Renaissance de Khyar, en argent en -60kg

Troisième en 2017 et 2018, Mélanie Clément a ses marques au Grand Prix de Géorgie. Elle qui est déjà montée quatre fois sur un podium de Grand Prix, et deux fois sur un podium de Grand Chelem, ne rêvait sans doute que d’une médaille ici, sa troisième, qui aurait déjà eu le pouvoir de lui rendre toute sa légitimité de titulaire française dans cette catégorie des super-légères. Une place que voudrait bien lui contester Mélodie Vaugarny, troisième à Paris en la battant en place de trois, mais malheureusement empêchée depuis par des pépins physiques de confirmer ce remarquable coup de force.

Clément, le tournoi qui change tout ?

Mélanie Clément voulait donc la médaille. Elle fait beaucoup mieux en emportant son premier titre dans un tournoi de ce niveau. Et mieux que le titre, elle se permet de battre la n°1 mondiale en demi-finale, la Mongole Urantsetseg Munkhbat. Mieux encore que cette victoire sur la championne du monde 2013 (finaliste en 2017), elle s’offre en finale « l’invincible » elle-même, la grande (au propre et au figuré) Daria Bilodid, championne du monde pour l’Ukraine ! Un Grand Prix royal donc, pour Mélanie Clément, qui s’offre ici à Tbilissi, outre sa première grande médaille d’or en tournoi, ses galons de challenger pour une médaille mondiale. 

La Française 15e mondiale avait pourtant commencé doucement, en battant aux pénalités la 200e mondiale, la Géorgienne Mari Makharashvili, avant de l’échapper belle face à la solide, mais déclinante, Ukrainienne Maryna Chernyak (17e), qui menait un bon moment d’un waza-ari avant que la table ne finisse par l’effacer. Clément sortait alors celle qui l’avait battue pour une médaille aux championnats d’Europe 2018 sur un yoko-tomoe-nage opportuniste. Une belle performance déjà, qui était confirmée en demie par une victoire, un peu frustrante sur le scénario, mais très précieuse, devant la Mongole Munkhbat (qui avait sortie la Française aux championnats du monde 2017). Les deux combattantes en garde opposée étaient pénalisées deux fois pour refus de saisie de la manche. La Mongole n’en tenait pas assez compte d’après l’arbitre — sans que rien ne semble vraiment différent sur la séquence — et se faisait brutalement sortir sur une troisième pénalité. La Française se retrouvait donc en finale, un résultat déjà remarquable. Et c’était face à la terrible Daria Bilodid, qui n’avait pas perdu depuis le troisième tour des championnats du monde 2017 et restait sur son chef d’œuvre 2018 : l’enchaînement des victoires aux championnats du monde seniors (septembre 2018) et juniors (octobre 2018). La jeune femme n’avait cependant pas repris depuis cette séquence et cela se sentait dans son judo. Elle avait même failli se faire sortir en demi-finale par la Hongroise Csernoviczki qui l’avait jetée sur le dos sur un beau mouvement de hanche. Mais la Hongroise avait été finalement sortie aux pénalités, et même si ce n’était pas tout fait la « grande » Daria, même si elle était un peu moins radicale dans son modèle technico-tactique, c’était tout de même la championne du monde, parvenue en finale pour son tournoi de retour (en battant la jeune Française Blandine Pont au passage sur son sankaku-jime) et toujours presque impossible à gérer. Bonne surprise, même si elle était durement secouée par la terrible Ukrainienne, qui jouait la carte tactique, Mélanie Clément (qui a l’avantage, par rapport à d’autres adversaires de Bilodid, d’être elle-même assez grande, ce qui est sans doute un atout contre elle), tenait bien le choc, se dégageait du mieux qu’elle pouvait, et parvenait à marquer waza-ari sur un o-soto-otoshi parti de loin. Sous la pression, non seulement elle limitait les dégâts à deux pénalités, mais réussissait même à contrer une attaque de hanche précipitée de sa grande adversaire, pour une victoire finalement sans bavure. Le combat de référence de Mélanie Clément qui pourra rentrer de Tbilissi non seulement avec les sept cents points de la victoire, mais aussi gorgée d’une confiance nouvelle en ses moyens. Le masque de la tristesse en revanche pour la jeune Bilodid, qui avait un peu perdu l’habitude de la défaite.
Depuis des mois, la Française a développé patiemment une garde rigoureuse, mais manquait encore d’efficacité en attaque à ce niveau. Ce Grand Prix semble montrer qu’elle est désormais de plus en plus en rythme, de plus en plus clairvoyante et audacieuse, même avec les membres du top 10 de la catégorie. À confirmer, mais l’or de Tbilissi va marquer les esprits autour de Mélanie. 

