« Participer à la structuration du judo canadien est un challenge excitant »

Photo : Emmeric Le Person – In The Heart of Judo

Jérémy, on te retrouve, après plusieurs années auprès des filles de Mulhouse, avec le survêtement de l’équipe du Canada. Quelles sont tes nouvelles fonctions ?
Pour l’instant, je suis entraineur-adjoint sur l’équipe féminine senior A. Je travaille donc avec Nicolas Gill  qui, lui, s’occupe des garçons et est aussi head-coach. Un nouvel entraîneur vient d’arriver, Sasha Mehmedovic, pour les juniors. Ça, c’est dans les textes. Mais concrètement, comme le groupe est moins fourni qu’en France, filles et garçons s’entrainent ensemble. Ce qui fait que j’agis aussi avec les garçons et que l’on se partage les entraînements (randori, technique et individualisation) avec Nicolas Gill. L’encadrement se structure. D’ailleurs, il y aura aussi bientôt l’arrivée de Marie-Hélène Chisholm sur le futur centre technique (tous les judokas qui ne sont pas juniors ou dans l’équipe A).

C’est-à-dire ? Quel est le projet ?
Il est attendu pour septembre 2014.Il y aura quatre surfaces d’entraînement avec une grande salle de musculation. Il sera situé au centre olympique. D’ici là, les entraînements ont lieu dans le club d’origine de Nicolas Gill, le Shidokan. On y a aménagé une salle de muscu, mais cet été avait lieu un stage national, auquel ont participé quelques Français d’ailleurs, mais avec 65 personnes, le tapis était déjà au maximum de sa capacité d’accueil.

Tu peux nous expliquer le projet sportif mis en place par le staff canadien ?
Il est assez clair : aller aux JO de Rio en 2016 et y ramener au minimum une à deux médailles sur quatre forts potentiels. Et, plus globalement, mettre en place une structure qui permettra de réitérer cette performance tous les quatre ans. La planification est donc construite en fonction de l’échéance olympique même si, au Canada, nous sommes aussi évalués par rapport aux championnats du monde car cette étape est prise en compte dans la budgétisation. Ce qu’il faut noter, c’est que cette structuration du projet canadien a connu un coup de boost avec la médaille de bronze aux JO de Londres d’Antoine Valois-Fortier, qui a permis au judo de haut niveau canadien de démarrer une nouvelle olympiade avec un budget correct, même s’il faut savoir que les athlètes payent 50% des frais liés aux tournées internationales. La planification se fait donc de concert avec les athlètes en fonction de leurs moyens. Par exemple, certains athlètes ont dû mettre la main à la poche pour participer aux championnats du monde de Rio. Le projet canadien est en train de se mettre en place, doucement mais sûrement : avec la composition d’un vrai staff du haut-niveau (4 personnes), avec la construction et la livraison du centre technique et avec la mise en place d’entités provinciales, dont une est déjà active à Toronto et qui a sorti une championne du monde cadettes cet été (Klimkait Jessica sacrée à Miami en -52kg, NDLR).

Tu as déjà une idée des tournois sur lesquels l’équipe sera présente ?
Pour les mois qui arrivent, et même si la FIJ n’a pas dévoilé les dates des compétitions pour 2014, l’objectif pour nous, ce sera les deux Grands Chelems de Tokyo et Paris, les championnats panaméricains en avril et les championnats du monde en 2014 à Chelyabinsk, en Russie.


