La championne du monde emporte son cinquième titre à Paris
Il aura manqué beaucoup de choses à ce premier jour de Grand Chelem de Paris 2019. Des Français en course pour les médailles, du moins en plus grand nombre, de grands héros, des Japonais en forme et de très grands duels. Il aura manqué de la passion surtout, du fait de cette relative faiblesse générale des enjeux et des acteurs. Des Japonais, il y en avait pourtant — dont le numéro un mondial -66kg Hifumi Abe, mais il se faisait sortir dès le premier tour. Une surprise de ce jour, mais dans le mauvais sens. La délégation japonaise a néanmoins assuré les affaires courantes, avec déjà quatre médailles d’or aujourd’hui, deux pour les garçons, deux pour les filles. Mais malgré le talent du -60kg Takato et du -73kg Hashimoto, le public ne vibra qu’à demi. Avec vingt-quatre combattant(e)s français le matin pour trois médailles le soir, toutes féminines, le ratio n’était pas très réjouissant du côté du pays hôte. Il faudra tirer les enseignements de la performance nationale à la fin de la foire mais, pour le moment, comme c’est souvent le cas, les filles sont présentes, malgré quelques déceptions, comme l’absence de médaille en -57kg d’Hélène Receveaux et d’Automne Pavia (laquelle faisait tout de même une belle journée pour son retour à ce niveau), les garçons, non. D’ores et déjà, l’échec des -60kg présents, Luka Mkheidze le dernier de nos titulaires en équipe de France dans cette catégorie, mais aussi de Vincent Limare, récent champion de France, des quatre -66kg dans lesquels on ne distingue toujours aucun leader, des meilleurs -73kg – malgré la septième place du rugueux trentenaire Guillaume Chaine — vont avoir des effets à long terme sur la sélection aux Jeux 2020, et à moyen terme sur la préparation des championnats du monde 2019.
Denis Vieru, de l’or pour la Moldavie !
Il serait quand même injuste de ne pas apprécier à sa juste valeur les bons moments et les belles histoires de cette journée, car il y en a eu. Du côté étranger, il faut souligner la dynamique du grand duel canadien en -57kg entre l’ancienne Japonaise Christa Deguchi, déjà tenante du titre, et sa rivale Jessica Klimkait, victorieuse du Grand Chelem japonais et toujours mieux classée mondialement que Deguchi. Dans leur face-à-face, c’est pourtant la « Japonaise » qui l’a emporté quatre fois sur quatre, la dernière en date en finale ce samedi à Paris sur un o-soto-otoshi/tai-otoshi efficace.
Le public se sera délecté de la performance de l’un de ses favoris : le « showman » italien Fabio Basile, qui réussit à Paris sa troisième médaille en Grand Chelem dans son style flamboyant. L’inattendu champion olympique des -66kg contrôle parfaitement sa montée en -73kg et entre désormais dans la zone de qualification olympique. Une mauvaise nouvelle pour les prétendants français (comme pour les autres).
Enfin la plus grande prestation du jour sur le plan technique est peut-être à l’actif d’un presque anonyme, le Moldave Denis Vieru, vingt-deux ans, l’un des meilleurs juniors mondiaux en 2015-2016 et désormais révélé en seniors, avec deux médailles en Grand Prix en 2018 et cette victoire magistrale à Paris en -66kg, qu’il conclue par un tai-otoshi d’anthologie sur le n°2 mondial, le Géorgien Margvelashvili. Encore un homme qu’on n’attendait pas.
La révélation Vaugarny
Du côté français, Astride Gneto aura eu le grand mérite d’atteindre la médaille en -52kg. Elle gagne quatre combats sans marquer beaucoup de valeurs, en battant des filles moins bien classées qu’elle aujourd’hui, mais de vraies clientes tout de même, notamment la Roumaine Andrea Chitu, championne d’Europe et double finaliste mondiale, ou la Mongole Urantsetseg Munkhbat, numéro deux mondiale en -48kg. Il va lui falloir trouver le moyen de s’engager pour faire tomber, mais la petite sœur Gneto prouve qu’elle reste dans la course.
En -48kg, la journée semblait vouloir sourire à la titulaire en équipe de France Mélanie Clément, victorieuse, elle aussi dans un style très tactique et peu prolifique en valeurs, d’une « top10 » de haute volée, la Kazakhstanaise Galbadrakh et apparemment en route vers une médaille. Mais – patatra — tout s’écroulait sous la poussée de la fille la plus remuante du moment, Mélodie Vaugarny, déjà en or à l’Open de Bulgarie il y a une semaine. Toute la journée sur un mode très réjouissant d’attaquante sans frein à main, elle s’offrait une magnifique défaite contre la future médaillée d’or, la Japonaise Kondo, qu’elle agressait si fort d’emblée qu’elle lui marquait waza-ari avant d’être projetée sur un second clash et fixée au sol. Elle s’offrait surtout une magnifique victoire contre Mélanie Clément, qu’elle renvoyait dans le doute en quelques secondes dans la place de trois, sur un magnifique tai-otoshi en reprise qui fera date. C’est peut-être en effet le mouvement qui l’enverra aux championnats du monde à Tokyo, si elle confirme. Elle a manifestement le tempérament et le judo pour le faire.
Agbegnenou écrit la légende de Paris, et la sienne
Enfin il y a Clarisse Agbegnenou. Tout ce qui avait manqué au public sur le reste de la journée, il allait le retrouver concentré dans la victoire de la championne du monde 2018 à Paris, sa cinquième ce samedi. En l’absence de Miku Tashiro, sa meilleure adversaire japonaise, c’est la championne du monde 2015 et championne olympique 2016 slovène Tina Trstenjak qui se dressait devant elle dans une forme manifestement presque entièrement retrouvée. Un grand duel, de grandes combattantes, des enjeux et du judo… le public pouvait monter en pression et scander le nom de Clarisse, pour l’accompagner dans ce combat à la masse d’arme, engagé à l’extrême, où la Slovène ne voulait pas céder devant l’implacable Française. Un vrai grand combat comme on aime à Paris, qui se terminait au golden score sur une action formidable en ko-uchi-gari d’Agbegnenou, laquelle donnait tout ce qu’elle avait pour renverser finalement son adversaire sur le dos… et se blessait à l’épaule au passage*. Un exemple d’engagement total, sans réserve qu’on connaissait bien du côté de celle qui pourrait devenir la Française la plus médaillée de l’histoire, qui a affiché aussi un niveau technique de plus en plus étoffé – un très beau et efficace ko-uchi-gari, son « bras-tête » au sol qu’elle enclenche désormais systématiquement. La bonne nouvelle de ce samedi, c’est elle.
Merci donc à Clarisse d’avoir continué à écrire la légende du grand tournoi parisien, merci à Tina de l’avoir poussée à son meilleur, pour la plus grande gloire du judo et du Tournoi de Paris. Amen.
*A priori la pointe de l’épaule n’est pas touchée, mais l’entourage de la championne était réservé ce soir. En route pour les examens pour clarifier l’étendue des dégâts.