C’est un sourire aisément devinable malgré son masque qui apparaît sur le visage de Margaux Pinot. Posant avec les trois autres médaillées des -70kg, la Française sait qu’elle vient normalement de composter son billet d’avion pour Tokyo fin juillet. Car l’enjeu principal de cette seconde journée des championnats d’Europe était bien là pour le judo français. Qui de Marie-Eve Gahié ou de Margaux Pinot allait réaliser la meilleure performance, ultime juge de paix d’un mano a mano relancé par le report des JO et que la seconde dominait, depuis la reprise en novembre, avant ce rendez-vous continental ? Un duel XXL entre la n°1 mondiale, championne du monde 2019, 3e à Prague et la n°2 mondiale, double championne d’Europe en titre et vainqueur à Tel-Aviv en janvier pour le dernier ticket olympique d’une équipe féminine tricolore à l’allure d’Invincible Armada ?

Gahié piégée par Cvjetko, Pinot exacte au rendez-vous

Margaux Pinot en argent ce samedi.
Crédit photo : Carlos Ferreira (UEJ)

La réponse se dessina beaucoup plus rapidement qu’attendu. La faute à l’élimination précoce de Marie-Eve Gahié, battue par la Croate Lara Cvjetko sur un waza-ari douteux après un sutemi de la championne du monde sur lequel les responsables arbitraux estimaient que la Croate, 19 ans, 115e mondiale mais vainqueur des championnats d’Europe -23 ans 2020 (pour son premier championnat senior !), avait repris l’initiative. Un combat qui s’avéra, au fil des minutes, de plus en plus piégeux pour Gahié, gênée par cette gauchère très latéralisé même si elle menait de deux shidos après quarante secondes. La Française avait même trouvé une solution sur un tani-otoshi (qu’elle ne retentera plus) dont, après plusieurs revisionnages, on se demande encore comment il n’a pas pu être comptabilisé.
Une défaite en forme de boulevard pour Margaux Pinot. Fidèle à ses prestations des derniers mois, la judokate de l’ESBM Judo se montra imprenable pour ses adversaires, courant après la Française qui variait entre yoko-tomoe-nage, travail en ne-waza et mouvements d’épaule. Sûre d’elle-même, plus que jamais mobile, visiblement très au point physiquement, la Franc-Comtoise traçait ainsi sa route jusqu’en finale.
Et y retrouvait, pour la troisième fois consécutive, la Hollandaise Sanne Van Dijke ! Si Pinot dominait le début de leur rencontre, elle se faisait surprendre par un uchi-mata de la n°5 mondiale en reprise d’initiative alors qu’elle était à genou suite à une tentative de sode-tsuri-komi-goshi. Un uchi-mata qui déroulait la Tricolore sur le dos pour ippon. Une défaite qui ne devrait sans doute pas trop faire cogiter Pinot, tant la priorité était ailleurs. Car ce nouveau podium continental scelle sans doute le sort de la catégorie pour Tokyo en sa faveur.

Au fond, cette conclusion relève d’une logique presque implacable. Depuis novembre et la reprise du circuit international, la n°2 mondiale s’est systématiquement mieux classée que Marie-Eve Gahié : 2e au Grand Chelem de Budapest (Gahié fait 5e), championne d’Europe (sa rivale termine 3e) et vainqueur du Grand Chelem de Tel-Aviv (la Parisienne finit 3e).
La championne du monde en titre qui n’a jamais retrouvé son niveau de Tokyo 2019 où elle s’était montrée d’un opportuniste létal en ne-waza, combiné à un impact physique effrayant pour ses adversaires. Remarquable de régularité dans les résultats mais aussi dans ses prestations, Margaux Pinot, elle, a su saisir l’opportunité offerte par le report des JO pour se redonner une chance de combattre au Budokan de Tokyo cet été. Très forte mentalement, la protégée d’Alain Schmitt à Blanc-Mesnil voit donc, ce soir, les portes de la sélection olympique s’ouvrir plus que jamais pour elle .

