Début janvier, la Cour des Comptes et l’Inspection générale des services épinglaient, chacune dans leur pré-rapport, la situation financière de la FFJudo sur la période 2012-2019. Après avoir reçu en particulier les réponses de l’ancienne équipe dirigeante, la première vient de publier ses «observations définitives» concernant la fédération française de judo et disciplines associées. Un document délivré officiellement le 1er mars par la troisième chambre de la deuxième section de l’institution de la rue de Cambon et dont l’Esprit du Judo a pris connaissance.
Qu’en ressort-il ? Tout d’abord, la Cour des Comptes évoque la FFJDA comme « une structure dynamique à laquelle ses anciens athlètes de haut niveau demeurent profondément attachés comme en témoigne leur investissement, souvent bénévole, dans la vie fédérale. Cependant sa situation financière n’en demeure pas moins très préoccupante pour trois raisons et appelle des corrections d’ampleur. » Première raison : « les multiples conséquences comptables et financières de la création d’une SCI pour porter l’institut du Judo. » Deuxième raison, «les risques entraînés par le projet du Grand Dôme, mal cernés par des études tronquées». Dernière raison enfin, « une baisse tendancielle des licences aggravée par les effets de la crise sanitaire [constituant] un risque structurel pour les ressources fédérales et locales ».
Une synthèse suivi pendant près de vingt-cinq pages d’un diagnostic financier sévère pour l’ancienne équipe dirigeante puisqu’« après retraitements (des erreurs d’imputation et des irrégularités comptables), la Cour estime donc que le résultat net comptable cumulé sur la période sous revue (2012-2019), constitue une perte de 209.547 € et non un excédent de 904.134 €. » Parmi ses erreurs d’imputation et irrégularités comptables, «le défaut de base juridique à l’intégration au résultat d’une partie des sommes versées par la Fédération internationale de judo» ou la politique de provisionnement. Que faut-il comprendre par là ? La Cour des Comptes fait en fait plusieurs reproches à l’ancienne équipe dirigeante concernant le versement des frais de fonctionnement, dus à la fonction de Jean-Luc Rougé en tant que secrétaire générale de la FIJ. Tel que le fait « qu’il n’existe aucun document assimilable à une convention passée entre la FIJ et la FFJDA et relatif à des « indemnités » que percevrait M. Rougé en sa qualité de secrétaire général de la Fédération internationale. Que, contrairement à la présentation qu’en fait le CAC dans son rapport spécial, les « indemnités » reversées annuellement par M. Rougé à la FFJDA sont en fait une fraction de ceque le CAC dans le même rapport spécial, qualifie de « budget de fonctionnement ». Ainsi, en 2019, les 140 000 € évoqués dans la première « convention » sont inclus dans les 200 000 $ mentionnés dans la seconde. Que le montant de cette fraction a été, chaque année, fixé discrétionnairement par M. Rougé qui le communiquait par oral aux services comptables de la Fédération.»
Suit, ensuite, une analyse clinique des trois objets cités plus haut.
I LA SCI Institut du Judo
La première information mise en perspective par la Cour des Comptes est purement comptable : « le cumul sur la période des résultats de la SCI avec ceux (non retraités) de la FFJDA, présente un déficit de 2 354 209 €54 des comptes fédéraux. » Dans deux sous-paragraphes, la Cour critique, dans une démonstration très technique, « l’absence de dépréciation de son compte courant à la SCI », « une non-dépréciation du compte courant dépourvue de justification sérieuse ». Page 42, cette dernière explique que « selon le CAC de la FFJDA, « de 2006 à 2013, la SCI a remboursé environ 600 K€ ». « Même à supposer exempte de la confusion précédente cette estimation, elle situerait les capacités de remboursement de la SCI à 75 000 € / an. A ce rythme, en raisonnant sur un encours moyen de 10 M€, il faudrait plus de 133 années à la SCI pour apurer le compte courant de la FFJDA, durée excédant largement celle restant à courir du BEA (47 ans). » En clair : la SCI ne pourra jamais rembourser la FFJudo. Un nouveau modèle économique, dans la perspective où la FFJudo souhaiterait absolument conserver l’IJ est donc à prévoir, la Cour conseillant à la fédération d’ouvrir « sans délai une réflexion approfondie de la SCI. »
II Le Grand Dôme de Villebon
Second dossier majeur de l’enquête de la Cour des Comptes, le Grand Dôme de Villebon. L’un des grands projets de l’olympiade précédente que la Cour des Comptes, dans son langage administratif si spécifique, résume d’une litote cruelle : « un pari hasardeux ». En effet, cette dernière pointe du doigt les risques juridiques qui ont entouré l’acquisition de la troisième salle (en termes de capacité d’accueil du public) d’Île-de-France. Ainsi, relève-t-elle : « qu’en décidant de « lever les réserves » arrêtées le 9 avril 2017 par l’assemblée générale – seule compétente en application du code du sport « pour se prononcer sur les acquisitions, les échanges et les aliénations de biens immobiliers » sous peine d’annulation de son autorisation d’achat du Grand Dôme de Villebon, au rang desquelles figurait l’obtention d’un avis « conforme » du Domaine, le conseil d’administration de la FFJDA a violé la résolution n° 7 de l’assemblée générale et outrepassé ses pouvoirs. En outre, aucun élément postérieur à cette décision du conseil d’administration ne permettait au Président de la Fédération de considérer que « la question de la validité de l’avis de France Domaine (avait) été tranchée positivement. » En clair : la FFJudo a décidé que les réserves, notamment celles du Domaine (un organisme public qui davait estimer le montant du Grand Dôme de Villebon) étaient « levées » et donc considérées comme conformes pour l’achat du GDV alors même que la ville de Villebon n’avait pas sollicité le Domaine pour estimer son bien ! « Une illégalité » selon la Cour des Comptes.
