La France finit en trombe

On l’avait écrit hier, « si la France prend quatre médailles, comme c’est possible, elle aura, au moins, sauvé les meubles ». Mission accomplie. Ce qui paraissait improbable jeudi et vendredi, c’est-à-dire voir combattre des Français à la hauteur de leur potentiel, a été réussi ce samedi, et c’était déjà beaucoup pour remettre en selle l’équipe et l’encadrement nombreux qui scrutait le matin la qualité des échauffements des Français du jour. Ce serait beaucoup trop de parler de sérénité retrouvée, mais après la tourmente des premiers jours, c’est le calme d’après la tempête.

Une drôle de finale

On n’épiloguera pas sur l’échec sec d’Axel Clerget dès le premier tour, il eut la malchance de prendre en tableau un 45e mondial de 21 ans qui marche sur les eaux et qui allait finir en or. Pour les autres, ils ont fait ce qu’on rêvait pour eux, ou presque.
On rêvait d’une finale franco-française en -78kg, et on l’a eue. Le parcours des deux Françaises fut même bluffant d’autorité. L’étonnante disqualification d’Audrey Tcheumeo en une minute après avoir marqué un waza-ari autoritaire laisse cependant une légère ombre, car si elle ne nous prive pas d’une médaille d’or française, elle ramène tout de même au premier plan l’image d’une championne capable de perdre pied tactiquement — même si sa motivation était sans doute moindre que contre une étrangère — et elle prive Audrey Tcheumeo d’un cinquième titre continental, qui aurait été le troisième en suivant. Dommage pour elle, mais tant mieux aussi pour Madeleine Malonga, belle championne d’Europe en larmes sur la plus haute marche, pour sa première grande consécration. À 24 ans, c’est le bon moment pour commencer à engranger.

Si près du but…

On rêvait d’un grand Cyrille Maret, et on l’a eu. Il aura rarement été aussi tranchant, aussi intimidant, notamment dans ses descentes au sol où il laissa même le malheureux Israélien Peter Paltchik inanimé. Mais alors que tout paraissait ouvert, au vert, qu’il venait même de faire le plus difficile en marquant d’entrée en ashi-guruma sur son rival finaliste, le Belge Nikiforov… tout se déréglait d’un coup. Il était attaqué, poussé au sol. Sur la chute, son coude lui manquait et l’enchaînement en étranglement du Belge le laissait impuissant. Encore une fois, la cinquième, pour sa deuxième finale de rang, le titre lui échappe. Encore une fois, c’est Nikiforov qui arrache une ligne glorieuse à son palmarès rêvé. Le bronze des championnats du monde 2015 à Astana, l’or du championnat continental en 2018. Ces deux hommes qui se respectent se sont rencontrés six fois en compétition internationale. Le Français a gagné les trois premières, écartant son cadet de deux championnats d’Europe, le Belge vient de rétablir la parité en dominant Maret pour la troisième fois de suite. À 25 ans, Nikiforov a encore l’avenir devant lui, mais il est désormais champion d’Europe, laissant couler sur le podium des larmes abondantes saluées par les applaudissements du public. Un moment pur, qu’on aurait souhaité voir vivre à Cyrille Maret.

Dicko, le début d’un règne

On rêvait d’une Dicko sur le podium pour sa première participation en seniors. Et non seulement on l’a eu, mais même un peu mieux ! Elle est championne d’Europe, à 18 ans, un titre qui marque pour elle une première ligne très glorieuse, mais elle a surtout réglé la catégorie. Personne n’a bougé, personne n’a osé la rébellion, même les plus dures, les plus remontées, les Slutskaya, les Sayit, les Ceric et autres Savelkouls, toutes ces leaders européennes qui traînent leurs (grands) judogis, depuis longtemps pour certaines, d’un podium européen à l’autre (toutes sont médaillées et deux d’entre elles ont été championnes d’Europe). Toutes ont baissé la tête au bout des deux minutes. Avec son harai-goshi, ses retours vers l’arrière en o-uchi-gari, son sens tactique naissant, son sens inné du duel mental et physique, la jeune fille de Villeneuve-le-Roi est désormais clairement la meilleure combattante d’Europe. Et ce n’est pas fini. Son règne commence et il pourrait durer longtemps. Et c’est sans doute pour la France la meilleure nouvelle de ces championnats. L’impact des féminines françaises sur le judo mondial n’est pas près de s’arrêter.

Dix à zéro

C’est beaucoup plus inquiétant en revanche pour les garçons. Une médaille continentale, la France n’a jamais fait moins. Il faut revenir aux années 2008 et 2009 pour trouver pire : une seule médaille, et en bronze. Première nation pour les masculins en 2014, deuxième en 2016, nous étions sixième en 2017. Nous voici neuvième. Il est temps que cela s’arrête. Mais pour cela, il faudra tirer mieux d’un groupe masculin qui, sur ces championnats, Maret mis à part, n’a gagné que deux combats, et par la même personne, Alpha Oumar Djalo, hier, les sept autres sélectionnés perdant au premier tour. On peut ajouter trois féminines à ce triste palmarès, soit dix Français battus d’entrée, pour comprendre que malgré le beau final des tauliers et l’avènement de deux nouvelles championnes, malgré les cinq médailles (à comparer aux sept de l’année dernière et d’il y a deux ans, et surtout aux douze de l’année 2013 et aux treize de l’année 2014), 2018 ne restera pas comme un très grand crû.

La Russie oui, la Géorgie non

C’est la Russie — impressionnante chez les hommes encore aujourd’hui avec la montée d’un petit lourd épatant (2e), Bashaev, et surtout la démonstration phénoménale d’un -90kg de 21 ans, Igolnikov, qui rejoint la galaxie des «médaillables » mondiaux et olympiques — qui sort leader des nations, leader chez les hommes, mais aussi deuxième chez les féminines, ce qui est nouveau. Avec cinq médailles, autant que la France, l’Angleterre réussit un beau retour au premier plan sur la scène internationale. Chez les hommes, la Géorgie fait encore pire que la France en disparaissant totalement du tableau des médailles, alors qu’elle était à six médailles de moyenne entre 2013 et 2017. Dans ce jeu, rien n’est jamais acquis.