Et pas de médaille masculine, c’est historique…
Tout ce qu’on pourra dire sur cette seconde journée de Grand Chelem – et il y a de quoi raconter — sera occulté en partie par ce fait majeur, incontournable et historique : la sélection masculine française, vingt-sept combattants, notre élite moins quelques absents sur blessure, n’a récolté aucune médaille, et c’est la première fois depuis 1971, date de création de notre tournoi parisien. Aucune médaille masculine française à Paris ! Plus on le répète, plus cela fait mal. Pourtant, l’équipe japonaise présente, manifestement loin de son pic de forme, laissait des espaces, dont profitait par exemple la délégation coréenne pour prendre deux titres masculins aujourd’hui, ou la Moldavie pour placer hier sur la plus haute marche un jeune outsider. Mais voilà. Nos combattants sortent de ce week-end avec deux places de septième pour toute référence, loin, très loin de nos standards moyens, et loin même de nos plus mauvaises performances historiques, soit deux médailles en 2008, trois en 2006 et 2007, 2012 et 2013, 2015 et… 2018, l’année dernière. À vrai dire, ce n’est pas tant que cela une surprise. L’alarme a été tirée il y a longtemps déjà, le constat était fait : cette équipe ne tient que sur ses piliers anciens et son assise s’amenuise à mesure que leurs forces viennent à manquer, tant qu’ils ne sont pas relayés par des épaules jeunes et fortes.
La frustration d’Alex Iddir
Personne hier n’a su se faire remarquer dans la posture du potentiel d’avenir et, aujourd’hui, malgré quelques très beaux démarrages — comme la victoire d’Armann Khalatian en -81kg sur Takeshi Sasaki, vainqueur du Grand Chelem du Japon et du Masters — qui auguraient bien des grandes épopées dont le public parisien est friand, toutes les velléités de gloire finissaient par s’estomper dans la poussière retombante des affrontements perdus. On attendait donc, encore, que les hommes d’expérience sauvent la patrie en danger. Malheureusement, Axel Clerget, qu’on voyait bien dans le rôle, se blessait après un bon début de journée (notamment en écartant le Néerlandais Klammert, face auquel il restait sur une défaite aux championnats du monde 2017). Malheureusement, l’homme fort de ces dernières années, le quintuple médaillé européen et bronzé olympique, le sauveur numéro un Cyril Maret, sortait une nouvelle fois perdant d’un premier tour contre un combattant qui n’a plus fait de performance depuis sa médaille mondiale de 2014. Et malheureusement, Alexandre Iddir, qui promettait d’être la belle histoire du jour en -100kg, magnifique sur deux premiers tours très difficiles, dont l’un contre le vice-champion olympique 2016 et médaillé mondial 2017, l’Azerbaïdjanais Gasimov, perdait d’abord contre son vieux rival, le triomphant Géorgien Varlam Liparteliani – ce qui n’était pas si grave car il faisait un combat déterminé et son adversaire est tout de même n°1 mondial – ensuite, de façon très inattendue, alors que la situation semblait favorable et que tout le monde espérait le voir prendre le taureau par les cornes et son destin en main, contre le modeste Croate Zlatko Kumric, qui le déroulait sans trop de résistance sur un makikomi ordinaire. Pourquoi ? C’est sans doute un peu la question qu’il doit se poser lui-même. Car les astres étaient alignés. Cela devait être sa journée… Dans quelle disposition est Axel Clerget, qui va affronter au mauvais moment les aléas d’une blessure qu’on espère légère? Pourquoi le colosse Maret passe-t-il par une si mauvaise période – il n’a plus rien fait depuis sa finale européenne 2018 — alors qu’il semblait si fiable il y a peu ? Peut-il sortir de cette spirale ? Des questions, des inquiétudes, qui rappelle la fragilité actuelle des assurances du groupe France pour les masculins.
