Première victoire française dans ce tournoi depuis 2014
Uta Abe en pleurs avant de monter sur le podium. Joshiro Maruyama, répondant avec une voix à peine audible et les yeux rougis aux journalistes japonais dans la zone mixte. Hifumi Abe, contrairement à sa sœur, tout sourire après une victoire impérative et qui le relance pour la qualification olympique. Mais, surtout, une Amandine Buchard heureuse et qui laisse l’une des plus fortes impressions de la journée après une victoire de prestige et remarquablement significative.Comme il en a l’habitude chez lui, le Japon ne laisse presque rien aux autres nations, avec quatre victoires dans les cinq catégories du jour et déjà treize médailles au compteur. Bienvenue à la Mazuren Intec Arena d’Osaka pour ce premier jour du Grand Chelem du Japon.
Buchard a tiré les leçons de Tokyo
« Ce n’était pas une question technique ou tactique, mais mental. Depuis Tokyo, Larbi et les autres personnes qui s’occupent de moi m’ont poussé dans mes retranchements, m’ont mis dans le dur. L’idée ? Travailler sur ma confiance en moi.» A peine descendue d’un podium où elle était sur la plus haute marche et après avoir répondu tout sourire à des journalistes japonais curieux d’en savoir plus sur celle qui venait de battre le phénomène Uta Abe, Amandine Buchard donnait la clé d’une victoire en forme de cap franchi. Car ce qu’a montré la Campinoise, hier, a valeur de « gap ». Ce genre de moments-clé qui, rétrospectivement, resteront comme une étape significative vers une médaille ou un titre olympique à Tokyo. Ce vendredi, Buchard a su ne pas se poser de questions et resté « focus » sur les consignes. Ce que lui avait justement reproché, sans mâcher ses mots, Larbi Benboudaoud après sa cinquième place aux championnats du monde fin août.
En finale, elle résiste à l’impact d’Uta Abe, double championne du monde à seulement dix-huit ans, avant de climatiser le Maruzen Center d’Osaka avec un kata-guruma déterminé au golden score sur lequel la Nipponne dû concéder le fameux plat ventre avec le bras en dessous. « A un moment du combat, je l’ai vue chercher de l’air, commencer à s’agacer de ne pas trouver la solution. Je sentais que le rapport de force commençait à être de mon côté. Alors j’ai accéléré. ». Bien vu.
Et voilà Amandine Buchard être la première non-Japonaise à battre Uta Abe sur le circuit international ! En mettant fin par là-même à trois ans d’invincibilité de la pépite nippone (sa dernière défaite remonte à la finale de ce même Grand Chelem, en 2016, face à Natusmi Tsunoda), et étant, enfin, la première Française à remporter ce tournoi japonais depuis Gévrise Emane en 2014… juste avant son titre mondial de 2015. On accepte le bon signe.
Bouda blessé
En -48kg, Mélodie Vaugarny rentre parfaitement dans son combat face à Wakana Koga, récente championne du monde juniors, il y a un mois à Marrakech. Première séquence et un tai-otoshi à genoux pas loin de valoir ippon. Sur la séquence enchaînée la Tricolore est toute proche de placer un juji-gatame à la Nipponne de 18 ans. Dommage car cette dernière se remet les idées à l’endroit et place son spécial, o-uchi-gari, pour revenir à égalité avant de conclure sur un étranglement.L’autre Française engagée, Mélanie Clément, passe à côté de sa journée, prenant trois pénalités, dont la dernière pour fausse attaque face à la Russe Daria Pichkaleva.
Un seul engagé masculin hier avec Romaric Bouda, le nouveau champion de France des 60kg. Ayant visiblement de très bonnes sensations comme en témoignent ses victoires contre le Hong-Kongais Leung avec son tai-otoshi et contre l’Equatorien Preciado sur un o-soto-gari opportuniste, le Français est contraint à l’abandon ensuite. La raison ? Une désinsertion du biceps gauche. « Lors de mon second j’ai senti une petite pointe mais rien de méchant. Quand je suis arrivé à la salle d’échauffement, je n’arrivais plus à ramener mon avant-bras » nous disait-il, le bras en écharpe avec sa ceinture. Dommage, car le Normand était franchement convaincant jusque-là.
