze féminines qu’elle n’avait pas sur ces mêmes trois années. Rien de décisif encore pour cerner le niveau français qui peut en théorie finir lui aussi à quatre médailles d’or. Ce jeudi, on en saura beaucoup plus. Le minimum requis ? Le premier titre français pour 2014.