Sarah-Léonie Cysique au pied du podium

Trois Français engagés ce mardi et une nouvelle cinquième place pour l’équipe de France féminine, cette fois-ci pour Sarah-Léonie Cysique en -57kg. Un résultat forcément frustrant, mais franchement prometteur surtout. Un Japon qui continue à engranger avec la victoire attendue et logique de Shohei Ono, irrésistible aujourd’hui, et l’argent pour Tsukasa Yoshida, battue en finale par une ex-compatriote, Christa Deguchi, qui offre son premier titre mondial au Canada. Une troisième journée au niveau dantesque où les places sur les podiums, à l’image du combat homérique entre l’Azerbaïdjanais Hidayat Heydarov et le Tadjik Somon Makhmadbekov pour le bronze (avec un golden score de 7’45 !), valent très (très) chères.

Cysique marque des points

C’était l’une des deux catégories doublées par le staff féminin de Larbi Benboudaoud, avec Hélène Receveaux et Sarah-Léonie Cysique sur la ligne de départ ce matin. En haut du tableau, Receveaux l’Orléanaise se défaisait au premier tour de la Belge Lieber sur un joli travail au sol conclu en immobilisation. Mais au tour suivant, la médaillée mondiale de Budapest 2017 retrouvait la championne du monde en titre et n°1 mondiale, la Japonaise Tsukasa Yoshida. Un combat où la Tricolore ne put pas faire face et qu’elle perdra sur un ude-garami très douloureux puisqu’on apprenait rapidement qu’il y avait blessure et donc forfait de Receveaux pour l’épreuve par équipes de dimanche.
De son côté, Sarah-Léonie Cysique bénéficiait à première vue d’un tirage qui pouvait laisser espérer de bonnes choses pour la double championne de France et double médaillée au Grand Chelem d’Allemagne (2018 et 2019). Passant les tours avec la belle autorité de sa jeunesse, de sa confiance et de son talent  brut, la vice-championne du monde juniors 2018 retrouvait l’une des grandes favorites (et finalement future championne), la Canadienne Deguchi, en quart de finale. Très percutante, la Française contrait une tentative de harai-goshi de son adversaire pour mener dans ce combat. Mais dès la reprise, Deguchi, sur un déplacement latéral de Cysique, lançait un hashi-guruma à la vitesse de la lumière. Réussissant parfaitement à se remobiliser, elle contrait en repêchages la Kosovare Gjakova, vice-championne d’Europe en titre, pour aller chercher le bronze contre la championne olympique, Rafaela Silva. Déterminée au kumikata, sans timidité, la Française lançait un de ses mouvements forts, un sasae-tsuri-komi-ashi… que la Brésilienne dans un mouvement en sen no sen contrait en sumi-otoshi. Waza-ari. Cysique ne lâchait rien et mettait alors une pression d’enfer sur la Brésilienne qui baissait de pied mais ne craquait pas.
Troisième cinquième place pour l’équipe de France féminine. Si celle de Mélanie Clément était encourageante, celle d’Amandine Buchard décevante, celle de Sarah-Léonie Cysique est d’abord très engageante : allant toujours de l’avant, tranchante, bien en sensations, constante, ne se posant visiblement aucune question, la Tricolore a enthousiasmé tout le monde, s’est construit une réputation mondiale et a marqué aussi beaucoup de points ce mardi dans la perspective d’une première sélection olympique, à tout juste vingt-et-un ans. Elle perd contre deux leaders de la catégorie, mais en ayant fait plus que se défendre (elle est la seule à marquer un waza-ari à Deguchi aujourd’hui) et en montrant un visage conquérant.
À l’issue de cette journée, on se disait qu’il ne manquait franchement pas grand-chose pour voir la judokate de l’ACBB Judo sur une boîte, où, à côté de Silva et des deux « Japonaises » Yoshida et Deguchi, il ne reste plus guère de place. Cette fois, c’est la jeune Polonaise Julia Kowalczyk qui tire les marrons du feu, une combattante triple médaillée européenne juniors de quelques mois plus âgée que la Française… et que cette dernière avait battue en 2018 lors de leur dernière confrontation. À un an des JO, la configuration qui se met en place permet toutes les belles ambitions.

Côté masculin, Guillaume Chaine remporte ses trois premiers combats, immobilisant l’Estonien Pertelson, ipponisant le Marocain El Maziati sur un uchi-mata sukashi fort joli, étouffant le Burkinabé Diallo pour faire monter les pénalités. Direction les huitièmes pour retrouver son bourreau des Jeux européens, le Russe Denis Iartcev. Bien décidé à le faire plier, selon la tactique qui « fonctionne bien » généralement avec ce Russe, très élégant mais sujet à baisser la tête. Sauf que cette fois, ce Russe de 28 ans, souvent frustrant, avait décidé que c’était son jour. Le Français subissait par deux fois un o-uchi-sukashi de ce combattant qu’il avait pourtant battu par deux fois avant le rendez-vous européen. Transfiguré, le magnifique technicien enfin à la hauteur de son talent allait se battre jusqu’à la médaille de bronze.

