Et Tcheuméo ramène la seconde médaille française…
Quelle journée ! Une avalanche de beaux gestes, une pléthore de découvertes et d’informations pour l’avenir, des Français combatifs, une régalade qui n’a été ternie que par un arbitrage à nouveau en train de dériver vers l’accumulation des pénalités, comme si les arbitres, sur ce tatami où ils ne sont qu’invités, ne pouvaient plus exister sans mouliner de la sanction en permanence, au point que même la table centrale semblait parfois agacée par cet excès de zèle. Dommage sur un tel tournoi, car pour le reste, ce fut exceptionnel !
Le Japon a légèrement desserré son étreinte chez les garçons, ne s’offrant que deux titres sur les quatre possibles, et lâchant même deux podiums dans leur globalité en -81kg et en -100kg… Ce qui fait tout de même cinq médailles d’or masculine au total. Moins bien que l’année dernière, l’espoir Iida Kintaro ne profitait pas de l’absence des deux derniers champions du monde, ses compatriotes Haga et Wolf, pour enfoncer le clou en -100kg, lui qui était en 2016 finaliste à Tokyo et vainqueur à Paris, à 18 ans. Du coup, ce sont le Néerlandais Michael Korrel et le revenant coréen Cho Guham qui se mettaient en valeur, notamment le Coréen, très en rythme, lui qui en 2016, n’avait pu faire que les Jeux, et deux combats seulement à cette occasion. En voilà deux qui vont compter sur l’olympiade.
En -81kg, pas de Japonais non plus à l’horizon, malgré la présence du champion d’Asie Sotaro Fujiwara, mais en l’absence du champion du monde 2015 et médaillé olympique 2016, Takanori Nagase. En revanche ils étaient trois sur le podium des -90kg, Kenta Nagasawa, très en forme, balançant des uchi-mata dans tous les sens, dont un en trente secondes en finale à son compatriote Yusuke Kobayashi. Mais le plus prometteur d’entre eux est sans doute le champion du Japon Shoichiro Mukai, troisième, un magnifique technicien de 21 ans qu’il faudra suivre de près.
Yusei Ogawa, enfin le bon ?
Le plus important se passait en +100kg. Longtemps, on a pensé que l’homme du jour, se serait le super petit lourd léger Kokoro Kageura. Mais après avoir arrosé le plateau avec ses seoi-nage formidables, il finissait par succomber dans une demi-finale énorme face à un Lukasz Krpalek retrouvé. Le Tchèque champion olympique 2016 des -100kg a manifestement fini sa mue. Le voici authentiquement lourd, et prêt à faire mal. Mais il ne sera pas l’homme du jour lui non plus, juste le faire-valoir du 71e mondial, un certain Yusei Ogawa, 21 ans, fils de son père Naoya Ogawa, quadruple champion du monde et vice champion olympique ! Si le fils semble moins technique que son père, il est beaucoup plus lourd et a le même tempérament. Il sort vainqueur d’une incroyable finale de quinze minutes contre le Tchèque qui tenta tout pour le projeter ou le faire pénaliser, sans réussir à l’impressionner. ni à le déstabiliser. Encore une fois ce fut l’arbitrage qui ne fut pas à la hauteur, l’arbitre central donnant un waza-ari intempestif sur une magnifique clé de coude debout en ude-gatame du jeune Japonais, très bien accompagnée au sol. La situation qui aurait dû finir soit par la clé, soit par l’osae-komi était vendangée par la décision de l’arbitre qui arrêtait l’action et tout fut à refaire. De guerre lasse, après plus de onze minutes de prolongation, l’arbitre central finissait par donner une pénalité pour passivité au Tchèque, lequel venait juste de tenter un ura-nage en contre. Quoi qu’il en soit, cette victoire inattendue est une très bonne nouvelle, une de plus, pour le Japon, qui voit arriver dans ses rangs un sacré engin, celui qu’il cherchait depuis longtemps, peut-être de quoi, demain, proposer une opposition crédible à un certain Teddy Riner, même si on n’en est pas encore là. En tout cas, avec Kageura, Ogawa fils est en train de ranger des voitures la génération des Ojitani, Harasawa, Kamikawa et autres Shichinohe, des vieillards de 25 ans et plus…
Les Japonaises, sept sur sept !
Chez les féminines, la leçon est intimidante. Le Japon signe un sept sur sept en or – on n’avait pas vu ça depuis 2009 – ne laissant aussi que deux tickets à deux finalistes non japonaises ! Ce qui fait tout de même douze médailles d’or pour le Japon, mais aussi sept finalistes de plus pour autant de médailles d’argent, et encore treize autres podium pour le bronze, soit le chiffre vertigineux de trente-deux médailles. En -70kg, la championne du monde Chizuru Arai se fait voler la victoire par la tacticienne Yoko Ono et l’arbitre. En +78kg, c’est l’habituelle duel entre les deux « gamines » Sarah Asahina, 21 ans, et Akira Sone, 17 ans, qui se conclue une nouvelle fois à l’avantage de la première.
