Des médailles, des nouveaux, des grands moments…
C’est toujours un peu comme cela aux championnats d’Europe. On part en faisant la fine bouche, il manque toujours un leader fort, une nation a déserté, ou l’équipe de France n’a pas préparé. Et à l’arrivée, parfois, souvent, on a eu la chance et le plaisir d’assister à un événement fort.
Cette fois encore il manque du monde, et la Russie n’est là qu’avec des combattants n°2, voir au-delà. Pourquoi ? Le responsable de l’équipe Ezio Gamba reste muet et tout se dénouera en août. Ce n’est en tout cas pas pour le problème des combattants contrôlés positifs au meldonium car la plupart sont là, comme une démonstration du soutien qui leur est fait par l’encadrement russe – soutien qui s’explique d’autant mieux que, a-priori, si ces combattants ont été constaté positifs à cette substance déclarée interdite depuis peu, ils ne sont pas, et ne seront pas, suspendus car la consommation peut avoir été faite avant l’interdiction. Mais quand une équipe comme la Russie – trois titres, pour quatre finales et six médailles rien que pour les masculins l’année dernière – lâche du lest, alors des choses intéressantes peuvent apparaître, comme lors d’une marée basse.
La France en profite pour faire des médailles. Deux titres, soit déjà deux de plus qu’à Bakou 2015 (mais un de moins qu’en 2014 à Montpellier, une année particulièrement faste), et trois médailles en tout. Mais si les médailles sont importantes, pour que la journée soit vraiment grande, il faut plus que cela. Il faut qu’il se passe quelque chose.
1- Walide Khyar a bluffé tout le monde
On pourrait presque arrêter le championnat aujourd’hui avec ce titre en -60 kg, tant il apporte à l’équipe de France. Un titre masculin c’est déjà un grand événement : Teddy Riner mis à part (il gagne en 2007, 2013 et 2014), la France n’en a, après tout, ramené que trois dans la décennie, Milous en 2010, Legrand en 2012 et Korval en 2014. Mais l’éclosion d’un combattant si plein de fraîcheur et d’esprit de combat, un garçon de 20 ans qui débarque à trois mois des Jeux avec de telles dispositions, c’est encore plus rare. Attaquant à tout-va, avec l’idée de tout emporter sur son passage, de faire craquer les adversaires, le jeune Français a bluffé tout le monde, le public n’ayant rapidement d’yeux que pour lui. En finale, alors qu’il était mené d’un waza-ari et d’un yuko par le n°5 mondial, tout le monde semblait persuadé qu’il allait gagner ce combat et c’est ce qu’il a fait, sur l’un des plus énormes ura-nage de l’année. Et chacun de le comparer alors au Géorgien Shavdatuashvili, qui avait débarqué avec la même fougue tempétueuse quatre ans plus tôt et gagné les Jeux olympiques 2012 en -66 kg. On verra. Mais le billet et très probablement dans la poche de ce garçon, et on a bien compris qu’il peut faire très mal (c’est à dire très bien) à Rio.
2- Automne Pavia, présente le jour J
C’est un lieu commun de le dire, mais les champions se distinguent par leur capacité à jouer la bonne carte au bon moment, à sortir la main gagnante quand l’enjeu est là. Cette fois ce fut si flagrant que la comparaison fut cruelle pour la challenger Receveaux, si pressante pendant des mois, et cette fois ramenée à son manque d’expérience, à ses limites tactiques et mentales au moment où il fallait être là. Tandis que la Dijonnaise se laissait prendre de vitesse à la garde sans trouver de solution et ne parvenait pas à monter au moins sur le podium, Automne Pavia, pourtant dans le doute depuis quelques mois, réaffirmait avec une autorité intacte qu’elle n’est pas fatiguée, et qu’elle est bien celle qui doit défendre ses chances à Rio en août. Efficace techniquement, lucide et opportuniste, Pavia a fait la différence en assommant l’Allemande Roper sur un gros harai-goshi alors qu’elle était menée, et en dominant en face à face sa jeune rivale Receveaux, totalement impuissante aujourd’hui contre elle. Et il faut tout de même le rappeler : trois titres européens en quatre ans (en plus de ses trois médailles mondiales et olympiques sur la même période), c’est tout simplement énorme. Au sortir de ce tournoi, il n’y a plus qu’elle.
