Le triple médaillé mondial critique le flou qui l’entoure
Premier champion du monde masculin (autre que Teddy Riner) depuis Frédéric Demontfaucon (c’était en 2001 à Munich), Loic Pietri a désormais tourné la page des -81kg. Parti pour une seconde olympiade, le vice-champion du monde 2015 avait conscience qu’il lui faudrait du temps pour prendre ses marques dans sa nouvelle catégorie des -90kg. Pourtant, après sa défaite à Rome, le Niçois ne sait pas vraiment de quoi la fin de sa saison sera faite. « La faute à des promesses non tenues » qu’il explique ici, tel qu’il est : structuré, réfléchi et sans langue de bois.
Loïc, quel bilan fais-tu de ton olympiade ? Qu’en retiens-tu ?
Même si la défaite aux JO reste le gros point noir, je suis au final très satisfait de ces quatre années puisque je finis avec six médailles internationales : trois mondiales, de chaque métal, et trois médailles européennes (une d’argent en 2014, deux de bronze en 2013 et 2015). La consécration, c’est évidemment Rio en 2013. Quand j’étais gamin et que je regardais les grands événements, je rêvais d’y être et de gagner…. mission accomplie ! Alors je n’étais pas forcément favori mais j’étais extrêmement motivé, une motivation née notamment de la frustration de ne pas avoir été sélectionné pour Londres. En fait, Rio aura été à la fois mon meilleur et mon pire souvenir. Car lors de l’année olympique, soyons clairs, j’explose en vol : je rate la moitié de la saison à cause d’une blessure au genou. Alors même si j’étais bien préparé pour les JO, je n’étais pas à 100%. Tu ajoutes à ça le fait de descendre dans la ranking-list et je me retrouve à devoir affronter le Canadien Valois-Fortier au 1er tour. Mais je ne m’en veux pas et je ne repense plus aux Jeux. Quand je refais le film dans ma tête, ce dont je suis le plus fier, c’est d’avoir réussi à stabiliser mon niveau, d’avoir toujours été dans les meilleurs de ma caté durant toute l’olympiade.
Tu décides donc de monter en -90kg. En octobre, tu nous expliquais vouloir prendre ton temps pour ce changement de catégorie.
Tout à fait. Pour résumer un peu vulgairement « quatre ans à fond ça laisse des traces ». Et comme je savais ce qu’impliquait un changement de catégorie, je voulais faire les choses bien et ne pas commettre l’erreur de partir comme un chien fou sous prétexte que les Jeux s’étaient mal passés. J’ai donc repris à la mi-octobre en expliquant au staff alors en place que je ne participerais pas aux championnats de France 1re division. Je trouve la compétition mal placée dans le calendrier. En effet, début novembre ce n’est pas vraiment idéal pour les titulaires des JO ou pour ceux qui ont fait la prépa olympique qui fut longue et éprouvante. Or, alors que les athlètes sont en phase de repos ou de reprise, on nous annonce que notre participation est obligatoire ! Je n’ai donc pas voulu précipiter les choses. Ne voulant pas participer aux France je savais que je ne ferais pas Paris. Mais c’était un choix délibéré, car je ne voyais pas l’intérêt de faire ce Grand Chelem, car même en année post-olympique, Paris reste un très gros tournoi, un « coupe-gorge ». Or je combats toujours pour gagner, pas « pour voir si… » et quelques mois seulement après mon passage en -90kg, ça ne me paraissait pas jouable pour la gagne. J’ai donc échanger avec le staff en leur disant que je préférerais reprendre sur des World Cup (actuellement Continental Open). À ce moment-là, on m’a dit : « ne t’inquiète pas, on te sortira ».
