La championne d’Europe 2013 des -78kg raconte sa récente retraite
Médaillée européenne et mondiale junior, double championne d’Europe des -23 ans, championne d’Europe seniors, vainqueur du Grand Chelem de Paris, treize fois médaillée en championnats de France 1D (pour quatre titres), vainqueur des Jeux méditerranéens et de la Francophonie… Le 30 décembre 2016, Lucie Louette-Kanning a discrètement annoncé la fin d’une longue et riche carrière. Un parcours placé sous le signe de la patience pour cette masseur kinésithérapeute diplômée d’Etat et titulaire du BE judo, jamais médaillée mondiale individuelle senior ni titulaire aux JO puisque contemporaine des rouleaux compresseurs Lebrun, Possamaï et Tcheuméo (26 médailles olympiques, mondiales et européennes à elles trois, série en cours). Ces trois-là auraient-elles autant performé sans cette présence têtue ? Et réciproquement ? Quel bilan la Picarde tire-t-elle de cette première vie en cet an I de la nouvelle qui commence ? Nous lui avons posé la question.
Tu viens d’annoncer ta retraite à 31 ans. Quels sentiments t’habitent en ce moment souvent redouté par les sportifs de haut niveau ?
Je suis heureuse, bien dans ma tête et dans mon corps. Quitter ce milieu du haut niveau n’est pas facile mais il faut avancer. J’ai énormément de projets en commun avec mon mari. Nous aimerions entraîner et transmettre nos valeurs et notre expérience aux judokas. Nous avons pour projet de rejoindre ma Picardie natale, de nous rapprocher de notre famille et, qui sait, peut-être que 2017 nous réservera de grandes surprises…
Dans un mois c’est le Grand Chelem de Paris, un rendez-vous que tu n’as manqué que trois fois depuis ta première participation en 2003. Un moment forcément particulier, j’imagine…
J’y serai pour faire mes « au revoir » au public de Bercy. Mais c’est vrai que je n’y serai plus en tant qu’« actrice ». J’avais 17 ans la première fois que j’y ai combattu. J’en ai aujourd’hui 31. Presque la moitié des mois de février de ma vie a été rythmée par ce tournoi alors il y aura de l’émotion, c’est certain.
Ta carrière a la particularité de s’être construite entre deux générations monstrueuses, celle des Lebrun-Possamaï avant toi, celle d’Audrey Tcheuméo derrière. Cette concurrence quotidienne, tu l’as vécue comme un frein ou au contraire comme quelque chose qui t’a poussée à devenir meilleure ?
Effectivement, je n’ai pas été gâtée de ce côté-là [Sourire]. J’ai eu des périodes vraiment difficiles, notamment quand j’étais évincée plus rapidement des sélections… C’est un sport vraiment ingrat à ce niveau et j’ai eu beaucoup de hauts et de bas par rapport à ça. Mais cela m’a également permis de grandir.
Tu penses à des moments en particulier ?
Je me souviens surtout de mon éviction de la course à la qualification olympique pour Pékin. J’étais performante en 2007, je remporte les championnats de France en janvier 2008 en dominant mes deux rivales françaises puis je termine 2e en Hongrie en battant les meilleures et en ne m’inclinant que sur la Cubaine Laborde, double championne du monde en titre… Et juste après la compétition les entraîneurs m’apprennent que la course à la qualif’ est terminée pour moi car il aurait fallu que je gagne ce tournoi ! Je ne te cache pas que derrière il a fallu encaisser et repartir.
Comment as-tu surmonté ces moments de doute ?
J’ai toujours réussi à les effacer, y compris lorsqu’il m’a fallu un jour me faire à l’idée d’être n°3 mondiale et de ne pas faire les Jeux. À chaque fois je me suis remise en question et j’ai pris la décision d’avancer en m’appuyant sur ce qui me semblait le plus efficace. C’est comme cela que j’ai surmonté toutes ces périodes difficiles : en me recentrant sur moi-même. Les ressources nécessaires pour aller de l’avant, c’est au fond de moi que je suis allée les puiser.
2013 restera comme ta grande année, avec en point d’orgue ce premier semestre et notamment tes titres au Grand Chelem de Paris et aux championnats d’Europe de Budapest. Dans quel état d’esprit avais-tu abordé cette année-là ?
2013 restera ma plus grosse saison, c’est clair. Après l’olympiade de 2012, je me suis recentrée sur mes objectifs en occultant le négatif. Je me suis davantage entraînée avec des garçons et ça a renouvelé mon plaisir de pratiquer. J’avais 28 ans, j’étais épanouie dans mon double projet et dans ma vie perso. Tout était en place pour performer.
Et pourtant il a fallu redescendre de ce nuage…
Ma blessure à l’épaule contractée lors du championnat de France de Marseille fin 2013 m’a écartée plusieurs mois des tatamis et m’a fait énormément souffrir. J’ai donc commencé 2014 sur le championnat d’Europe de Montpellier où je finis 3e dans la douleur…
Début 2015, tu fais le pari de monter en +78kg. Pourquoi ?
