L’expert français ressent la montée des tensions entre l’Europe et la Russie.
Patrick Roux, entraîneur et expert français, la passion du tapis avant tout / Photo Emmanuel Charlot – Esprit du Judo
Entraîneur national de l’équipe russe pour l’olympiade, l’expert français Patrick Roux ressent avec inquiétude la montée des tensions entre l’Europe et la Russie. Qu’en pense-t-il, lui qui passe régulièrement d’un monde à l’autre ? L’Esprit du Judo lui a posé la question.
EDJ : Patrick Roux, avez-vous le sentiment que les tensions politiques actuelles ont une influence sur ce qui se passe pour vous sur le tapis ?
PR : Un nouveau stage vient de se terminer au cours duquel les judokas du monde entier se sont côtoyés et « affrontés » comme d’habitude, avec la saine rivalité des combattants, l’amitié et le respect qui vont avec. Comme souvent quand on sort d’une aventure comme un gros stage, la pratique a renforcé les liens de l’équipe. Je peux donc répondre non à cette question, même si les conversations forcément évoquent la situation géo-politique.
EDJ : Y-a-t-il plus d’agressivité vis à vis de vous ou de l’Europe ? De l’incompréhension ?
PR : Comme je viens de le dire, c’est tout l’inverse. Nous sommes-là depuis peu finalement car je travaille en en Russie depuis janvier 2013. Les conversations avec nos collègues sont plus intéressantes et plus profondes qu’à nos débuts. Il y a des grands moments de joie et parfois des bosses de rire… comme souvent dans ces cas-là. Mais moi qui ai l’habitude de l’Angleterre, où le travail a parfois été difficile, je trouve beaucoup de sincérité et de générosité chez nos collègues russes. Nos rapports sont loin des clichés et des idées reçues, loin de l’animosité naissante que cultivent les politiques et que nous lisons dans la presse ou que rapportent les télévisions.
EDJ : Vous-même, êtes-vous déstabilisé par cette ambiance politique et par ce qui se joue entre les puissances ?
PR : Ce qui est déstabilisant, c’est de rencontrer les autres. Soit vous campez sur votre vision du monde, soit vous allez un peu à la découverte en essayant de comprendre où en sont les gens que vous côtoyez, ce qu’ils ont vécu, comment ils l’ont perçu. Les Russes ont par exemple un souvenir catastrophique des années 90 où le pays a vécu l’une des plus terribles crises de son histoire. Ils n’ont pas la même histoire. Cela n’empêche pas les gens d’être ouverts, prêt à apprendre et à échanger. L’expérience que je vis me confirme surtout qu’il est important de se découvrir les uns les autres. Qu’il serait surtout utile que les citoyens de nos pays d’Europe de l’ouest rencontrent les gens en Russie. Par rapport à la situation actuelle, vivant ce que je vis avec les gens de valeur qui m’entourent, je suis surtout mal à l’aise de cette tendance affligeante qui consiste à monter avec désinvolture les peuples et les pays les uns contre les autres. Il n’est pas question pour moi de me prononcer sur le fond des grands sujets très complexes de la géo-politique européenne et russe en Ukraine, mais on peut sentir facilement qu’il y a des intérêts forts qui conduisent à de la manipulation et de la désinformation de tous côtés. Je suis aux premières loges pour voir les chaînes de télévision en action, et c’est flagrant d’un côté et de l’autre. C’est inquiétant quand on est comme moi sur cette lisière car la grande tension du monde apparaît nettement.
EDJ : Comment voyez-vous les choses évoluer dans le futur proche ?
PR : Je suis comme tout le monde, je n’en sais rien, mais c’est là que le judo doit nous être utile. La pratique nous a appris à ne pas sur-réagir, à ne surtout pas paniquer dans ce genre de situation. Lors d’une conversation toute récente avec mes collègues russes, qui perçoivent la même chose, nous disions que lorsque les leaders des grands pays sont bons, ils font du judo plutôt que de tomber dans un affrontement direct et violent dont personne ne peut sortir vraiment vainqueur. Nous partageons cette conviction qui veut que le « souple peut vaincre la dureté », comme le suggère le Tao-te-King, et Jigoro Kano !
Mais je suis soucieux, car tout semble en ce moment pousser les gens au sentiment de la différence, au rejet de l’autre, ce qui ne peut aboutir qu’à l’éloignement, au mépris, et peut-être à la violence. Il suffit de jouer sur des réflexes de peur, de créer une ambiance anxiogène. Renforcer le dialogue et la communication, la reconnaissance des uns par les autres est un effort de chaque jour qui demande de la force, de l’ouverture et de la confiance en soi. J’aimerais entendre plus de voix pour s’élever contre les visions manichéennes, statiques et mortifères…