Les leçons allemandes
Pour une finale perdue, l’équipe masculine japonaise ne fera finalement pas le grand chelem au Grand Chelem allemand. Qui est le fautif ? Il s’appelle Sanshiro Murao, troisième au Grand Chelem d’Osaka et vice-champion du monde junior. Arrivé en finale avec aisance grâce à ses excellentes techniques de jambe, battant au passage le champion du monde 2015 et médaillé olympique, le Coréen Gwak, ainsi que le champion d’Europe russe Mikhail Igolnikov aux pénalités. En finale, il se faisait contrer sur son mouvement favori sur une sorte d’ura-nage bien vu du très constant Mammadali Mehdiyev, un combattant d’Azerbaïdjan classé septième mondial. Comme désormais un combat se joue sur une séquence, Murao n’a jamais eu l’occasion de reposer ses mains pour revenir. Il est probable cependant que le staff japonais ne lui en voudra pas trop : il n’a en effet que… dix-huit ans. Il n’est d’ailleurs que le quatrième Japonais au classement mondial, où il se situe pour l’instant à la 46e place. Sinon, on a vu aujourd’hui un excellent Harasawa, enfin revenu à son niveau technique avec le bon rythme et l’engagement nécessaire. Le poids lourds japonais vice champion olympique et médaillé mondial a fait parler son uchi-mata avec brio, emportant notamment une très belle finale contre le jeune et épatant poids lourd russe Inal Tasoev, champion du monde juniors 2017, un apparent « pataud » qui a une sacrée vista et beaucoup d’audace. Sur son parcours, il joue avec le champion coréen Kim Sungmin, vainqueur à Paris, sort le jeune Yusei Ogawa à coup de yoko-guruma et partait dans cette finale sur les chapeaux de roue. On le reverra. De retour de sa longue absence, Riner va trouver une belle cohorte de jeunes prétendants prêts à lui prendre sa couronne, dont ce réjouissant Russe.
L’élégant Kentaro Iida, gagnant du jour en -100kg
En -100kg, c’est l’élégant Kentaro Iida qui ramenait l’or avec son habituelle sobriété, mais aussi de manifestes progrès technico-tactiques. Rarement mis en danger il sortait d’entrée le Français Maret avant d’écarter le n°1 mondial géorgien Liparteliani sur son uchi-mata, le fougueux champion du monde juniors azerbaïdjanais Zelym Kotsoiev en demi-finale sur seoi-nage – l’une de ses nouvelles armes fortes — et se payait en finale le champion du monde en titre, le Coréen Cho, sur un maître balayage. Du côté japonais le parcours magnifique de ce jeune champion d’Asie de vingt ans est sans doute l’une des meilleures nouvelles du week-end. Il n’est pas dit qu’Aaron Wolf, battu en finale à Paris par Liparteliani, reste leader pour Tokyo 2019.
Ce sera finalement Cyrille Maret, qu’on aura eu plaisir à retrouver en forme sur un premier tour, qui lui posera le plus de problème. Le Français n’était peut-être pas loin de s’imposer aux pénalités au bout d’un long golden score avant de s’envoler sur un ura-nage inattendu.
Les féminines nippones ont en revanche baissé un peu de pied, restant collé à leurs trois médailles d’or, avec l’échec de la championne du monde -78kg Shori Hamada, surprise dès le premier tour par un o-soto-gari de la Russe Antonina Shmeleva, et la défaite aux pénalités de la championne du monde Sara Asahina en finale face à la Cubaine Ortiz. Le Japon revient tout de même de sa balade allemande avec neuf médailles d’or, trois d’argent, une de bronze, une performance sans doute rarement atteinte dans un Grand Chelem. Le Brésil finit fort avec cinq médailles, deux finales et le titre de Mayra Aguiar en -78kg, un retour à considérer. La Russie confirme sa performance d’ensemble avec six médailles, dont quatre finales.
Pas de rédemption pour la France
On attendait le retour de la France aujourd’hui en mode « rédemption », rédemption pour Cyrille Maret, si souvent frustré ces derniers mois, rédemption pour Loïc Pietri, engagé pour la première fois dans cette catégorie des -90kg dans un tournoi de ce niveau, rédemption pour Audrey Tcheuméo, éclipsée depuis Bakou par la reine montante des -78kg, Madeleine Malonga. Revanche, plutôt, pour le -90kg Aurélien Diesse, qui cherche à éclore en seniors depuis son titre de champion d’Europe juniors 2017 et malgré quelques beaux éclats n’a encore pas réussi à impacter la catégorie. Enfin, les deux +78kg étaient en Allemagne pour rappeler à tout le monde qu’il n’y a pas dans cette catégorie que l’ombre de l’absente Romane Dicko. Julia Tolofua, battue en quart de finale par la Cubaine Ortiz et Fatoumata M’Bairo au même niveau par la Bosniaque Larisa Ceric, la numéro une et deux mondiales avaient joué pour voir les phases finales, mais cédaient l’une et l’autre en repêchages, face à la grande Brésilienne Altheman (6e) pour Tolofua, face à la combative Tunisienne Cheikhrouhou (11e) pour M’Bairo. Une élite mondiale qui semble encore hors de leur portée.
