Un dimanche marqué aussi par le premier double hansokumake
Si les deux premiers jours avaient révélé, face à une opposition très forte, deux belles promesses côté français avec Sarah-Léonie Cysique (-57kg) et Alpha Djalo (-81kg), ce dimanche n’aura vu aucun des cinq engagés français médaillé, ni même classé. Côté étranger, Mikhail Igolnikov, le -90kg russe, marque les esprits en mystifiant Mashu Baker, le champion olympique en titre, en finale. Chez les féminines, Ruika Sato (-78kg) et Sarah Asahina, chez les lourdes, ajoutent deux titres dans l’escarcelle japonaise. Mais ce qui restera surtout de cette ultime journée, c’est le double hansokumake infligé à Takeshi Ojitani et Hisayoshi Harasawa en finale des +100kg. Une décision forte, mais dont la portée symbolique ne sert visiblement pas le judo.
La France reste à trois médailles
Élimination précoce pour Julian Kermarrec (-90kg) qui subit après une minute un surprenant mouvement d’épaule à gauche (les deux mains sur le poignet !) du Letton Duda Davis, 21 ans et 91e à la ranking list et visiblement dans un bon jour puisqu’il finira septième. Même scénario pour Joseph Terhec (-100kg) qui s’incline lors de son premier combat, aux pénalités, contre l’Allemand Karl- Richard Frey. En -78kg, Samah Hawa Camara se montre opportuniste face à Antonina Schmeleva, profitant d’un relâchement de la Russe sur une liaison debout-sol pour lui déplier le bras sur juji-gatame. Mais au tour suivant, c’était Mayra Aguiar, la très puissante Brésilienne, championne du monde en titre. Médaillée de bronze à Rio, cette dernière place à mi-combat un joli tsubame-gaeshi à la Française pour ippon. Enfin, les deux +78kg françaises, elles, avaient un coup à jouer en cas de résultat probant, dans une catégorie sans leadership clair.
Occasion manquée pour Julia Tolofua, qui bat la Kazakhstanaise Gulya Issanova aux pénalités, avant de subir le mouvement de bras de Larisa Ceric qui amène au sol la championne de France en titre et l’immobilise, à la toute fin des quatre minutes. Idem pour Anne-Fatoumata M’Bairo, qui passe le premier tour face à la Tunisienne Sahar Trabelsi mais qui, dès le début du combat suivant, se fait enrouler par l’Azerbaïdjanaise Iryna Kindzerska sur un makikomi que cette dernière enchaîne en ne-waza jusqu’aux vingt secondes synonymes d’ippon.
La France finit donc à trois médailles (une d’argent et deux de bronze) et avec quelques informations supplémentaires : Mélanie Clément, avec sa médaille glânée vendredi, se repositionne comme la leader des -48kg. En -57kg, Sarah-Léonie Cysique, en bronze, elle aussi, s’affirme comme une n°2 crédible en l’absencede Priscilla Gneto, derrière Hélène Receveaux. En -81kg, le très beau parcours d’Alpha Djalo, finaliste hier, fait du Racingman le candidat le plus probant à une titularisation aux championnats d’Europe, dans une catégorie qui se cherchait justement un prétendant.
Igolnikov, la montée en puissance d’un diamant
Judoka parmi les plus prometteurs de sa génération (triple champion d’Europe cadets, champion d’Europe et vice champion du monde juniors), Mikhail Igolnikov, 21 ans, a confirmé hier qu’il faudra sans aucun doute compter avec lui et son talent au tout meilleur niveau en remportant son premier Grand Chelem. Une victoire convaincante, pour celui qui ne loupe que très rarement un podium (la dernière fois c’était à Rome, en 2017, après un hansokumake très discutable). Dans une finale alléchante face au champion olympique japonais Mashu Baker, dont c’était la première compétition depuis Rio, Igolnikov profitait d’un o-uchi-gari lancé de trop loin pour placer un superbe nidan-ko-soto-gake à l’ancien étudiant de Tokai, lourdement strappé à l’épaule gauche. Un mouvement similaire à celui utilisé par Denis Iartcev pour battre Pierre Duprat samedi. À croire que ce mouvement avait été travaillé par l’équipe masculine russe. Puissant gaucher avec un judo qui tourne autour d’un uchi-mata très aérien, de ko-uchi-gari et de-ashi-barai/ko-soto-gake, Mikhail Igolnikov a marqué les esprits ce dimanche.