Puis arrive Rome et une défaite au 1er tour…
Effectivement, je prends Igolnikov, un jeune dont on parle beaucoup dans le milieu du judo (triple champion d’Europe cadets, champion du monde cadet, champion d’Europe junior 2016 et vice-champion du monde junior 2014). Le match est serré mais je me fais contrer au golden score sur une tentative de seoi. Je ne fais pas un mauvais combat mais à froid, je reste persuadé que si on refait le combat dans six mois-un an, le résultat ne serait pas le même. Après cette défaite, je prends un coup derrière la tête puisque j’apprends, non pas par la voix d’un entraîneur national mais par celle du responsable de l’équipe de France, qu’il n’y aurait plus de sortie internationale pour moi. J’ai pris cela comme une trahison de la parole donnée et comme un manque de respect. J’ai trouvé cela peu respectueux de la part du staff qui m’avait dit : « on compte sur toi ». Comment prendre mes marques, me situer, accumuler de la confiance si on ne me sort pas ? J’ai glané six médailles au niveau international sur trois ans. Je connais le très haut niveau et ses exigences. Et je n’ai aucun doute sur le fait que je vais être bon en -90kg. Encore faut-il me sortir ! Quand je compare avec mon meilleur ennemi des -81kg, Advantil Tchrikishvili…vous pensez que le staff géorgien va le laisser à la maison après ses défaites à Paris et à Düsseldorf ? Bien sûr que non car ils connaissent le potentiel de ce combattant. Pour rajouter au truc, je devais sortir à Casablanca avec mon mon club, mais une blessure au genou lors des championnats de France 1re division par équipes m’a obligé à déclarer forfait.
On te sent en colère, agacé.
J’aime l’honnêteté et qu’on dise les choses clairement. Alors oui, je ne suis pas satisfait de la situation actuelle. Il n’y a eu aucune réunion depuis le début de l’année, aucun échange avec le staff sur ma saison. J’ai la très désagréable impression d’être, comme d’autres, « un sportif jetable ». L’olympiade précédente, quand je ramenais des médailles pour le judo français, on me considérait très bien. Et bizarrement, depuis le début de l’année c’est beaucoup moins le cas…Je trouve que c’est très français comme mentalité : qu’un athlète sorte un peu des clous (sur la question de ma planification annuelle) et on attend qu’il se plante pour lui dire qu’il aurait mieux fait de rester dans le moule. Peut-être me fait-on aussi payer le fait d’avoir joué un rôle dans l’initiative d’un syndicat d’athlète, il y a 2-3 ans ? Plus globalement, j’ai l’impression que les responsables réfléchissent comme si on était le Japon, et qu’on avait un vivier quasi inépuisable. Or, il faut regarder la réalité en face : c’est faux. Autre remarque : la planification est déficiente. Quand je compare avec ce qui se fait par exemple au sein de l’équipe russe : les gars ont un planning de compétition sur six-huit mois. Ils savent où ils vont, pourquoi ils s’entraînent. Je note aussi l’opacité des sélections. Le judo se veut un sport professionnel mais, contrairement au foot ou au basket, il n’y a aucune conférence de presse pour expliquer et justifier les choix, les motifs de sélection ou de non-sélection. C’est très dommage. Un peu de transparence ne nuirait pas.
À l’heure actuelle, ma saison est peut-être finie car on nous a annoncé qu’il n’y aura qu’une seule sortie entre les Europe et les Monde. Et on ne sait pas qui ira. En clair, beaucoup d’athlètes sont dans le flou le plus total. Ce qui est perturbant et contre-productif. Car on ne peut pas, par exemple, faire une prépa physique correcte si on a pas d’échéance précise. Le judo est devenu un sport professionnel dans son organisation quotidienne et mon expérience de l’olympiade précédente me fait dire que j’ai besoin de me préparer sur plusieurs mois pour être performant.
Justement sur quoi et avec qui travailles-tu ?
J’ai commencé à travailler récemment avec Christophe Massina, l’entraîneur avec qui je suis le moins en froid. Au niveau technique je dois travailler sur ma position lorsque je lance un seoi car le centre de gravité des -90kg est plus haut et bosser aussi les mouvements d’épaule debout. Autre axe de travail : la gestion de la distance. Je ne dois me laisser envahir, comme cela a été un peu le cas contre Igolnikov. Enfin, je dois gagner encore un peu en puissance. Au final, même si c’est dur de bosser quand on a pas d’objectifs, je m’entraîne et reste sur ma trajectoire.