Abe à la relance
Bilan contrasté pour la famille Abe hier. Si Uta finissait les larmes aux yeux (une victoire hier l’aurait directement qualifiée pour Tokyo 2020), Hifumi, lui, pouvait afficher un sourire satisfait : hier, il bat, après trois défaites consécutives, son concurrent et superbe champion du monde fin août, le Tenri Boy Joshiro Maruyama. Les deux -66kg se retrouvaient en finale pour, à nouveau, un combat d’une incroyable intensité. Au bord du tapis, l’électricité dégagée par cet affrontement qui commence à s’imposer comme l’un des plus beaux duels de cette olympiade (à l’image des Agbegnenou/Tashiro) était franchement palpable. Un combat-couperet pour Hifumi Abe puisque si Maruyama s’imposait à nouveau, alors s’en était fini de ses rêves olympiques l’été prochain. Plus posé, moins dans la recherche du coup dur, l’étudiant de Nittai-Dai et futur judoka de l’équipe Park 24 (celle d’Ebinuma et Hashimoto et coachée par Hidehiko Yoshida) chercha le contre tout le combat. Ce qu’il finit par réussir, au golden score, en kaeshi-waza, suite à un o-uchi-gari lancé d’un peu loin par le judoka de l’entreprise Miki House. Terriblement abattu en zone mixte, Joshiro Maruyama expliquait à chaud cette défaite par un manque de rythme, lui qui n’a repris l’entraînement qu’il y a seulement un mois après sa blessure au genou droit. Une victoire qui permet à Hifumi Abe de croire fermement à nouveau en ses chances de sélection olympique, sans doute au grand soulagement d’une partie des médias et sponsors nippons, préservant le « story-telling » construit autour du frère et de la sœur Abe au pays du Soleil-Levant, et matérialisé ce vendredi par le nombre considérable de journalistes et photographes venus uniquement pour suivre ceux qui font l’objet de reportages réguliers et d’invitations dans les émissions de talk-show.
La suite pour Abe et Maruyama ? Un Grand Chelem sans doute pour chacun (Paris et Düsseldorf) puis l’explication finale à Fukuoka, début avril.
En -60kg, Takato marque des points face à son « kohai » (cadet) Ryuju Nagayama dans la course olympique – sans pour autant que cela soit décisif -, le battant en finale sur un superbe ko-uchi-gari. En -48kg, Natusmi Tsunoda, qui avait fait le pari de descendre dans cette catégorie (la place olympique des -52kg revenant, sauf blessure, à Uta Abe) l’a sans doute perdu hier, finissant en bronze alors que la double vice-championne du monde, Funa Tonaki, remporte son second Grand Chelem d’Osaka. Le messe pourrait donc bien avoir été dite hier pour savoir quelle Japonaise sera à Tokyo pour, notamment, défier Dari Bilodid. Surprise enfin en -57kg où c’est Momo Tamaoki qui tire les marrons du feu, Tsukasa Yoshida ne finissant que cinquième, après une prestation franchement terne. Tamaoki, actuellement 12e mondiale, a donc encore ses chances.
Le Japon sans rival
Sans aucune surprise, le Japon écrase la concurrence avec treize médailles dont quatre titres, avec un essoufflement des leaders engagés sur les monde qui se dessine. La France es deuxième grâce à l’or de Buchard. Mention spéciale à Taiwan avec deux médailles : l’argent pour sa -57kg, Lien Chen-Ling et le bronze pour son -60kg découvert lors des championnats du monde, Yang Yung Wei. A noter que l’Espagne était bien présente lors du bloc finale avec la médaille d’argent de Julia Figueroa en -48kg et trois cinquièmes places (en -52kg et -66kg).
Dernière information du jour : les instances internationales ont décidé de marquer le coup lors de ce Grand Chelem, au niveau des judogis. En effet, les spectateurs n’auront pas manqué de voir le nombre impressionnant de judogi siglé « IJF » hier. La raison ? Un contrôle beaucoup (beaucoup) plus stricte des normes à respecter au niveau des judogis. Un superviseur nous glissait « que certains judokas ont trop joué avec les règles à ce niveau-là. Pour faire du judo et attaquer il faut avoir du tissu. C’est cette idée qui guide cette initiative. L’objectif est que cette volonté soit intégrée par les athlètes en vue des JO. » On applaudit. Quand c’est bien, il faut le dire aussi.