J’avais besoin de changement. La routine des -78kg m’ennuyait. Alors je me suis dit « pourquoi ne pas aller bousculer les lourdes ? » J’avais déjà de bonnes références sur les combats par équipes et là, boum : première compétition à Tunis, première victoire dans ma nouvelle caté. Un mois plus tard je suis sélectionnée sur Düsseldorf mais, malheureusement, mon genou lâche à quinze secondes de la fin d’un combat que je menais face à l’Allemande Konitz, n°3 mondiale…
S’ensuit une absence de presqu’une année…
Oui parce qu’après Düsseldorf je subis une intervention chirurgicale dans la foulée. J’ai 30 ans et là encore je me questionne : « Qu’est ce que je fais ? » Je décide de revenir car je suis persuadée de pouvoir bousculer la hiérarchie des lourdes. Du coup je reprends en janvier 2016 et j’enchaîne les compétitions pour accrocher ce quota olympique : 2e en Tunisie, 2e à Cuba, puis Paris et Düsseldorf soit en tout quatre compétitions en cinq semaines… Après dix mois d’arrêt, mon corps n’a pas accepté ce rythme effréné. En Allemagne, mon genou lâche à nouveau, sur le même tatami qu’en 2015, un an presque jour pour jour après le premier accident…
Qu’est-ce que tu te dis à ce moment ?
Je me dis que quelqu’un m’a jeté un mauvais sort, c’est pas possible autrement [Sourire]… J’étais prête, motivée, performante et c’est mon corps qui m’oblige à m’arrêter. C’est difficile à accepter.
Six mois plus tard, à Rio, Audrey Tcheuméo remporte sa deuxième médaille olympique en -78kg, Emilie Andéol le titre en +78kg… Est-ce qu’à un moment ça t’a titillé d’essayer de revenir à nouveau ou est-ce que dans ta tête tu étais déjà passée à autre chose, même si tu ne l’as officialisé qu’en décembre ?
Ma décision était déjà réfléchie. S’il y a bien une chose que le haut niveau m’a apprise c’est « vis en fonction de ce que tu désires et pas en fonction des autres ». Je trace donc mon chemin en fonction de mes envies, et l’envie aujourd’hui est au changement.
Tu es la compagne à la ville de Nico Kanning, surtout connu en France pour être depuis plusieurs années le sparring de Teddy Riner. Quel rôle a-t-il joué dans ton parcours ?
Nico a été ma force durant ma carrière. Il a été plus que présent en m’épaulant mais aussi en me servant de partenaire pour les séances techniques. Il a beaucoup donné de sa personne et je lui dois énormément. J’ai la chance d’aimer un homme et un mari très impliqué dans mes projets.
Tu as été amenée à côtoyer plusieurs générations d’entraîneurs et de champions. Lesquels t’ont le plus marqué ?
Ronaldo Veitía restera pour moi un entraineur mythique du monde du judo. Je l’ai connu jeune grâce aux échanges entre Cuba et Amiens, et l’ai côtoyé quasiment sur toute ma carrière. J’ai également gardé de bons contacts avec quelques judokas étrangers comme la Britannique Conway [cf. EDJ65] ou l’Allemand Maresch. Du côté des entraîneurs français, les évènements et les circonstances m’en ont souvent fait changer durant ma carrière. Tous m’ont enrichie de petites choses que j’ai pu appliquer à mon judo. À Levallois, Christian Chaumont m’a énormément apporté sur le kumikata et sur le plan technique, notamment au niveau de mon o-ochi-gari. Du temps où j’étais au JAMP, Cathy Fleury, malgré le fait qu’elle a par la suite pris en charge toutes mes concurrentes directes en équipe de France, m’a également beaucoup appris en particulier sur le plan mental. Enfin je dois avouer que, depuis que je suis à l’ARAM, Franck Lefebvre est l’entraîneur le plus « apaisant » que j’ai connu [Rires] !
Quid de tes adversaires ?
Chez les étrangères, celle qui m’a le plus marquée reste Xiuli Yang, la championne olympique des -78kg à Pékin. Physiquement, elle était intouchable à cette période. Je me souviens d’un stage au Centre olympique chinois en 2007 où je n’arrivais même pas à poser les mains sur son kimono !
S’agissant de tes rivales françaises, j’imagine que ça a pu virer obsessionnel à un moment – surtout quand, au moment où Céline Lebrun et Stéphanie Possamaï commencent à tourner la page, tu vois débouler dans ta catégorie un engin comme Audrey Tcheuméo… Est-ce que le temps t’a permis de prendre du recul et a apaisé les choses ?
Nous étions concurrentes. Le judo est un sport de combat et, pour moi, quand tu pratiques un sport de combat, vous ne pouvez pas être à la fois concurrentes et amies – ou alors il faut être hypocrite et ce n’est pas mon cas. Pour autant, j’ai toujours respecté mes adversaires, qui qu’elles soient… Bon je me souviens quand même d’une compétition où Céline, Stéphanie, Audrey et moi étions toutes les quatre engagées, et où nous avons quand même fini la soirée à trinquer autour d’une bonne bière. Ces moments de détente entre rivales sont rares mais ils existent [Sourire]…
Si c’était à refaire, y’a-t-il des choses que tu referais différemment ?
Non, je ne pense pas. Des choix de clubs, peut-être… Ceci dit je ne regrette rien car j’ai toujours assumé mes choix. Je veux juste souhaiter une bonne année 2017 à tous les lecteurs de L’Esprit du judo, et leur conseiller une chose : une carrière c’est comme une vie. Quand tu es dedans c’est un combat quotidien et quand tu te retournes c’est passé en un clin d’œil. Alors vivez chaque instant à fond. Et savourez.
Propos recueillis par Anthony Diao