L’entrée en matière est impressionnante. Ave cinq médailles dont deux titres masculins, la France frappe fort lors d’une première journée qui, si elle mit du temps à se lancer, proposa sur sa fin des combats à couper le souffle. Un jeudi où la Russie se place en embuscade derrière la France, avec ses deux victoires féminines. La gagne se jouera-t-elle entre les deux pays ? Une journée qui voit également la précocité insolente et talentueuse de l’Israélienne Kerem Primo se confirmer. Un diamant, sans chichi et souriante, qu’on croisera assise dans un couloir de la labyrinthique mais ultra-moderne Coque Arena à textoter avec frénésie en attendant tranquillement son contrôle anti-dopage. Grâce à elle Israël prend la troisième place au classement des nations, dominé donc par la France.

Valadier Picard, maître es ne-waza

Romain Valadier Picard aura écoeuré le Géorgien Sardalashvili.
Crédit photo : Thomas Rouquette/L’Esprit du Judo

Tous têtes de série, les combattants français sont rentrés tard dans une compétition qui débuta finalement à 10h30. Hasard symbolique, c’est le seul combattant du cru, le -60kg luxembourgeois Noah Trapp qui ouvrait les hostilités sur le tapis n°1 de la très spacieuse Coque Arena. Vaillant, Trapp se faisait toutefois projeter lorsdu golden score par le Tchèque Dvoracek (finalement cinquième) sur un ippon-seoi-nage que ce dernier ramenait vers l’arrière. Un apprentissage du haut niveau qui continue pour les judokas du cru, même si les premiers effets sont là (cf médaille d’argent de Kenza Cossu aux championnats d’Europe cadets il y a peu).

Côté français, la Marseillaise aura donc retenti deux fois cet après-midi au sein de l’Arena. Pour les deux catégories masculines du jour ! Un doublé masculin la même journée ? Il faut remonter à 2008 pour trouver pareille performance (il s’agissait alors de Pierre Duprat en -55kg et Ugo Legrand en -66kg). Cela situe la prouesse des garçons de Yacine Douma et Richard Melillo, qui deviennent champions d’Europe sur le même mouvement !
En -60kg Romain Valadier-Picard, l’ACBB Boy, fut tout simplement intouchable. En finale, sa reprise d’initiative en ne-waza est une pure merveille. Un sankaku-gatame qui fera baisser pavillon au Géorgien Giorgi Sardalashvili, pourtant chaud comme une bouillotte toute la journée et qui traçait son sillon jusqu’en finale, profitant du forfait du Turc Salih Yildiz (champion d’Europe 2019 et troisième l’année dernière tout comme Valadier Picard, il a été déclaré blessé ce matin même). Véritable petit lapin Duracell, le tricolore continue de bluffer par sa capacité à imposer systématiquement son rythme et ses déplacements. Mais aussi et peut-être surtout par son efficacité au sol devenue quasi-chirurgicale. Une réussite presque effrayante pour ses adversaires, le Français réussissant 100% du temps (ou pas loin) à conclure chaque séquence engagée, en particulier en juji-gatame. Une maîtrise que Valadier Picard, souriant et soulagé à sa descente du podium, expliquait travailler régulièrement avec Sebastien Calloud dans son club. Encore plus précis et plus costaud (il est maintenant à 62kg en poids de forme), le lutin malin de l’ACBB lance idéalement sa saison, espérant bien être des quatre sélectionnés pour Paris.

Gobert, première !

Maxime Gobert, en attendant de chanter la Marseillaise.
Crédit photo : Thomas Rouquette/L’Esprit du Judo

Maxime Gobert, lui, donnera l’impression d’être monté sur un nuage avec sa médaille d’or autour du cou. Sourire radieux, le judoka de l’OJ Nice expliquera avoir débuté sa journée en mode « diesel » avant de connaître une demi-finale très crispante face à l’Ukrainien Vladyslav Kazimirov. Pas loin d’être puni sur deux énormes corps-à-corps lancés par son adversaire, Gobert prouve ses qualités gymniques en se sauvant deux fois in extremis. Ne lâchant pas le morceau face à un judoka dont le style ne lui convenait clairement pas, le Tricolore se montre le plus lucide, évitant l’erreur synonyme de troisième pénalité qui viendra finalement de son adversaire. En finale, il retrouve l’un des animateurs de ce jeudi, le Russe Kantemir Kodzov, dynamiteur en chef avec son uchi-mata. Après deux alertes, le Français place son mouvement au sol – un domaine qu’il a commencé à travailler avec Arnaud Blanc et qu’il affine désormais auprès de Stéphane Auduc – qui fait taper un Russe bien conscient qu’il n’en sortirait pas. Sans doute aussi un peu émoussé d’une demi-finale dantesque – et sublime – face au Géorgien Tengo Zirakashvili.
Très solide sur ses jambes et donc difficile à faire tomber, Gobert, outre des liaisons debout-sol efficaces, montre surtout un vrai talent à ne pas commettre d’erreurs dont pourrait profiter ses adversaires.
Bref, une journée tout simplement parfaite pour l’équipe masculine, preuve que le travail engagé avec cette génération continue à porter ses fruits. Une excellente nouvelle.

