L’ancienne reine de sankaku-jime a raccroché en 2012, à 36 ans. Désormais directrice du football féminin au sein de la fédération française de… football et élue vice présidente en charge du haut niveau de la FFJudo en, novembre dernier, elle porte un regard panoramique sur le sport en général et sa famille de cœur. Un parcours remarquable.

Une fille pressée
« Avant le judo, j’ai fait de la gym et du foot et, très vite, j’ai été attirée par les matches du week-end. Le problème, c’est qu’à l’époque, au foot, les filles pouvaient s’entraîner mais, pour ce qui est des matches, notre présence était, disons, plus… facultative. Comme un mes deux grands frères faisait du judo et que, là, il était possible de partir en compétition régulièrement, ma mère m’a inscrite. J’avais 8 ans et j’ai tout de suite accroché. J’ai ensuite eu la chance d’être détectée par Guy Delvingt, un entraîneur hors pair. J’étais alors une petite crevette de 43kg surclassée de deux ans. J’avais fait un gros combat en finale des Interrégions face à une fille expérimentée qui préparait à l’époque les Europe espoirs. Guy m’a vue et est allé parler à mes parents. C’est comme ça que je suis entrée au Centre national de judo qui regroupait des pointures comme Djamel Bouras, Darcel Yandzi ou Jérôme Dreyfus… Ensuite, c’était parti. »

Bienvenue au club
« J’ai eu la chance d’avoir ma famille en région parisienne. Du coup, je n’ai pas ressenti de manque affectif à ce niveau, contrairement à beaucoup de ceux pour qui l’entrée à l’Insep va de pair avec une sensation de déracinement. J’ai également eu la chance également de rencontrer des filles comme Anne-Lise Pupat, Soïzic Pallancher, Karine Nedellec ou Karine Paillard, qui m’ont très vite fait me sentir bien en équipe de France jeunes. Je dois aussi une fière chandelle à mes premiers profs, Thierry Thirion et Philippe Taurines, qui m’ont fait comprendre très tôt qu’une des clés de mon épanouissement futur serait de trouver un club qui me correspondrait. C’est ce qu’il s’est passé avec l’USO qui, tant côté filles que côté garçons, est rapidement devenu ma seconde famille – voire la première, tant nous partagions tout : les joies, les peines, les doutes, les conseils… Parfois, les jeunes ne mesurent pas assez l’importance d’avoir cette stabilité-là en dehors de l’encadrement Insep. Les deux sont complémentaires. C’est un équilibre, un bloc de solidarité et donc un gage de solidité. Ce choix est un vrai tournant dans une carrière. La liste est longue de ceux qui n’ont pas été aiguillés comme il faut et ont lâché petit à petit… »

 

Contemporaine d’une légende
« Je suis arrivée en équipe de France au moment du titre olympique de Cécile Nowak. Lorsqu’elle est montée en -52kg, il y a soudain eu une place à prendre, et nous étions plusieurs sur les rangs : Sylvie Meloux, Martine Dupond, Sarah Nichilo, Bénédicte Nardou-Rouby… À l’international, c’était l’âge d’or des Cubaines mais aussi et surtout de la Japonaise Tamura-Tani. Elle est née en 1975, comme moi, et ça, ça a été à la fois une bénédiction et une malédiction. Une bénédiction parce qu’avoir un engin comme ça, soit tu baisses les bras, soit tu te retrousses les manches et tu hisses ton niveau – ce que je pense avoir essayé de faire. Et une malédiction – même si je trouve le mot un peu fort – parce qu’elle m’a souvent battue et que, sans elle, mon palmarès aurait certainement été plus étoffé. Je reste convaincue d’ailleurs que si les mondiaux avaient été annuels à cette période, j’aurais fini par la battre. Pour autant, je n’étais pas obsédée par elle – l’encadrement l’était plus que moi [Sourire]. J’étais centrée sur moi et elle, elle était sur mon chemin ; ne pouvant pas faire sans, il fallait faire avec, c’est tout. C’est marrant d’ailleurs d’observer qu’elle s’est ensuite lancée dans la politique comme moi à un moment donné et que, en France, Cécile Nowak est à présent responsable de la formation des cadres et de la féminisation au sein de la FFJDA, Martine Dupond a été directrice des équipes de France féminine et masculine… Il y a comme une communauté d’engagements et de thématiques chez nous autres anciennes -48kg, non ? »