Photo : Emmeric Le Person – In The Heart of Judo

Par rapport à la France, on imagine que les choses sont très différentes…
Le Canada étant un pays fédéral, chaque province a sa méthode de fonctionnement. De plus, les niveaux cadets et juniors sont gérés par les provinces. Il y a aussi un système de sport-études, mais qui repose beaucoup plus sur les clubs qu’en France. Ainsi, le boulot de la fédération canadienne, ça va être de regrouper ces judokas.  Il faut savoir que le Canada compte 22 à 23 000 licenciés dont 12 000 au Québec. La différence avec la France ? Ici, nous sommes en pleine structuration et notre volonté première est, je le répète, de regrouper les meilleurs judokas du pays. La France dispose de nombreux atouts : ses 600.000 licenciés, son système pyramidal (clubs, Pôle Espoir, Pôle France, INSEP) et la profondeur du nombre d’athlètes par catégorie. Autrement dit elle possède une densité de talents dans laquelle elle piochera les meilleurs. Une autre différence que je vois c’est le mode de sélection des athlètes de haut niveau pour les grandes compétitions. Ici, au Canada, il est basé uniquement sur les résultats en compétition via une méthode statistique prenant en compte un maximum de paramètres et mise en place par le « comité à la haute performance ».  Pour être plus précis, a été mise en place une grille de points et une classification (qui va de A à F) : en fonction du plus ou moins grand « prestige » des compétitions, du classement final de l’athlète à la fin de chaque tournoi, du nombre de combattant(e)s dans le tableau, de la place à la ranking-list des concurrent(e)s que notre judoka aura battu,  du nombre de combats total dans la journée, les combattant(e)s canadien(ne)s gagnent un certain nombre de points et peuvent changer de classification. Ainsi un combattant canadien noté A (la classification maximum) pourra-t-il être éligible à participer aux compétitions correspondant à cette norme (comme les monde ou les JO). Cette classification est acquise pour deux ans pour chaque athlète. Et lorsqu’un choix doit être fait entre deux ou plusieurs athlètes pour une compétition internationale, c’est obligatoirement l’athlète n°1 à la ranking list canadienne (basée sur le nombre de points acquis par chaque judoka) qui sera sélectionné. L’avantage de ce système de sélection c’est qu’il est très objectif, quasi-scientifique.

Comment passe-t-on d’entraîneur d’un club féminin de haut niveau à entraineur national ?
En France, j’étais entraineur de l’ACS Peugeot-Mulhouse et cette expérience de coach semi-professionnel (analyse vidéo, planification, bilan, individualisation) ajoutée à celle d’ancien athlète de haut niveau passé par les structures (Pôle Espoir, Insep) font que j’essaye de transmettre à l’équipe et aux athlètes canadiens le savoir que j’ai pu accumuler en France.  Dans le quotidien, il n’y a pas tant de différence que cela. À part peut-être le fait qu’ici je n’ai qu’une activité professionnelle sur laquelle me focaliser, à savoir m’occuper de l’équipe canadienne. (en France, Jérémy Le Bris occupait un poste d’ingénieur informatique en parallèle à celui de coach de Mulhouse, NDLR).

Quel bilan avez-vous fait des championnats du monde de Rio ?
On attendait nos deux meilleurs classés à la ranking-list, Antoine Valois-Fortier et Kelita Zupancic. Pour Zupancic, qui se fait sortir au 2e tour, on l’attendait à un plus haut niveau donc nous (et elle bien entendu) avons été déçu par cette contre-performance. Antoine, lui, perd contre Alain Schmitt qui attrape finalement la médaille de bronze. Ça se joue à pas grand-chose. Après pour le groupe en général, ils perdent contre les combattants contre qui ils devaient perdre et gagnent contre ceux contre qui ils devaient gagner.La bonne surprise, c’est Catherine Roberge, qui gagne contre quelqu’un qui était un niveau au-dessus (Audrey Tcheuméo en ¼ de finale, NDLR) et qui finit dans le top 5 mondial. Au final, c’est donc un bilan mitigé : la satisfaction avec Roberge et la déception avec Antoine et Kelita dont on attendait davantage.

Au niveau de l’équipe, y a-t-il des individualités à suivre, dans les mois à venir?
Notre groupe est globalement très jeune mais nous avons plusieurs juniors très prometteurs : Etienne Briand (2e aux Jeux de la Francophonie) et Catherine Beauchemin-Pinard qui vont participer aux championnats du monde juniors le mois prochain. Il faudra aussi avoir un œil sur les deux récents champions du monde cadets (Louis Krieber-Gagnon et Jessica Klimkait).

Propos recueillis par Thomas Rouquette
Photos : Emmeric Le Person (In The Heart of Judo)