3- Gneto devant Euranie, mais…
Depuis des mois, Priscilla Gneto était globalement plutôt dominée dans son duel à distance avec Annabelle Euranie. En se hissant ici en finale face à la Kosovare Kelmendi après sa finale à Düsseldorf, elle reprend la main. Elle prend aussi une place sur le podium européen… sur lequel elle n’était tout simplement jamais monté. Cinquième du championnat du monde 2011 avant d’atteindre le podium olympique en 2012, elle était finalement restée la fille d’une seule grande compétition. La pression que lui met la championne de la génération précédente (voire plutôt de celle d’avant), revenue pour l’aiguillonner, lui fait du bien. Et c’est peut-être, paradoxalement, à Euranie qu’elle doit cette médaille, et, pourquoi pas, l’éventuelle deuxième médaille olympique à venir. Sur le papier, c’est fait. C’est elle qui y va. Elle est finaliste et Euranie ne monte pas sur le podium. Elle a aussi mis une taule d’enfer à la Roumaine Chitu, une référence. Mais c’est tout de même Annabelle qui fait la meilleure impression sur Kelmendi, Annabelle Euranie qui ne tombe pas de la journée… mais montre aussi quelques limites face à la résistance farouche de la petite Russe Ryzhova. C’est sur ce combat perdu d’une pénalité, ce combat qui l’éloigne de l’égalité avec Gneto sur la journée, que beaucoup de choses vont se jouer, et notamment une part de sa vie.
4- Il y aura (probablement) une -48 kg française aux Jeux, mais pour quoi faire ?
Nous voici dans le rayon des choses qui fâchent, qui chagrinent, qui agacent. La petite combattante de Villemomble a fait ce qu’elle a pu, mais c’était déjà un peu tard pour Laetitia Payet, tard dans sa carrière, tard dans l’approche de ces Jeux. Battue par la Turque Lokmanhekim, future troisième, elle reste à la 25e place mondiale et n’est pas dans les sélectionnées pour Rio que par la grâce du quota continental, dont elle occupe la deuxième et dernière place qualificative pour l’Europe. Apriori, elle devrait la garder, mais ce n’est pas sûr du tout car la compétition continentale panaméricaine va rebrasser les cartes et pourrait bien rejeter quelques Européennes au-delà de la limite (comme l’Israélienne Rishony, 17e mondiale) expulsant ainsi la Française de son frêle esquif. On peut commencer à s’y préparer, il n’y aura pas de miracle, pas de baume sur la cuisante défection forcée d’Amandine Buchard pour les Jeux, il y aura (probablement) une combattante française dans cette catégorie aux Jeux, mais, épuisée par la tension d’avoir eu à faire face à cette défection mal gérée, pour quoi faire ?
5- La Géorgie a un nouveau cador
Il s’appelle Vazha Margvelashivili, il a 22 ans, et ne perd plus beaucoup dans cette catégorie des -66 kg. À Kazan, il passe un cap en surclassant le toujours exceptionnel Arsen Galstyan, champion olympique 2012 des -60 kg, et en finale contre l’Anglais Oates, malgré des crampes aux doigts qui l’obligeaient à appuyer sur ses cuisses pour pouvoir ouvrir les mains, il a fini sur un o-soto/harai-goshi supersonique. Si la France découvre Khyar au bon moment, la Géorgie démontre aussi à Kazan qu’elle s’est dotée d’une nouvelle arme de guerre. Ça tombe bien pour elle, il restait un « trou » dans cette équipe de monstres, et c’était en -66 kg.
6- L’Italie revient dans la course
Il y a désormais deux Kosovares sur les podiums européens – Kelmendi (-52 kg) et Gjakova (-57 kg) – une nouvelle combattante israélienne de 21 ans, Timna Nelson Levy atteint le podium des -57 kg, au détriment d’Hélène Receveaux, l’Arménien Davtyan retrouve le podium… neuf ans après son dernier (et unique) en 2007, dans un combat furieux pour la médaille contre le combattant turc Bekir Ozlu, et l’Italie revient. Absents du podium européen depuis 2011, (Elio Verde et Erica Barbieri), les Italiens ont pourtant échoué à placer leurs féminines sur le podium, notamment celle qu’on voyait venir très fort, Odette Giuffrida (-52 kg), cinquième des championnats du monde 2015 et en or au tournoi de Géorgie, ou encore Valentina Moscatt, cinquième seulement ce jeudi en -48 kg. Mais, c’est inattendu, deux garçons se hissent sur le podium, les très jeunes Elios Manzi (-60 kg), répéré en cadet il y a quelques années, et Fabio Basile (-66 kg), médaillé européen junior 2014, 20 ans pour l’un, 21 pour l’autre. Mobilité, technicité, ils ont plu et certains mêmes y retrouvaient la patte d’un certain Kiyoshi Murakami, désormais entraîneur en Italie, après avoir fait dans les années 90 les beaux jours de l’équipe de France féminine. Vrai ou pas, l’Italie est de nouveau parmi nous et c’est bien.