Éternelle transition
Car entre cette élite qui abandonne progressivement la table et la jeune classe qui tente en vain de s’y installer, il n’y a rien. Quand l’une défaille, l’autre semble invariablement trop tendre, trop loin, pour combler la distance. Et nous voici dans la mauvaise conjonction qu’on craignait voir arriver : une transition qui dure, et laisse des élites de plus en plus seules, de plus en plus modestes, mais aussi un niveau général du judo masculin français qui n’a plus assez d’impact pour jouer l’intrusion, la bonne surprise. C’est inquiétant. Au sortir de ce tournoi de Paris qui restera marqué d’une pierre noire, car nous voici à l’os, il faut du sang-froid pour se rappeler que Teddy Riner est encore là (au moins pour un grand défi olympique), qu’Axel Clerget est toujours dans le top 10, qu’Alexandre Iddir, malgré la frustration du jour, est sur une phase ascendante et que Cyrille Maret a sans doute encore de l’énergie dans le moteur et ne calera pas tout à coup. Du sang froid, il en faudra à cette équipe de France masculine, à son encadrement dont on imagine la tension, pour pousser d’un coup de pied le fond de la piscine, en continuant à faire éclore le groupe de demain et autour de lui le cercle de talents et d’énergie qui devra le concurrencer pour le faire avancer. Ce n’est pas la découverte du jour, mais le bilan du week-end en renforce l’évidence : il y a du travail.
Un renouvellement pour plus de concurrence
Bien sûr, il y a les filles. Cette fois encore, les nouvelles sont rassurantes sur ce front, même si, avec cinq médailles, elles sont sur une limite basse. Mais avec trois finales et deux titres, la récolte reste bonne, et rassurante. La tendance du week-end ? Autour du pivot Clarisse Agbegnenou, elle est au renouvellement, ou du moins à la contestation des élites. Mélodie Vaugarny en -48kg qui « tai-otoshise » Mélanie Clément et Astride Gneto en -52kg (en l’absence d’Amandine Buchard) hier sur le podium, Margaux Pinot en -70kg et Madeleine Malonga en -78kg ce dimanche, à l’assaut de la finale devant la médaillée mondiale Marie-Eve Gahié (-70kg) et la star mondiale et olympique Audrey Tcheumeo — que Madeleine Malonga, éclatante de puissance et d’assurance ce dimanche, se chargeait d’écarter elle-même sur un énorme ko-soto-gake qui résonnait dans Bercy comme une passation de pouvoir. Elle battait ensuite les doigts dans le nez la Japonais Sato, numéro deux mondiale. Quant à Marie-Eve Gahié, apparemment dans une forme moyenne, elle subissait deux énormes uchi-mata de la part des deux Japonaises du jour, quand Margaux Pinot en battait une, Saki Niizoe, quatrième mondiale. Une sacrée performance générale pour une sacrée combattante. Margaux Pinot n’en finit pas de montrer qu’elle a vraiment le mental et un style efficace. Vingt-deuxième mondiale avant ce Grand Chelem, elle s’affirme une fois encore avec ses seoi et ses ko-uchi-makikomi et vient progressivement contester l’aura de la numéro deux mondiale Gahié. Elle perdait aux pénalités sa finale quand Madeleine Malonga la gagnait sur le même score (après un premier waza-ari) face à l’Allemande Malzahn. Deux finale mal arbitrées d’ailleurs et qu’on aurait aimé voir aller au bout de l’histoire. Mais, somme toute, un rendez-vous parisien intéressant pour l’avenir avec le renforcement d’une opposition qui ne peut que hisser le niveau général. De ce côté là, tout va bien.
Varlam, Sungmin, Dominic…
La Géorgie continue d’impressionner avec quatre médailles masculines et un leader impeccable et charismatique : Varlam Liparteliani, qui a digéré sa montée en -100kg en un an et s’affiche déjà en grand leader de cette nouvelle catégorie. La Corée, en or en -90kg avec Gwak, ramène sur le devant de la scène un rival pour Riner, Kim Sungmin efficace en contre sur le Japonais Harasawa en +100kg. L’Allemagne installe un combattant en or, pour la première fois depuis Ole Bischof en 2012, et dans cette même catégorie des -81kg avec Dominic Ressel. Bien que le meilleur du jour à ce poids devait sans doute être le champion du monde iranien Saied Mollaei, qui s’est auto-immolé en pleurant devant le Kazakhastanais Mussayev en quarts, pour ne pas avoir à rencontrer en demi-finale l’Israélien Muki. Splendeur de la politique…
Et l’équipe japonaise, pourtant bien poussive au regard de ce qu’elle produit d’habitude, emporte cinq des huit finales qu’elle s’offre en ce mois de février parisien pluvieux. Elle domine la France sans discontinuer à Paris depuis 2014.