Mais l’information à retenir vient des -78kg. Alors qu’Audrey Tcheumeo — se rappelant leur duel à Paris — avait bien joué le coup sur les mains face à Ruika Sato, alors que la terrible Néerlandaise Guusje Steenhuis avait dominé assez nettement la championne du monde 2015 et vice-championne 2017, Mami Umeki, voilà que la championne d’Asie 2017 Shori Hamada s’affirme avec une autorité qu’on ne lui connaissait pas. Le visage fermé, presque sinistre, sa garde de petite droitière verrouillée au revers-manche, elle faisait un paquet de la vice-championne olympique française au sol en demi-finale, balayait et étranglait pour le compte la vice-championne d’Europe néerlandaise. Une démonstration d’envergure qui ne doit rien au hasard : alors qu’elle était absente du circuit international en 2016, elle a tout gagné en 2017, l’Open d’Oberwart, le championnat d’Asie, le Grand Prix de Zagreb, la Coupe du Kodokan et désormais ce Grand Chelem de Tokyo. À 27 ans, Shori Hamada ne veut plus attendre.
Six Français l’après-midi….
Dans cette ambiance ultra-japonaise, la France a été visible aujourd’hui. Le verre à moitié plein : six Français encore dans le coup l’après-midi de ce dimanche. Le verre à moitié vide : une seule médaille à la fin, celle d’Audrey Tcheumeo, très dominante sur les mains, mais « absente » sur cette séquence au sol avec Hamada, et facilement victorieuse ensuite pour le bronze de la Française Madeleine Malonga.
Du positif dans le parcours de toutes les Françaises, mais des limites aussi. Malonga fut totalement impuissante face à Mami Umeki et les deux -70kg Marie-Eve Gahié et Fanny-Estelle Posvite ratent le podium par des défaites qui auraient pu être des victoires. Une nouvelle fois Marie-Eve Gahié perd contre l’habile technicienne portoricaine Maria Perez qui l’avait battue en quart de finale à Budapest lors des championnats du monde, avant d’être contrée par la Japonaise Shiho Tanaka. Quant à Fanny-Estelle Posvite… elle faisait exactement l’inverse, battue d’abord par Tanaka, avant de céder à Perez en repêchages, sur un décision d’arbitrage bien litigieuse, qui agitait encore la table centrale dix minutes après le matte. Une pénalité donnée pour une « saisie au pantalon » – c’était le geste de l’arbitre – qui désignait le fait que la Française avait mis les doigts à l’intérieur du pantalon sur une tentative de renversement alors que les deux combattantes étaient au sol. Ce qui était manifestement faux en regardant les images ! Mais elles révélaient en revanche qu’elle les avait mis fugitivement dans la manche de la veste quelques secondes plus tard, l’honneur du corps arbitral était donc sauf…
Quant à Anne Fatoumata M’Bairo, elle a encore beaucoup essayé, ce qui lui a réussi sur deux adversaires, la Corénne Mi-Jin Han, qui venait juste de gagner le Grand Prix des Pay-Bas – une vraie performance – et une Chinoise qui n’était pas sortie depuis 2015, Jang Yanan. Mais elle était très largement dominée une nouvelle fois par la Japonaise Asahina, sur laquelle elle se lançait dans un périlleux sutemi, et par la très solide Coréenne Kim Minjeong. Une nouvelle compétition positive tout de même pour la +78kg française.
Allardon a du style
Chez les garçons, pas de performance en revanche pour Alexandre Iddir, qui cherche toujours son chemin dans cette catégorie des -100kg. Il perdait dès le second tour contre le Portugais Fonseca. Mais une bonne surprise du côté du -81kg Jonathan Allardon. Après un Thaïlandais vite expédié, le finaliste du Grand Prix de Croatie 2017, réussissait un très joli avant-arrière pour ippon dès la première prise de garde sur le très redoutable jeune Russe Aslan Lappinagov, vainqueur du Grand Prix d’Allemagne et médaillé européen. Un vrai exploit. Dominé dans l’impact par les rugueux Dagvasuren Nyamsuren et Frank De Wit, un Mongol et un Belge membre du « top 10 », il s’offrait encore une victoire sur le très bon technicien brésilien Eduardo Yudi Santos, non sans d’ailleurs une nouvelle tragi-comédie du côté de l’arbitrage, le responsable technique Neil Adams voyant un ura-nage en sa faveur, tandis que le responsable de l’arbitrage mondial Juan Manuel Barcos penchait plutôt pour le contre en ko-uchi du Brésilien. Un parcours quoi qu’il en soit encourageant et, ce qui ne gâte rien, agréable à suivre, avec un judoka qui a un style mobile et offensif, avec un jeu de feintes de corps et de changements de rythme élaboré. Du judo ! Quel dommage que ce vice champion d’Europe juniors 2010 en -73kg, champion de France seniors 2015, alors qu’il venait de monter de catégorie, n’ait pas, à 26 ans désormais, plus d’expérience à ce niveau. Il n’en faudrait pas beaucoup pour qu’il puisse sans doute rivaliser avec les leaders qui le regardent encore de haut aujourd’hui. Allardon, une affaire à suivre ?