Le Grand Chelem de Tbilissi, pour la France, c’est d’abord une frustration, celle d’un séjour avorté, retour en urgence après le stage, sans passer par la case compétition. Pourtant il s’est déjà passé de belles choses en Géorgie en ce premier jour et il est bien dommage que la France n’ait pas pu jouer sa partie.
Une première journée qui donne envie, tant elle a été ensoleillée par de jeunes leaders manifestement imperméables à la morosité du temps, et en plus, c’est essentiel, tout à fait réjouissants du côté de l’expression judo.
Les championnes sont de sortie
Chez les féminines, l’absence des Françaises, évidemment, en plus de celle des Japonaises, ouvre le champ, et permet à de belles combattantes de réaffirmer leur pouvoir. La « machine » mongole en -48kg, Urantsetseg Munkhbat, a déroulé. Quatre ippons, dont trois au sol, avec un spectaculaire renversement en enroulement avec levier sur le bras en prime, l’éternelle leader du judo féminin mongol est en forme avec une deuxième médaille d’or de suite après le Grand Chelem de Tashkent. La voici prête pour son dixième championnat du monde seniors et ses troisièmes Jeux. Un bon point pour l’Italie avec la première finale dans un grand tournoi de Francesca Milani. Le Judo national transalpin a vraiment repris de belles couleurs.
En -52kg, l’Italie à l’honneur encore avec ce qu’elle peut produire de meilleur : le judo vif et technique de la vice championne olympique et championne d’Europe en titre Odette Giuffrida, qui mystifie la grande Anglaise Chelsie et ses longs segments en finale. À seulement 26 ans, l’Italienne a de très belles choses à faire encore devant elle.
Eteri Liparteliani marque un grand coup
C’est en -57kg que l’aventure est la plus folle. Alors qu’on attendait la confirmation tranquille de la championne du monde canadienne Christa Deguchi, victorieuse en 2020 du tournoi de Paris, elle était victime de l’exploit du jour : un contre de la Géorgienne Eteri Liparteliani sur celle qui est peut-être la meilleure technicienne actuelle du plateau féminin, très généreusement compté ippon. La Canadienne avait surclassé ce combat, marquant un waza-ari dès la onzième seconde sur un magnifique o-uchi-gari, puis obtenant deux pénalités, avant de lancer un seoi-nage bas que parvenait à esquiver la Géorgienne, tout heureuse de pouvoir pousser Deguchi sur le dos. Une Géorgienne à surveiller, surtout dans cette catégorie stratégique pour le par équipes, car Eteri Liparteliani, qui joue beaucoup sur sa puissance de saisie, se « paye » aussi en quart de finale la jeune Russe championne d’Europe 2019 Daria Mezhetskaia sur une combinaison ko-uchi-gari / ko-soto-gari digne d’un Suzuki de la grande époque ! La Slovène Gjakova parvenait cependant à la maintenir à distance en finale et lui distillait un joli sasae pour tirer les marrons du feu. On aurait bien aimé voir Sarah-Léonie Cysique dans ce tableau intéressant.
Deux finales ouzbéko-géorgiennes
Première finale géorgienne à Tbilissi, qui allait être complété par les deux finales masculines des hommes du pays. Timur Nozadze en -60kg, vice champion d’Europe -23 ans et troisième combattant dans la catégorie derrière Lukhumi Chkhvimiani et Amiran Papinashvili. Vazha Margveliashvili en -66kg, le n°3 mondial. Après deux finales successives, Nozadze l’emporte, mais par une disqualification douteuse sur un geste qui aurait dû valoir waza-ari contre lui. Quant au puissant Margvelashvili, après avoir arrêté le Moldave Vieiru (dans un combat qui ressemblait à un randori de grande classe) en surpassant une tentative de uchi-mata par un grand mouvement de hanche, il était propulsé d’entrée sur un o-uchi-gari transformé en uchi-mata à deux mètres en dehors du tapis – un ippon épatant de détermination et d’audace.
Des frangins en pleine montée en puissance
Mais qui étaient les empêcheurs de gagner en rond ? Deux Ouzbeks venus sur les plates-bandes géorgiennes, deux frangins, et surtout, il faut encore une fois le signaler avec jubilation, deux formidables judokas capables de transformer les combats, avec des adversaires de valeur, en véritable feu d’artifice. Une tendance classique, voire « japonaise », qui détonne presque dans ce groupe ouzbek qu’on a connu plus globalement rugueux, mais toujours capable de produire de temps à autre des combattants de classe. Un judo en pleine bourre aussi, avec un effet « Iliadis » vraiment spectaculaire qui vient valoriser l’ensemble.
Kemran Nurillaev a 24 ans et un judo tout en technique de jambe. Médaillé de bronze à Tashkent, il passe encore une marche, en battant au passage sur un ko-uchi-gari énorme un autre étincelant, le dernier champion d’Europe -23 ans, le Russe Konstantin Siméonidis, excellent dans ses déplacements et ses mouvements d’épaule foudroyants. En finale, le combattant ouzbek tentait un mouvement inattendu et efficace, une forme de yoko-wakare très engagé avec une garde unilatérale. Après visionnage, la table décrétait une amenée en clé dangereuse imaginaire, nouvelle obsession du moment, tandis que Nozadze se frottait consciencieusement le coude et s’étirait les doigts, comme un footballeur moyen. On peut être un peu découragé de devoir toujours répétait la même chose : en quel honneur l’arbitrage mondial s’arroge-t-il le droit de supprimer des pans entiers de notre patrimoine technique, sous prétexte (implicite) qu’elle ne sait pas les arbitrer ? L’amenée au sol par pression contrôlée (et sanctionnée en cas de mise en danger de l’intégrité physique adverse) est un des fondamentaux de la dimension martiale du judo. Demain, le jujitsu brésilien pourra se valoriser d’en rester le dernier spécialiste, merci Messieurs. Le geste de Kemran Nurillaev n’est même pas une clé d’ailleurs, et on l’apprenait dans les clubs en France sans qu’il ne pose de problème… Bref, c’est éprouvant de constater la mauvaise influence du système d’arbitrage mondial sur le judo, alors même que des combattants aussi jouissifs et valorisants s’expriment sous ses yeux.
Sardor Nurillaev est l’aîné. 26 ans et un judo avec la main au revers tout en peps et en élégance nippone, pour faire briller ses uchi-mata et tai-otoshi. Plus précis sur les mains qu’auparavant, toujours en mouvement, il débarque tout casqué dans la cours des grands. Troisième en Israël et en Ouzbekistan, il entre dans le top 15 mondial. Une nouvelle dimension.
Dernière mauvaise nouvelle du tournoi pour la France : la place de trois en -60kg de l’Azerbaïdjanais Karamat Huseynov (par forfait contre le Russe Siméonidis, blessé à la cheville), lui permet d’entrer dans les points du quota continental, repoussant notre -81kg Alpha Oumar Djalo en dehors.