En -100kg, Varlam « Lipo » Liparteliani s’adjuge lui aussi son premier Grand Chelem dans sa nouvelle catégorie. Remarquable de régularité depuis sa montée de poids, le Géorgien devient avec cette victoire n°1 mondial. En finale, il bat l’étonnant Irlandais Benjamin Fletcher (vainqueur du Grand Prix de Tunis). Chez les féminines, Ruika Sato marque des points avec sa victoire, hier. Battant Aguiar aux pénalités, la Japonaise, en bronze à Tokyo, réalise le meilleur résultat des prétendantes nippones de la catégorie lors des deux Grands Chelems européens, puisque Shori Hamada ne ramenait que le bronze il y a deux semaines à Paris. Ruika Sato ? Une droitière puissante, n°9 mondiale, dont on se rappelle sa finale aux couteaux contre Audrey Tcheuméo à Paris l’année dernière.
Sarah Asahina, elle, est sans rivale. Nouvelle victoire pour l’étudiante de Tokai de 21 ans, qui bat en finale la Tunisienne Nihel Cheikh Rouhou, médaillée des mondiaux Open de Marrekesh en fin d’année dernière.
Après sa victoire aux championnats du monde Open et à Tokyo, et l’expérience d’une finale perdue un peu naïvement aux pénalités à Budapest, on peut se demander qui pourrait empêcher cette judokate formée au Kodokan de s’imposer à Bakou, fin septembre.
Harasawa/Ojitani, un double hansokumake qui fait scandale
La scène fait désormais le tour des réseaux sociaux : il reste deux minutes et onze secondes à combattre lorsque l’arbitre central inflige un troisième shido simultané à Hisayoshi Harasawa et Takeshi Ojitani lors de cette finale des +100kg. Alors que le premier leur demande de saluer, les deux lourds nippons, ne comprenant pas vraiment ce qui se passe, regardent la table des officiels, avec flegme mais incrédulité (toute japonaise). Les nouvelles règles promues en ce début d’année 2018 permettent désormais la défaite simultanée de deux combattants. Payant, selon l’arbitre, leur passivité excessive, le vice-champion olympique 2016 et le médaillé de bronze aux championnats du monde Open 2017 se retrouvaient donc sur la deuxième marche du podium lors de la dernière cérémonie du jour. Image ô combien forte mais tristement négative pour le judo et ses symboles.
La FIJ a-t-elle voulu prouver, par cette décision, qu’elle n’hésiterait pas à passer des mots (le règlement) aux actes ? Si c’est le cas, alors l’effet rendu est, à première vue, indubitablement mauvais puisque, dans la communauté des judokas, c’est l’effarement qui prédomine devant cette première double élimination. Une première que beaucoup notent comme une nouvelle atteinte au symbolisme du judo : imagine-t-on un combat entre « guerriers » sans vainqueur ? Une première réaction suivie d’une crainte quant à l’image renvoyée par cette décision inédite : ce public (toujours introuvable), Graal chimérique qui justifie les changements de règle de ces dernières années, comprendrait-il qu’un combat puisse se terminer avec deux perdants ? Difficile à croire… Ensuite, l’image d’un arbitrage international allant toujours plus avant dans l’oubli des principes du judo et ignorant, parfois, ses propres règles. Lors de cette finale, le premier shido tombe après trente-huit-secondes de combat. Le deuxième est donné lui aussi trente-huit secondes après le premier… alors que Takeshi Ojitani vient tout juste de lancer un sasae-tsuri-komi-ashi !
Le troisième et ultime shido sera donné trente-trois secondes après le précédent. Des temps en contradiction avec la règle, piégeuse (comme l’avaient noté Serge Feist et Patrick Vial dans leur interview, voir EDJ n°66) édictée par la FIJ qui estime à 45 secondes le temps pour donner un shido lorsqu’une garde classique est installée. Un arbitre mécanique mais totalement décontextualisé.
Depuis que les shidos sont au nombre de trois, on peut voir apparaître une tendance arbitrale : les deux premières pénalités tombent assez rapidement, l’arbitre laissant ensuite les combattants, se sachant avec une épée de Damoclès sur la tête, « s’auto-arbitrer » par la recherche de la valeur technique décisive. Une tendance que l’arbitre central de ce combat, certes pas très spectaculaire mais entre deux combattants du même pays et se connaissant donc par coeur, n’aura même pas suivie.