Arnaud Aregba, médaillé d’argent ce vendredi. Crédit photo : Gabriela Sabau (IJF)
«Une journée presque parfaite». Il y a un peu moins d’un an, cette phrase synthétisait l’analyse de la journée d’Arnaud Aregba (PSG Judo) lors des championnats d’Europe au Luxembourg où il termina en argent, battu seulement par le Russe Suleimanov. Ce vendredi, cette accroche pourrait à nouveau résumer la prestation du judoka formé au JSA Bordeaux de Loic Maillard. Car voilà Arnaud Aregba vice champion du monde juniors des -81kg, après une journée qui jusqu’à la mi-combat de sa finale face au bluffant Moldave Mihail Latisev avait été en tous points impeccable.
Dès son entrée en lice, il profite de la nonchalance et de la suffisance de Kaito Amano, l’un des deux Nippons du jour, pour faire son combat, attaquer et faire pénaliser une troisième fois l’étudiant de Tokai. Une excellente entrée en matière pour une rencontre qui s’annonçait particulièrement difficile. Serein, varié, Aregba passe un à un les tours pour avoir le droit de s’offrir un titre mondial. Très vite, il mène face à Latisev sur un ko-uchi makikomi à droite, qui surprend totalement le Moldave. Mais lors d’un mano a mano qui restera comme la plus belle finale du jour, Latisev et son judo tout en feeling ne lâchait rien. Quelques séquences plus tard, il engloutissait l’épaule gauche du Français tout en collant son corps dans un mouvement rotatif pour finalement lancer un o-uchi-gari bien droit qui faisait mouche. Rageant.
Première médaille dans cette catégorie depuis Pape Doudou Ndiaye (2014 aux États-Unis). Aregba et son judo classique (uchi-mata, ippon-seoi-nage) confirme donc les espoirs placés en lui. Membre de la génération 2002 (avec Romain Valadier-Picard, Kenny Liveze, Alexandre Tama, Hans-Joris Ahibo), celui qui fut titré lors des FOJE 2019 continue sur sa dynamique ascendante de performance, initiée chez les cadets . Avec cette médaille d’argent mondial, le Parisien se donne également le droit de postuler à une place de titulaire lors des championnats du monde seniors en octobre.
Un vendredi où les masculins récoltent une autre médaille, avec Aleksa Mitrovic. Né à Nice, ce judoka d’origine serbe s’offre le bronze en -90kg pour son premier championnat international. Un judoka atypique de par son parcours : membre de l’Alliance Judo Nice du sorcier niçois Michel Carrière depuis qu’il est minimes, il termine cinquième des France cadets en 2019 (en -81kg). À l’époque peu parient sur ce judoka un peu « fou fou », aux qualités « judo » et « physiques » déjà bien prégnantes, même si certains avaient déjà bien remarqués ce combattant aussi à l’aise à droite qu’à gauche. En octobre 2020, il se fait opérer des ligaments croisés du genou, ce qui lui gâche ces deux premières années juniors. Hors système ou presque – il est listé pôle espoir de Nice en externe mais ne s’y entraîne qu’une fois par semaine -, ce « bourreau de travail » selon les mots de Michel Carrière explose cette saison. Invaincu au niveau national, il s’adjuge deux coupes d’Europe (Graz et Banja Luka) et termine deuxième à Nanterre. Hors radar national jusqu’à cette saison, Mitrovic, visiblement stressé pour cette première, trouve la lucidité pour aller chercher le podium, seulement battu sur la journée (mais de manière nette) par le Hongrois Peter Safrany, champion du monde 2021 et vice champion du monde ce vendredi. Lors du bloc final, il bat le Serbe Miljan Radulj (vainqueur des FOJE il y a deux semaines) sur un contre, restant bien lucide lors d’un combat où son adversaire aura beaucoup tenté sans toutefois réussir à déstabiliser le solide Niçois.
Nouvelle médaille masculine dans cette catégorie après celle de Maxime Ngayap Hambou l’année dernière. Joint immédiatement après cette ultime victoire, Michel Carrière expliquait « qu’aujourd’hui Aleksa n’était pas dans un grand jour, le stress d’une première compétition de cette importance sans doute. Mais malgré tout il monte sur le podium. Il est en construction avec à mon sens une marge de progression énorme dans tous les domaines. Cette médaille va lui faire du bien et je l’espère lui permettre de passer un nouveau cap .»
