Il y a dix ans, elle offrait sa première couronne mondiale à l’Argentine

© L’Esprit du Judo / Une Krukower tout sourire après avoir invité l’Argentine dans le gratin planétaire pour la première fois.

Les années passent, les exploits restent. Il y a dix ans, l’Argentine, habituée aux performances de ses footballeurs, hockeyeurs sur gazon ou autres rugbymen, se découvrait une championne du monde de judo, en la personne de Daniela Krukower (-63 kg). Une véritable prouesse qui avait alors donné lieu à une rencontre, avec celle qui avait décidé d’être l’héroïne de sa propre histoire depuis longtemps…

Vous avez surpris tout le monde à Osaka. Comment expliquez-vous ce succès ?

Honnêtement j’y ai toujours cru. Peut-être plus encore à 28 ans. Quand on a vingt ans, on croit tout savoir. Or, l’expérience joue beaucoup sur une compétition comme les championnats du monde. Sur le plan de la maturité technique, tactique… Mais aussi sur le plan personnel, humain. On aborde les choses différemment. Mon secret, c’est justement que je n’ai pas de secret. Je suis venue, j’ai donné ce que j’avais, c’était le bon jour. Bien sûr, j’avais préparé ces championnats, avec des tournois en Europe en début d’année pour la première fois depuis trois ans, une victoire aux championnats panaméricains en juin, un camp d’entraînement à Barcelone et le tournoi qui a suivi, un podiumaux Jeux panaméricains en août… Ça faisait beaucoup de rendez-vous mais en fait, en le gérant bien, cela m’a permis de rester concentrée.

Votre titre mondial, c’est l’aboutissement d’une vraie histoire, non ?

Oui, J’ai débuté le judo à l’âge de cinq ans au club où étaient inscrits de mes deux frères ainés, Hernan et Ariel, celui de River Plate de Buenos Aires, bien connu pour son équipe de foot. Mais il a fallu que j’insiste parce que au début, j’étais trop petite et que je me souviens que je restais dehors à faire des techniques contre des fantômes. À la maison, dans la salle à manger, je faisais des combats imaginaires dont je sortais évidemment victorieuse ! Je me suis très vite sentie en phase avec ce sport. Jusqu’à l’âge de sept ans j’ai suivi les cours d’un professeur Japonais qui se trouvait là. Puis nous sommes partis en Israël…

 Expliquez-nous…

Nous nous sommes installés près de Haïfa, dans un kibboutz, dans le Nord du pays parmi des villages arabes. Mon père, judoka, a tout fait pour que je progresse, il a payé des cours pour moi, j’ai gagné les championnats d’Israël chez les jeunes, j’ai continué jusqu’à l’âge de treize ou quatorze ans, puis j’en ai eu assez du judo. J’ai décidé d’arrêter ! J’ai fait du tennis, du triathlon, du saut en hauteur… Je cherchais ma voie mais toujours en me mesurant aux autres. C’est la compétition qui m’intéressait et j’ai atteint le niveau national partout. J’ai d’ailleurs été championne d’Israël juniors de saut en hauteur. Puis, à 19 ans, j’ai repris le judo, sous l’impulsion d’un de mes supérieurs alors que j’étais dans Tsahal, le corps d’élite de l’armée d’Israël. Quelques mois plus  tard, j’étais championne d’Israël… Le judo, on l’a à l’intérieur de soi.

Et pourquoi vous retrouve-t-on aujourd’hui sous les couleurs argentines ?

En fait, il y avait déjà une fille dans ma catégorie sur laquelle la fédération avait choisi de miser pour se qualifier pour Sydney. On n’avait pas les moyens d’assumer également ma préparation. Quand j’ai compris, j’ai préféré partir. Je ne pouvais pas me contenter de ça. J’ai alors décidé de contacter, puisque j’avais la double nationalité, la fédération argentine pour leur parler de mes résultats et surtout de mes objectifs. Je ne savais pas ce que cela allait donner mais je voulais ne rien regretter. Deux semaines plus tard, j’ai reçu un appel sur mon portable qui me demandait quand je venais en Argentine ! J’ai été un peu prise de cours. Nous étions le 20 août 1999 et on me demandait de disputer les championnats panaméricains dans la foulée. J’ai pris un billet « Open » et un mois plus tard j’y posais ma valise et mon judogi, toute seule.

Qu’y avez-vous découvert ?

Rien n’était vraiment organisé et j’avais l’impression d’être livrée à moi-même, je ne parlais plus très bien la langue, j’avais perdu tous les petits automatismes et les expressions. J’avais pensé que ça aurait été plus facile. Puis, avec le temps… Le judo n’est pas très populaire en Argentine, pour que les gens comprennent bien, un journaliste expliquait récemment que le ippon est comme le K.O à la boxe, vous voyez… En plus, l’Argentine est un grand pays et comme les moyens sont limités, il est difficile de construire une vraie équipe nationale. Nous avons un centre national à Buenos Aires, quelques-uns s’entraînent à Cordoba mais la plupart sont disséminés dans leurs clubs.

 Le judo argentin n’a jamais profité de la médaille mondiale de Carolina Marianien 1995 pour s’affirmer. Pourquoi ?

Je ne sais pas vraiment. Peut-être que nous ne possédons pas les bonnes bases techniques. Comment l’expliquer ? Nous bénéficions pourtant des influences de nombreux Japonais qui sont venus enseigner voire s’installer en Argentine, du Brésil tout proche aussi. Le Brésil justement a réussi à développer son judo malgré des conditions économiques difficiles que nous rencontrons également. C’est aussi une question de management. Mais je ne veux pas en parler. Peut-être un jour aurai-je l’occasion d’aider à l’essor du judo argentin. Cela peut être une voie pour éviter que les enfants des « villas », les quartiers les plus pauvres, ne traînent dans les rues. Parce que derrière le football, le hockey, le rugby et le tennis qui sont des sports réservés à une élite, le judo peut apporter quelque chose. Maisce n’est pas pour maintenant car on ne peut pas avoir envie de faire bouger un système dans lequel on se trouve.

L’Argentine, notamment la presse, compte désormais sur vous pour les JO, elle qui n’a pas remporté l’or depuis 1952…

Oui, mais je suis d’abord heureuse de pouvoir donner un petit peu de bonheur à un peuple qui m’a tendu les bras. C’est l’Argentine qui m’a permis d’accéder à mon rêve et je ne l’oublierai jamais. Je veux partager ça avec les gens de Banco Nacion, mon entraîneur, Carlos de Negri et mon préparateur physique Horacio Anselmi Les mêmes que pour Caroline Mariani en 1995, NDLR). Il est encore trop tôt pour dire comment je vais gérer la suite, peut-être vais avoir un peu plus de moyen. J’ai payé de ma poche pour faire les championnats du monde au Japonet j’ai aussi pu m’aligner grâce à la Solidarité Olympique Internationale. Mais comment réclamer des moyens pour faire du judo à un pays qui ne mange pas à sa faim ?  J’aimerais réaliser quelque chose d’encore plus grand. Mais on l’a vu cette année : sur une journée, tout peut arriver !

(Daniela Krukower terminera finalement au pied du podium à Athènes, battue en demi-finales par la future vainqueur japonaise Ayumi Tanimoto, puis dominée dans le combat pour le bronze par la Cubaine Driulys Gonzalez).