Le dies horribilis des masculins

Nicolas Chilard lors de son premier combat face au Slovaque Stancel.
Crédit photo : Carlos Ferreira (UEJ)

Ce samedi restera également comme une journée cuisante pour les masculins. Un dies horribilis. Des éliminations au premier ou second tour pour les quatre engagés de l’équipe de Christophe Gagliano. Chez les -73kg, Benjamin Axus et Guillaume Chaine perdent d’entrée, battus respectivement par le Polonais Adam Stodolski (74e mondial) et l’Italien Giovanni Esposito, 28e mondial (et 2e à Tel-Aviv).
Deux combats, et c’est sans doute ça le plus inquiétant, pendant lesquels on a jamais senti les n°1 et 2 français prendre les choses en main, attaquer, impacter. Bref être les patrons du tatami.
Même remarque pour Alpha Djalo en -81kg, piégé par le Belge Sami Chouchi (vainqueur à Tbilissi) au second tour après une victoire en hors d’œuvre sur un ippon-seoi-nage debout face au Chypriote Aristos Michael. Très rarement dangereux mais constamment dans l’activité, en adéquation totale avec les effets -pervers – induits par le règlement d’arbitrage, le judoka d’Outre-Quiévrain fait monter doucement mais sûrement les pénalités face au Tricolore. Jusqu’au hansokumake.
Nicolas Chilard, lui, ne peut tout simplement rien contre le Turc Vedat Albayrak, médaillé mondial 2018 et vainqueur à Antalya il y a peu. Subissant le puissant bras droit de ce judoka né en Géorgie et passé par la Grèce, le Breton ne peut résister au uchi-mata (très classique) du futur champion d’Europe. Au tour précédent, le médaillé de bronze du Grand Chelem de Budapest avait sorti le Slovaque Filip Stancel, 60e mondial, d’un léger waza-ari sur un seoi-nage.

Une prestation dont les leçons seront à tirer mais dont certaines sont d’ores et déjà connues : avec sa médaille de bronze du jour, l’excellent judoka suisse Nils Stump repasse devant Guillaume Chaine à la ranking-list olympique pour 23 points. Le Français redevient donc quota continental. Ce qui veut dire qu’à ce jour, les -81kg, auxquels ils ne restent que le Grand Chelem de Kazan et les championnats du monde pour marquer des points, doivent se qualifier via un quota olympique. Car rappelons la règle : il ne peut y avoir qu’un seul quota continental par pays et par sexe.
Une occasion manquée de grimper à la ranking-list, même si on peut se dire, pour se rassurer un peu, que les deux compétitions restantes sont beaucoup plus riches en points qu’un championnat continental.

La journée productive de Trstenjak, Casse et Van Dijke

Tina Trstenjak, titrée pour la troisième fois sur le plan continental.
Crédit photo : Carlos Ferreira (UEJ)

Un samedi où le duel pour une qualification olympique ne concernait pas que la France.
Ainsi en -63kg, Tina Trstenjak, la championne olympique slovène, dissipe définitivement les maigres espoirs de sa cadette Andreja Leski de voir Tokyo cet été. Numéro deux mondiale, la championne du monde 2015 s’offre aujourd’hui son troisième titre, dominant en finale très agressive Russe Daria Davydova sur un ippon-seoi-nage. Leski termine en bronze.
En -81kg, Mathias Casse, n°1 mondial, a montré qu’il était bien l’incontestable patron belge de la catégorie. Il se classe deuxième (alors que Sami Chouchi finit 7e), seulement battu par Albayrak, fils de l’ancien champion géorgien des années 1990, Giorgi Revazashvili, sur un uchi-mata vraiment plaisant à voir lancé. En -70kg, Sanne Van Dijke, par sa victoire sur Margaux Pinot, prend une option sans doute irrémédiable vis-à-vis de Kim Polling (battue par la Française aux pénalités, de manière d’ailleurs un peu sévère), qui ne se présente pas pour le bronze. Second titre continental pour la Batave de 25 ans, après celui de 2017.
Restait les -73kg, où Akil Gjakova apporte le second titre au Kosovo après l’or de Distria Krasniqi hier en -48kg. Une victoire qui place l’équipe de Driton Kuka en tête des nations ce samedi devant la France et ses cinq médailles !
En finale, Gjakova,  troue la défense du bison israélien Tohar Butbul sur une subtile feinte de corps avant de lancer un uchi-mata qui envoie le judoka de Oren Smadja sur la tranche.
Une journée qui aura été particulièrement décevante sur le plan du judo, le Suisse Stump et son o-soto-otoshi d’école étant l’une des trop  rares bouffées d’oxygène pour les amateurs de classicisme. Un mouvement qu’il place à Giovanni Esposito (tombeur de Chaine) pour le bronze. Un Helvète qui s’est montré insolant de supériorité technique devant le Transalpin.