Trop, mieux que pas assez
« J’ai sans doute disputé la saison de trop avant les JO de Londres mais tu sais quoi ? Je suis heureuse de l’avoir faite, malgré ce trauma crânien pas rigolo en décembre à Tokyo qui m’a valu d’arriver sans repères aux Europe cinq mois plus tard, lesquels étaient décisifs pour la qualif aux Jeux. Cette dernière année m’a permis de voir venir l’heure du déclin et de me dire que le moment était venu, sans aucun regret. Il s’est écoulé 18 ans entre mon premier et mon dernier Tournoi de Paris, j’ai été vice championne olympique, quatre fois médaillée mondiale, trois fois championne d’Europe. J’ai disputé les finales de toutes les grandes compétitions qui existent, gagné des titres, des coupes du monde et tenu la dragée haute aux meilleures… Franchement, je n’avais pas à rougir, surtout que je termine ma carrière sans aucune opération, ce qui est très rare dans le haut niveau – merci l’hygiène de vie ! Deux ans avant, j’avais accepté la proposition de TF1 de disputer Koh-Lanta et ces quelques semaines loin de tout m’avaient permis de prendre du recul sur beaucoup de choses. Faire le deuil d’une carrière et surtout l’accepter, ça n’est facile pour personne. Moi, j’étais prête, et commenter les Jeux pour France Télévisions a été une super transition. »

La vie d’après
« J’étais à fond dans le judo depuis mes quinze ans. J’avais besoin d’oxygène, d’acquérir de nouvelles compétences et d’avoir une autre approche du sport et du monde professionnel. C’est très dur de quitter ce monde-là sans savoir si tu le retrouveras un jour. Les odeurs, le côté tactile, les pieds nus sur le tatami… Le manque est physique et émotionnel, et je comprends tout à fait ceux qui y restent. Pour ma part, j’ai pu le faire en deux temps. J’ai d’abord eu le privilège de pouvoir être entraîneure nationale, ce qui m’a permis de basculer sur la performance d’autrui. Puis j’ai eu l’opportunité d’intégrer le cabinet de Valérie Fourneyron, alors Ministre des Sports*, où j’ai pu m’occuper des thématiques femmes et sports et travailler avec d’autres ministères sur la loi Egalité de 2014 – une expérience précieuse ! Et c’est là que la FFF est venue me chercher, pile au moment où le foot féminin commençait à décoller. »

Le chemin des dames
« Au foot, j’ai découvert une fédé incroyable. À l’image de la DTN, chaque direction est innovante et performante. Le sport aujourd’hui est une mouvance qui doit se penser à 360°. Elle s’envisage en termes de produit, de parcours de performance, de stratégies de développement, de structures et de rouages. Le foot m’a appris à quel point les districts et les ligues sont le bras armé d’une fédération, et qu’il est vital de raisonner en termes de management transverse. Fidélisation des licenciés, anticipation des attentes, équipe de France (individualisation ou individualisme ?), sponsors, droits télé, valorisation des éducateurs, des bénévoles, des arbitres, des dirigeants… Ces questions sont aujourd’hui mon quotidien et nourrissent ma réflexion, au-delà de la thématique du football féminin dont j’ai aujourd’hui la responsabilité. À mon grand regret, je n’ai plus trop le temps d’enfiler le kim’ mais je continue à suivre de très près aussi bien les compétitions que le développement dans son ensemble  – ce qui fait que mes collègues m’appellent toujours la judoka (..) Si les solutions football ne peuvent pas se calquer à l’identique sur le système judo, des passerelles existent, c’est certain. Car au fond, les leviers sont partout les mêmes : il y a le diagnostic, la vision et la volonté. Et les ramifications sont immenses. »

*Ministre des Sports, de la Jeunesse, de l’Education populaire et de la Vie associative

Propos recueillis par Anthony Diao
Photos : Christophe Petit-Tesson

À nos lecteurs :  cet article est paru en octobre-novembre 2017, dans L’Esprit du Judo n°70. Le magazine est disponible ici