Le rapport relève également le coût annuel de l’infrastructure, bien supérieur aux estimations faites par la FFJudo. Ainsi, sur les trois années 2018, 2019 et 2020, Villebon aura coûté deux millions d’euros à cette dernière, et cela en tenant compte des bénéfices faits par la structure ! En effet, les charges liées au GDV auront été de 2.354.845€ pour des produits, seulement, de 358.825€.
Enfin, la Cour des Comptes critique de manière implicite mais argumentée l’absence d’informations données lors des AG fédérales entre 2018 et 2020, mais également l’inflation des coûts d’investissement annoncée par la FFJudo pour le Grand Dôme, en totale contradiction avec une situation financière de plus en plus fragile.
III La baisse de licences
La Cour des Comptes note ainsi que « de la saison 2011 / 2012 à la saison 2019/2020, donc avant la crise sanitaire, la FFJDA a perdu près de 50 000 licenciés soit plus de 10 % de ses effectifs. Pour la Fédération, cette baisse s’explique avant tout par la réforme des rythmes scolaires intervenue à partir de la rentrée 2014, position devant laquelle la direction des sports se déclare néanmoins « circonspecte ». […] Cela étant, confrontée à ce qui s’apparente néanmoins à une baisse tendancielle, peut-être liée à la concurrence d’autres « arts martiaux » et « sports de combat » plus attractifs chez les jeunes, la FFJDA semble de plus en plus mettre en avant le « non licenciement » évoqué plus haut.
Pour compenser l’impact financier de cette baisse, la FFJDA a procédé à une revalorisation du prix de sa licence qui, sur la période sous revue, est passé de 33 € (saison 2011-2012) à 40€ (saison 2019-2020), soit une augmentation notable de 17,5 %. La Cour relève qu’une « politique tarifaire à la hausse ne peut constituer une réponse durable à l’effritement structurel du nombre de licences. »
Alors que la crise sanitaire dure depuis désormais un an, les conséquences sanitaires sur le judo a lui aussi été étudié par l’institution de la rue de Cambon. Et ses prédictions n’ont rien d’optimiste : «la Cour considère comme plausibles, d’une part, une baisse du nombre de licenciés de la FFJDA, au minimum de 25 % voire supérieure au tiers, pour la saison 2020/2021, en conséquence de l’épidémie du Covid 19 et, d’autre part, la possibilité que le palier ainsi induit perdure au-delà de la saison en cours. Même dans l’hypothèse basse (25 %), il en résulterait, en année pleine, une perte considérable, de plus de 3 M€ / an pour la FFJDA, de plus d’1,5 M€ pour ses OTD et de plus de 15 M€ /an pour les clubs affiliés. Pareille perspective, a fortiori aggravée, compromettrait gravement les capacités d’agir du judo français, tant dans la perspective des JO 2024 de Paris que, plus encore, dans l’accomplissement de ses missions de service public. En conséquence, la Cour invite la FFJDA à engager, sans délai et en liaison avec l’État, une réflexion sur les voies et moyens nécessaires pour y faire face et y remédier. »
À partir de cette analyse technique et approfondie, la Cour des Comptes préconise neuf recommandations à l’attention de la FFJudo :
Recommandation n° 1 : Envisager le recrutement d’un directeur financier (FFJDA).
Recommandation n° 2 : Communiquer au commissaire aux comptes les informations exactes concernant les flux financiers avec la Fédération internationale de judo pour compléter et rectifier son rapport spécial relatif aux conventions réglementées (FFJDA).
Recommandation n° 3 : Prendre l’attache de la direction des sports et de la région Île-de-France pour écarter le risque de reversement des subventions octroyées pour la création de l’Institut du Judo (FFJDA).
Recommandation n° 4 : Déprécier le compte courant détenu par la FFJDA dans la SCI « Institut du Judo » après avoir établi les critères précis régissant la provision (FFJDA).
Recommandation n° 5 : Provisionner à hauteur de 2,4 M€ le risque que soit appelée en 2023 la garantie donnée par la FFJDA à l’emprunt avec remboursement in fine souscrit en 2016 par la SCI « Institut du Judo » (FFJDA).
Recommandation n° 6 : Établir un plan à moyen terme de redressement de la trésorerie de l’ensemble FFJDA / SCI et intégrer celui-ci aux paramètres d’évaluation du montant de la provision précitée pour dépréciation du compte courant de la FFJDA à la SCI « Institut du Judo » (FFJDA).
Recommandation n° 7 : Suspendre le programme d’investissements du Grand Dôme de Villebon, en revoir les hypothèses de soutenabilité économique et financière, soumettre l’ensemble de cette révision à l’assemblée générale de la Fédération (FFJDA).
Recommandation n° 8 : Engager une réflexion en liaison avec l’État sur les moyens de faire face au risque systémique que recèle pour le judo français la crise sanitaire (FFJDA/DS).
Recommandation n° 9 : Adapter toute mission d’expertise-comptable aux besoins et attentes de la Fédération (FFJDA).