Seule engagée féminine tricolore, Florine Soula (JC Monaco) s’incline d’entrée face à la Cubaine Idelannis Gomez Feria, qui termine troisième il y a quelques minutes. La France est donc, à l’avant dernière journée, à cinq médailles : deux d’argent (Devictor et Aregba) et trois de bronze (Valadier-Picard, Auchecorne et Mitrovic), pointant à la huitième place du classement.
Tsunoda-Roustant, (sur)puissance deux
Et dire qu’elle a participé et gagné la Coupe de France minimes 2016 au vélodrome de Saint-Quentin en Yvelines. Une prestation qui avait marqué à l’époque pour son insolente maturité.
Ce soir, Ai Tsunoda-Roustant, qui a choisi de combattre pour l’Espagne depuis 2017, garde son titre acquis l’année dernière à Olbia (Italie), surclassant totalement la catégorie. En finale, il lui faut à peine trente secondes pour mettre fin aux espoirs de la Turque Fidan Ogel. Elle est la seconde championne du monde 2021 à s’offrir un doublé planétaire après la Batave Johanne Van Lieshout hier. Au-dessus, tout simplement au-dessus.
Déjà dix-septième à la ranking seniors, la fille de l’expert japonais Go Tsunoda est plus que jamais dans le move pour arriver comme l’une des têtes d’affiche en -70kg pour Paris 2024. Une catégorie particulièrement dense chez les seniors qui va donc voir Tsunoda-Roustant sans doute rejoindre le top 15 mondial très rapidement.
En -90kg, le même scénario faillit se répéter avec le Hongrois Peter Safrany : sacré en Sardaigne il y a dix mois, le Magyar voit ses rêves de doublé s’effacer quand l’Ouzbek Jakhongir Mamatrakhimov le monte les pieds en l’air sur un énorme utsuri-goshi lors de la finale.
Bérézina japonaise
Quatre engagés japonais ce vendredi : une féminine, Moka Kuwagata (-70kg), classée deux fois à la Coupe de l’Impératrice (2020 et 2021) et trois masculins Daisuke Takeichi (-81kg), vainqueur à la coupe européenne de Graz, Kaito Amano (-81kg), deuxième à Malaga et Junnosuke Todaka (-90kg), en or lors de la même compétition.
Un vendredi en forme de Berezina totale pour le Pays du Soleil-Levant : Takeichi et Todaka sont éliminés dès le premier tour, Kuwagata et Amano dès les huitièmes. Un échec, sur le temps d’une journée, que le Japon n’a sans doute connu que très rarement. Les trois garçons sont battus aux pénalités (dont Amano par Aregba), révélant encore une fois un invariant chez certains combattants nippons, quasi exclusivement masculins d’ailleurs. Sûrs de leurs incontestables qualités judo, certains d’entre eux s’agacent très vite des batailles de kumikata, donnant l’impression de ne pas prendre la mesure des règles du jeu du judo mondial actuel : activité plutôt que recherche systématique de la projection, annihilation le kukimata adverse, etc. Des règles critiquables sous bien des aspects mais avec lesquelles il faut s’accommoder, ce que font d’ailleurs les combattantes féminines nipponnes (nous l’avons encore vu hier). Une attitude chez certains (cela avait été le cas par exemple chez Genki Koga en 2017 à Zagreb), mélange d’indolence, d’agacement et d’incapacité à savoir mettre le rythme dans le combat qui aboutit ce vendredi à un zéro pointé en termes de médaille. Un fait notable pour un Japon peu habitué à ce genre de déconvenue.
Latisev et l’école moldave
Si côté pile, le coup de coeur du jour va à Mihail Latisev, nouveau bourgeon prometteur du judo moldave qui décidément sait cultiver son terreau pour faire fleurir de beaux et forts judokas (Denis Vieru, Radu Izvoreanu), côte face, on ne pourra s’empêcher de relever, une fois encore, l’incohérence global d’un arbitrage drogué à la vidéo. Créant des situations navrantes, comme lors du combat pour le bronze entre la Cubaine Gomez Feria et l’Allemande Melhau sur un mouvement suivi en immobilisation, accordant des waza-ari où l’angle de 90° n’est pour le moins pas clair (Toniolo vs Reis hier pour le bronze en -57kg) ou distribuant des pénalités pour refus de saisir en trombes, comme ce fut le cas ce vendredi, après parfois à peine dix secondes de combat. Une impression toujours aussi agaçante, pour un judo qui lors de ces championnats du monde juniors prouve une nouvelle fois qu’il marche, depuis maintenant plusieurs années, sur deux nouvelles jambes à l’assise peu propice aux émotions procurées par de grands combats : activité et pénalités.