Jeudi 11 août : sixième journée, le bilan
Audrey Tcheumeo oublie les larmes de Londres avec l’argent à Rio / Emmanuel Charlot – L’Esprit du Judo
A tout seigneur tout honneur, on a vraiment envie de commencer le bilan d’une telle journée par le salut aux vainqueurs, car ils le méritent. D’abord, le grand Tchèque Lukasz Krpalek, double champion du monde juniors 2008-2009, l’homme fort des années 2013 et 2014, surtout pour la façon dont il a haussé le régime en demi-finale, laissant Cyrille Maret sur place, puis en finale contre l’Azéri Gasimov, montrant par l’exemple ce que c’est que prendre sa chance, développer toute l’étendue de son talent au meilleur moment. Une leçon grandiose et enthousiasmante qu’on aurait aimé voir effectuée par un Français pour l’or. L’Américaine Kayla Harisson ensuite, championne olympique en titre, qui n’a dans son palmarès, si l’on peut dire, qu’un titre mondial, en 2010, un an après sa sortie des juniors (ainsi que deux médailles de bronze), mais deux titres olympiques désormais, acquis tous les deux avec une autorité qui fait vraiment réfléchir sur ce que c’est que d’être un champion prêt le jour J. Elle n’a laissé personne s’immiscer entre elle et son objectif, comme si aucun doute n’était permis dès le début sur celle qui allait gagner à la fin. Une sacrée leçon encore. Sur le podium avec le sourire, ses deux éternelles rivales en argent et en bronze – en 2012, à Londres, elles étaient déjà là, en bronze toutes les deux – celle qu’elle avait déjà battue en finale des championnats du monde juniors 2008, la Française Audrey Tcheuméo, celle qui l’avait accompagnée sur celui de 2009, la Brésilienne Mayra Aguiar. Ces trois-là se sont côtoyées sur deux olympiades, ont dominé tour à tour, mais la plus forte à la fin, celle qui a pris les deux plus belles, c’est elle, Kayla Harrison, double championne olympique.
La France revient (de loin) !
Après tant de frustration, l’arrivée de deux Français d’un coup sur le podium olympique est non seulement un plaisir, mais même un soulagement. Finalement, le DTN Jean-Claude Senaud avait raison de dire, de croire, que tout était encore possible. A force de lancer sur le tapis des champions du monde et des « top cinq » mondiaux, ça allait bien finir par payer… Ou alors, c’est que c’était la fin du monde.
Cette fois, ça y est. Ça a payé. Il a suffi à Audrey de rester égale à elle-même, puissante et concentrée, pour s’inviter en finale, où son incapacité manifeste à vraiment se libérer totalement ne lui a pas permis de rivaliser avec la meilleure. Dans les yeux de la Française, sa médaille d’argent autour du cou, il n’y avait pas les larmes de 2012, mais le soulagement demi avoué d’avoir obtenu peut-être la meilleure récompense possible, une ombre de mélancolie de n’avoir pu se hisser plus haut.
Une jolie fin
Pour Cyrille Maret, la fête est plus belle, même si la médaille est de bronze. On pourrait épiloguer sur sa demi-finale. Pouvait-il faire mieux ? Il fallait monter très haut, très vite, pour être à la hauteur de l’opposition du Tchèque Krpalek en plein élan vers l’or. Battu par plus fort, selon l’expression. Mais cette médaille de bronze parfaitement négociée, enfin, cette récompense si « méritée » comme on dit, c’était le baume attendu, l’épilogue moral et euphorisant d’une histoire jusque-là cruelle. Et si Maret n’était pas allé la chercher après un tel début de journée ? Si il avait dû encore une fois s’arrêter à la cinquième place, comme aux championnats du monde 2015, à la septième comme à ceux de 2013 et 2014 ? Mais non. Le champion du monde juniors 2006, alors qu’il n’avait jusque-là récolté en seniors que l’écume de trois médailles de bronze européennes, trouve enfin un son grâal, après dix ans d’errance. Une histoire d’aventure et d’accomplissement joliment refermée.
Trois, c’est mieux qu’une
Les tatillons remarqueront que la France et ses six champions du monde et/ou d’Europe, ses treize médaillé(e)s dans un grand championnat continental, mondial ou olympique, n’a toujours pas emporté l’or olympique, le métal qui compte triple dans la bataille que nous prétendons, non sans raison, être capable de gagner. Ce matin encore, et encore plus avec deux Français en demi-finale, on pouvait même rêver de finir première nation avec trois titres et une médaille d’argent, la seule déjà obtenue à ce moment-là, celle de Clarisse Agbegnenou. Ce rêve s’évanouit définitivement, comme s’était évanoui dès le premier jour la demi-boutade demi-bravade du projet de gagner quatorze médailles. On en est loin. Mais avec deux médailles aujourd’hui, le bilan français s’éloigne au moins du spectre de nos pires contre-performances historiques, comme l’unique médaille d’argent d’Athènes en 2004. Avec trois médailles, la France est désormais un peu mieux, toujours loin à la dixième place, mais avec la promesse d’un gros rapproché final. Finir par Teddy, forcément, ça ouvre des perspectives.
Le Japon reçu sept sur sept ?
Deux médailles d’or parties vers la Tchéquie et les USA, ce sont désormais neuf pays médaillés, sur les bases du record de Londres et Barcelone à dix, ce qui sera au moins le cas, on peut fermement l’espérer avec Teddy Riner donnant son premier titre à la France, à une encablure du record absolu de onze, à Séoul en 1988.
La Géorgie ne réussit pas finalement la passe de trois, mais la Slovénie pavoise. Après le titre olympique pour Tina Trstenjak en -63 kg, la voici à deux médailles avec le bronze d’Anamaria en -78 kg. Deux médailles pour la première fois.
Et malgré cette apparente dissémination, le Japon a gagné aujourd’hui sa dixième médaille sur douze, égalant son record historique. Il est aussi en passe de réussir, grâce à Haga, le sixième masculin médaillé aujourd’hui, l’impossible record de placer tous ses combattants masculins sur le podium, ce qui n’a plus jamais été le cas pour le Japon (et pour aucune autre nation) depuis la compétition originelle… en 1964. Il faut pour cela que le lourd Harasawa parvienne lui aussi à monter sur la boîte. Et franchement, c’est dans ses cordes.