Aurélien Diesse sortait l’Américain Brown, mais se faisait prendre sur le seoi-nage du copieux Ouzbek Bobonov, auquel il était cependant parvenu à marquer un beau o-uchi-gari. Dans la même catégorie, Loïc Pietri passait lui aussi un tour en écartant le Polonais Rafal Kozlowski sur un seoi-nage enroulé au sol, mais se faisait contrer au second tour après une longue bataille face au champion d’Europe russe Mikhail Igolnikov. Un bilan qui montre à la fois la difficulté de prendre des points en rencontrant très tôt les grands leaders, mais aussi que le travail auquel s’astreint l’ancien champion du monde lui permet sans doute d’espérer pouvoir bientôt réussir une performance significative.
Même verdict pour Cyrille Maret, sans doute affecté de sortir encore une fois trop tôt d’un tournoi, mais face au futur vainqueur et cette fois non sans avoir lutté.
Tcheuméo, une nouvelle fois hors du podium
En -78kg, la vice-championne olympique Audrey Tcheuméo jouait son va-tout. Toujours membre du top 10 la vice-championne olympique 2016, championne d’Europe 2017 et encore vice-championne d’Europe 2018 venait de vivre à Paris, quinze jours plus tôt, l’un de ces moments qui concrétise ce qu’on n’avait encore pas voulu voir, ou dire. Elle avait été battue nettement par sa jeune rivale Madeleine Malonga qui était allée ensuite chercher une victoire éclatante devant le public parisien. Le genre de journée qui détermine les hiérarchies nouvelles, borne les carrières naissantes et finissantes. Il n’est évidemment pas dit qu’Audrey Tcheuméo lâchera l’affaire sans se battre et qu’elle n’aura pas elle aussi encore de beaux jours de combattante. Mais, cette fois, en Allemagne, ce sont surtout ses limites du moment qui sont apparues. Volontaire, elle tentait d’affirmer un kumikata dominant, gagnant deux de ses trois premiers combats aux pénalités. Mais la jeune Allemande Anna-Maria Wagner se rebellait et finissait par lancer une attaque de jambe qui dévoilait la fragilité défensive de la championne française. En place de trois, elle prenait la solide Autrichienne Graf, qui profitait d’un décalage favorable pour jouer à « je prends, je lâche et je recommence », un piège dont Tcheuméo ne parvenait pas à sortir. Le piège plus large qui se referme sur la Française ? La perte du leadership et donc de la sélection directe pour Tokyo en 2019. Il faudra prendre les occasions à bras le corps pour espérer être du voyage sur l’un des deux strapontins restants. Ils seront chers. La sélection olympique s’est nettement éloignée ce dimanche de février.
Quant à la France, elle sort de ce Grand Chelem allemand balayé par la force nippone avec une seule médaille de bronze, pour la jeune Sarah-Léonie Cysique en -57kg. Une bonne nouvelle, mais qui n’occulte pas le zéro pointé masculin, second de suite après le symbolique échec de Paris. La course aux points ne se présente pas bien.
L’arbitrage ne va pas bien
Une dernière leçon allemande ? La tragique dérive de l’arbitrage, qui est en train d’instaurer, comme on pouvait s’y attendre, un système de contrôle du combat qui élimine le judo lui-même. En quatre minutes, que les combattants soient engagés ou non, l’arbitre est intervenue entre trois et quatre fois, ce qui laisse peu de temps pour les séquences de judo et oblige les combattants à entrer dans un rythme spécifique fait de fausses attaques obligatoires si on ne veut pas être sanctionné. Encore moins de temps pour installer du judo dans un combat ou, finalement, les pseudos attaques et l’incessant combat pour faire lâcher sont entérinés par le corps arbitral. Désormais les combats entre les leaders sont résolus par l’arbitre d’une dernière pénalité et tout le monde s’accorde sur ce modèle, même les combattants eux-mêmes toujours rapides à s’adapter et à tirer profit du nouveau modèle. C’est ainsi que, mené d’un waza-ari par le Japonais Iida, le Coréen Cho, comme une caricature du modèle, a enchaîné en quelques secondes dans la fin du combat une dizaine d’attaques à genoux sans préparation pour tenter d’obtenir une pénalité décisive. On flirtait avec le ridicule.
La finale des -52kg entre la Kosovare Kelmendi et la jeune Mongole Lkhagvasuren ? Pénalité, comme d’ailleurs trois des combats gagnés par Kelmendi sur cinq. La finale des -81kg entre le Japonais Fujiwara et le Russe Lappinagov ? Pénalité. Le Japonais gagne trois de ses cinq combats sur pénalités. Le quart de finale en -90kg entre le Japonais Murao et le Russe Igolnikov ? Pénalité. La place de trois entre Tcheuméo et l’Autrichienne Graf ? Pénalité. La place de trois en +100kg entre le Mongol Ulziibayar et le Japonais Ogawa ? Pénalité. La finale des +78kg entre la Cubaine Ortiz et la Japonaise Asahina ? Pénalité. On pourrait en citer beaucoup d’autres. Le perdant là dedans ? Le judo et ceux qui l’aiment. Nous tous.