Devictor tout en régularité, Mokdar dans l’Histoire

Chloé Devictor résite bien à l’attaque de Liliia Nugaeva en finale.
Crédit photo : Thomas Rouquette/L’Esprit du Judo

Pas de titre en revanche pour les féminines de Gilles Bonhomme et Amina Abdellatif. Mais trois médailles pour quatre engagées, dont deux d’argent, cela reste un excellent bilan tout de même.
En -48kg, Léa Bérès (Stade Bordelais Judo) et son morote-seoi-nage ne subiront que la loi de la talentueuse Russe Irina Khubulova. Trouvant la faille avec ses mouvements d’épaule, cette junior première année gagne sa première médaille sur un championnat international lors de sa première sélection sur un tel évènement. Prometteur.
Même statistique pour Chloé Devictor (-52kg, FLAM 91), qui a elle définitivement passé un cap cette saison. Trois fois médaillées en coupe d’Europe (or à Prague, argent à Bucarest et Sarajevo), elle devient cet après-midi vice championne d’Europe, seulement battue par la Russe Liliia Nugaeva dans une finale indécise. « J’ai sans doute fait l’erreur de vouloir m’opposer physiquement à elle, plutôt que de privilégier les déplacements » analysera-t-elle avec une remarquable lucidité à sa descente du podium.
Reste que Devictor aura montré sa capacité à rester concentrée malgré le waza-ari d’avance de la Croate Puljiz (finalement en bronze) en quart de finale et des qualités en ne-waza, punissant l’Italienne Silveri en demi-finale avec l’étranglement lancé par Clarisse Agbegnenou en ashi juji-jime.
Mais bien plus une remarquable régularité, elle qui aura été sur les cinq podiums des compétitions auxquelles elle a participé depuis juin.
Dans la même catégorie, Léonie Gonzalez (ESBM Judo) perd dès son entrée en lice face à la Hongroise Roza Gyertyas.

Faiza Mokdar, concentrée face à Kerem Primo.
Crédit photo : Thomas Rouquette/L’Esprit du Judo

Reste Faiza Mokdar. Triple championne d’Europe en titre, la Parisienne a décidé il y a peu de monter de catégorie, fatiguée des régimes. Victorieuse à Prague et troisième à Bucarest, allait-elle réaliser un quadruplé historiqur dans l’histoire du judo français ? Et bien presque. Montant doucement mais sûrement en régime, la judokate du PSG retrouvait en finale celle qui l’avait battue en Roumanie, l’Israélienne Primo.
Parfaite sur son début de combat, la Française faisait rapidement monter les pénalités avec ses tentatives d’uchi-mata et d’ippon-seoi-nage. Mais plus le combat avançait, et plus la Française perdait imperceptiblement en précision et lucidité. Presque étranglée sur un kata-te-jime, Primo trouvait finalement la faille sur un chi-mata à droite.
Une défaite au goût amer pour Mokdar, pas loin de faire tomber la troisième pénalité synonyme de quadruplé historique. Reste que la protégée de Nicolas Mossion clôt son aventure continentale avec quatre médailles (trois d’or, une d’argent), un chiffre inédit dans le judo tricolore et européen puisqu’ils ne sont désormais que deux à avoir réalisé un tel exploit : Beka Gviniashvili et depuis aujourd’hui Faiza Mokdar.

Primo et Khubulova, ça promet

Irina Khubulova, désormais double championne d’Europe juniors.
Crédit photo : Thomas Rouquette/L’Esprit du Judo

Primo est-elle du coup la révélation du jour ? Oui parce qu’elle n’est que cadette deuxième année et vient donc de faire le doublé Europe cadets et juniors en seulement quelques semaines. En termes de précocité, elle dépasse Faiza Mokdar (championne d’Europe juniors en étant cadette troisième année), ce qui n’est pas peu dire. Oui également, parce qu’il faut saluer la maturité de cette combattante qui sera restée alignée sur sa tactique de combat, n’en déviant pas alors qu’elle était pourtant menée deux shidos à rien par une Mokdar dominante.
Et un petit non parce que la sœur cadette de Gefen, véritable météorite, se trouve depuis plusieurs mois être dans le viseur des observateurs avisés : troisième de l’Open seniors de Croatie début mai, elle s’adjuge également la coupe d’Europe de Roumanie cadets et juniors en deux semaines. Une qui n’est plus une révélation c’est la Russe Irina Khubulova. Écrasante de supériorité en -48kg, elle fait le doublé après 2019 (elle avait battu en finale une certaine Shirine Boukli) à grands coups d’uchi-mata ou de tani-otoshi. Avec Liliia Nugaeva, elles s’adjugent les deux titres russes du jour. Vice championne d’Europe -23 ans 2020 (battue par Mélanie Vieu), médaillée de bronze à Kazan en mai, Khubulova est dans le temps pour arriver à Paris, dans trois ans, pleine d’ambition.

Deux titre masculins français ? Deux titre féminins russes ?
Pas sûr qu’on aurait parié sur un tel résultat à regarder les tendances lourdes du circuit continental. De nouvelles dynamiques – pas forcément incompatibles avec les anciennes – seraient-elles à l’œuvre ?