Deguchi était la plus forte

Bis repetita ce mardi au Budokan avec des blocs finaux d’un niveau incroyable, en particulier les demi-finales Yoshida/Silva et Ono/Iartcev. On ne sait pas si cela sera encore le cas les jours à venir, mais le niveau proposé par les acteurs sur le tatami, hier comme aujourd’hui, fut radicalement impressionnant. Aujourd’hui encore, il n’y eut pas de surprise quant aux désormais champions du monde 2019 des -57kg et -73kg. Chez les féminines, honneur à… Christa Deguchi. Née à Nagano et passée par les équipes jeunes nippones (vice championne du monde juniors en 2014), elle choisit de combattre pour le Canada il y a quelques années, barrée alors par Kaori Matsumoto puis Tsukasa Yoshida, vice championne du monde 2017 et championne du monde 2018. Bien lui en a pris puisque, ironie de l’histoire, elle remporte son premier titre mondial dans son pays d’origine, devant ses copines de l’université de Yamanashi Gakuin avec lesquelles elle s’entraîne d’ailleurs encore toute l’année. Un joli visage traversé par la concentration, de très forts ashi-waza, un ne-waza encore plus solide peut-être que celui de Yoshida et un sens remarquable de la prise d’opportunité, avec aussi sans doute les effets positifs sur elle d’une excellente préparation à l’occidentale… Voilà en quelques mots le portrait judo de Christa Deguchi — victorieuse à Paris, Ekaterinbourg, aux championnats panaméricains et à Montréal cette saison ! — qui retrouvait donc en finale Tsukasa Yoshida, bien décidée à conserver son titre. En demi-finale, la Japonaise avait impressionné en tourmentant la terrible Brésilienne jusqu’à lui faire perdre la boussole, pour la jeter sur le dos sur seoi-nage et la fixer au sol, où elle est pourtant très forte. En finale, dans un combat très tactique de gauchère/droitière où le contrôle de la manche adverse s’avérait la clé de tout, avec des passages au sol d’un niveau exceptionnel, le rythme de marathonienne de la championne semblait saper les forces de la Canadienne, avant que celle-ci ne se glisse en une seconde dans le dos de la Japonaise pour lui placer un ura-nage sorti de nulle part. Toute en retenue dans la victoire, comme s’il s’agissait d’une étape, ou peut-être par délicatesse pour le pays hôte (avec un léger parfum de revanche…), Deguchi offre au Canada le premier titre mondial de son histoire et semble bien avoir définitivement gagné la partie face à Jessica Klimkait, sa compatriote, dans la course aux Jeux.

Veni, Vidi Vici pour Shohei Ono

À l’instar des amateurs de football avec Léo Messi et Cristiano Ronaldo, de Roger Federer et Rafael Nadal au tennis, il faut apprécier la chance que nous avons nous, judokas, de pouvoir se délecter d’un judoka comme Shohei Ono. Sur le toit du monde à Rio avec son premier titre olympique, l’autre Tenri Boy de cette sélection masculine, avec Joshiro Maruyama vainqueur hier, a une nouvelle fois démontré son écrasante domination dans cette catégorie des -73kg après presque deux ans de coupure post JO. Revenu sérieusement aux affaires cette saison, avec son visage de cire, sa démarche légèrement chaloupée et son corps de taureau, Ono a réglé tout son monde aujourd’hui, donnant l’impression d’être venu faire un entraînement un peu plus fort que les autres. En huitième de finale, il enfonce littéralement Lasha Shavdatuashvili dans le sol sur son o-soto-otoshi. En quarts, fatigué des fausses attaques du Turc Bilel Ciloglu, il abrège le combat avec un gros travail en sol en juji-gatame — la rumeur disait qu’il était fort au sol, il le confirme avec un art admirable des placements. Son combat le plus dur, et donc le plus excitant, ne sera finalement pas sa finale contre Rustam Orujov, qu’il envoie sur le dos avec son uchi-mata dès la troisième séquence, mais sa demi-finale face à Denis Iartcev. Tombeur de Guillaume Chaine, on avait rarement vu le Russe à un aussi haut niveau. Un judoka fort techniquement, aux sensations très supérieures à la moyenne mais souvent victime d’un manque de constance, de concentration sur une journée pleine. Ce mardi, Iartcev a réussi à dépasser cet écueil pour offrir une prestation consistante face au génie de Tenri. Attendant son uchi-mata et son o-soto-gari pour le contrer, il fit passer quelques frissons dans le Budokan en ne se cachant pas, tentant même une clé de bras foudroyante en sortie d’attaque du Japonais. En clair, Iartcev a joué magnifiquement sa chance, avec ses armes, dignement, jusqu’à ce que le judoka de l’entreprise Asahi Kasei dégaine un tomoe-nage soudain qui surprenait complètement le Russe. Voilà donc Shohei Ono triple champion du monde, invaincu sur un tatami international depuis décembre 2014 (il avait perdu au GC de Tokyo 2017, ayant dû déclarer forfait pour blessure). Une prestation insolente de variété, de tranquillité et de supériorité. Vertigineux.

Le Japon renforce son leadership

Avec un titre et une médaille d’argent aujourd’hui, le Japon se pose, comme c’était prévu, comme un leader sans rival. Huit médailles ce mardi soir pour le pays hôte dont trois titres. L’Azerbaïdjan ouvre son compteur avec l’argent d’Orujov et le bronze de Heydarov. La France reste au point mort après six catégories disputées.