Khyar, comme en 2016

Une bonne nouvelle n’allant jamais seule, l’équipe de France pouvait se flatter d’avoir récupéré vendredi deux bons challengers en une seule journée, Mélanie Clément chez les féminines – qui n’avait encore pas atteint ce statut – et Walide Khyar chez les masculins – qui l’avait un peu perdu depuis sa magnifique victoire aux championnats d’Europe 2016. Le champion d’Europe de l’année olympique, tout juste sorti des juniors à l’époque, avait ensuite enchaîné les blessures et les contre-performances, hésitant aussi sur sa catégorie de poids, pour ne retrouver l’or qu’au Grand Prix de Tunisie en janvier 2018, avant une saison encore frustrante. Perdu pour la cause ? Malgré l’absence de médaille, il avait semblé en jambes au début de ce mois au Grand Prix du Maroc. Finalement, c’est en Géorgie ce week-end que l’évidence de son retour s’impose. À nouveau agressif au kumikata, mobile et dangereux sur ses décalages gauche – droite, ses attaques de jambe et ses séquences intenses où les tentatives s’enchaînent, il a aussi retrouvé le goût du coup dur au corps-à-corps, une qualité d’impact qu’il avait un peu perdu en route et qu’il retrouvait ce vendredi comme aux plus beaux jours. Il dominait d’abord un combattant du crû, le Géorgien Kupatadze, surclassé en rythme, avant de sortir le « top 10 » Sharafuddin Lutfillaev, un chat ouzbek qui était parvenu à le sortir au Maroc justement. Dominant sur ce combat enlevé et brillant, il lui marquait un très bel avantage sur une combinaison conclue en sumi-gaeshi. L’Ukrainien Artem Lesiuk avait atteint la finale au Maroc deux semaines plus tôt et se voyait bien récidiver. Il était pris par la vivacité tout en rythme du Français, et se faisait crucifier sur un arraché de face avec le retour de la hanche en appui en utsuri-goshi, un vrai chef-œuvre. C’était la finale, face à un autre Géorgien, un « top 10 » mondial lui aussi, et en route pour un triplé sur ce Grand Prix national, Lukhumi Chkhvimiani. Face à la vivacité du Français et ses ko-uchi-gari dangereux, le Géorgien se raccrochait un peu aux branches, mais c’est lui qui jaillissait sur un ko-soto-gake profond qu’il prolongeait en déroulé au sol avec le revers. Un waza-ari « tueur » qui faisait la différence. Khyar s’arrête sur l’argent, et pourra s’inspirer sans doute de la qualité de concentration et de décision de son adversaire pour passer encore un cap décisif. Mais sur la journée, c’est le champion d’Europe enthousiasmant qu’on a retrouvé, plus habile encore, plus mobile dans son jeu de jambes. Un plaisir à regarder et un véritable espoir de médailles mondiale et olympique en action. Sur ce registre, Khyar est de retour, et il peut avoir beaucoup d’ambition. On rêve déjà de le voir produire son judo face aux cadors du top 5, le Russe Mshvidobadze, les deux Japonais Takato et Nagayama, le Géorgien Papinashvili, le Kazakhstanais Smetov. Ils seront les vrais arbitres de l’ambition légitime de Walide Khyar dans les deux ans à venir. 

Duel de dames

Cédric Revol s’éclipsait en revanche dès le premier tour en -60kg devant le Brésilien Kitadai, et perdait beaucoup sur ce rendez-vous géorgien. Les deux -66kg français Sacha Flament et Mathias Boucher ne parvenaient pas non plus à passer le premier tour, rien ne bouge à ce niveau. L’Indien Jasleen Singh Saini, impressionnant vainqueur de Kevin Azema au Grand Chelem de Dusseldorf, se hissait en demi-finale en revanche, avant de finir au pied du podium. Une nouveauté plaisante et un combattant qui marque les esprits. Beau duel français en -52kg et en -57kg. Faiza Mokdar poussait au golden score la médaillée olympique Odette Giuffrida – magistrale sur ses techniques de jambe et notamment sur son de-ashi-barai avec un pas d’appel – avant de prendre un o-uchi-gari splendide et de laisser l’Italienne partir vers l’or. La « gamine » de l’équipe de France, de plus en plus consistante à chaque sortie malgré ses dix-sept ans, s’inclinait finalement pour le bronze face à son aînée Astride Gneto sur un beau o-soto-otoshi en garde croisée, non sans avoir battue au passage la Suissesse Tschopp, membre du top 10 mondial ! La catégorie ne manque vraiment pas de talent avec une leader comme Amandine Buchard-Nordmeyer, suivie d’Astride Gneto à la lisière du top 20, et désormais ce talent naissant et précoce qui fait son expérience à un rythme séduisant. 

Receveaux tient son rang

En -57kg, c’est Hélène Receveaux qui réaffirmait son statut de leader, bousculée par la fraîcheur de Sarah-Léonie Cysique, qu’elle se chargeait de battre elle-même en tableau sur une clé habile – sa deuxième victoire en 2019 contre sa jeune rivale de vingt ans. Tandis que Cysique s’inclinait en place de trois sur une tentative de contre hasardeuse face à la forte Néerlandaise Sanne Verhagen, la Dijonnaise, battue en demi-finale par la grande Brésilienne Rafaela Silva, s’emparait du bronze face à la Polonaise Borowska. Il fallait au moins ça pour contenir l’aura de sa cadette, championne d’Europe et finaliste mondiale juniors en 2017, finaliste du Grand Chelem d’Allemagne en février.