Le jour des Français : Clarisse Agbegnenou chercheuse d’or
Une jeune fille de 21 ans qui collectionne déjà les finales mondiales / Emmanuel Charlot – L’Esprit du Judo
Quatre Français en lice ce matin, quatre Français en demi-finale, on en avait rêvé. Ou du moins on avait espéré fermement que, cette fois, au moment du rendez-vous décisif, en cette journée où l’encadrement national avait décidé de lancer deux jokers du meilleur niveau mondial pour accompagner un champion du monde et une vice championne du monde en titre, tout le monde allait être à la hauteur de l’événement. Ce fut le cas.
Dans la douleur
Ce ne fut pas si simple d’en arriver là pourtant car les deux champions du jour en particulier, Loic Pietri (-81 kg) et Clarisse Agbegnenou (-63 kg) n’était pas forcément dans des dispositions exceptionnelles. Loic Pietri cherchait de l’air rapidement dans son affrontement de premier tour contre le dangereux Coréen Lee Seungsu, auquel il avait eu, heureusement, la bonne idée de marquer waza-ari d’entrée sur son seoi-nage inversé. Le combat ne fut pas simple contre le Portugais Lima et carrément étouffant contre le Suédois Robin Pacek, un bon technicien qui monte en puissance en-81 kg dans le sillage de son frère Martin, 13e mondial en -100 kg. Ce fut âpre jusqu’au bout, jusqu’à ce que le Suédois commence à décliner, au golden score. Lucide, Pietri le crucifiait sur seoi-nage. Dos au mur au tour suivant, et surtout face au Russe Nifontov, champion du monde 2009 très encouragé par le public, Loic Pietri sortait alors sa meilleure prestation du jour. Là encore le combat était intense, le Russe patient et malin s’acharnant à contrôler le kumi-kata et la direction de déplacement. Mais avec beaucoup d’opportunisme, le Français surpassait le Russe sur son point fort : il contrait son diabolique sasae en le poussant au sol dans un cri de victoire. Mené d’un yuko, Nifontov n’avait plus guère de solutions et prenait ensuite un beau mouvement d’épaule qui rendait le public de la Traktor Arena morose.
Une petite jeune fille
pour Clarisse Agbegnenou la « Tornade d’Argenteuil », ce qui apparaissait dans ses yeux dans les premières pentes de la montée vers l’or, c’était son extrême jeunesse. À force de considérer qu’elle ne pouvait pas passer une seconde fois à côté de la consécration, on en oublie parfois qu’elle a 21 ans tout juste – « 22 ans en octobre, je grandis ! » rappellera-t-elle un peu plus tard aux journalistes qui l’interrogent – et que c’est encore bien jeune pour supporter la pression d’un titre mondial à conquérir et de l’entourage qui y croit dur comme fer. Ce qu’elle a sans doute appris l’année dernière, en perdant en finale d’un championnat du monde où elle semblait invincible, c’est le doute. Quant on a échoué une fois à prendre un titre promis (par les autres), on peut le refaire et c’est sans doute pourquoi, comme elle l’a exprimé ensuite : « je voulais avancer, mais mon corps ne suivait pas ». Elle avait de la marge heureusement sur la Suédoise Berholm et la Chinois Zhang Wen dont on ne sait pas grand chose, sinon qu’elle a 23 ans et qu’elle n’est sortie qu’une fois de Chine pour faire 7e du Grand Prix d’Abou Dhabi. Et puis avec sa façon de se faire des amies partout dans le circuit, la gentille Clarisse est rarement en terrain hostile. En quart de finale, l’Italienne Gwend est une des ses « cops » et la petite tape dans la main après la défaite de cette ancienne vice-championne d’Europe (2010) était pleine de fraîcheur.
Deux « joker » parfaits
Les deux « jokers » ont été impeccables en revanche. À sa manière habituelle, mais aussi avec efficacité dans ses sumi-gaeshi, Anne-Laure Bellard a traversé ses premières adversaires, dont, en quart de finale l’Autrichienne Unterwurzacher, cinquième mondiale et à la bagarre contre les longs segments étouffants de la championne de France, mais finalement battue par un waza-ari pris dès la 14e seconde du combat.
Alain Schmitt, 30 ans et médaillé mondial depuis l’été dernier, affrontait d’entrée le n°3 mondial, un rugueux petit Allemand, Sven Maresch, qui se battait âprement sur les mains, mais ne se hissait pas au niveau d’expression technique du Français qui ne marquait pas, mais laissait son rival à trois shidos derrière. Un démarrage rigoureux, déjà exténuant, et qui donnait déjà à penser que le vieux lion de Levallois partait pour une grande journée. L’obstacle Lucenti passé sans frémir (c’est l’Argentin qui avait balayé sans trop le vouloir Alain Schmitt aux Jeux olympiques) les deux tours suivants demandaient du sérieux et Alain Schmitt en avait à revendre. Il était en demi-finale, le quatrième Français du jour. Le rêve réalisé.
Anne-Laure Bellard, une forte tête du judo français / Emmanuel Charlot – L’Esprit du Judo
Bellard si près…
Il n’y avait pas de suspens chez les féminines. Une Française serait en finale et l’autre en place de trois. On se doutait que celle qui serait en finale allait être Clarisse, face à Anne-Laure, qu’elle connaît bien. Prédiction réalisée avec un gros kubi-nage. Première déception du jour pour la grande Bellard, qui devait toucher ensuite le fruit de dix ans de travail en battant Tina Trenstjak pour la place de trois, une combattante de haut niveau mondial, mais que la Française avait battu, et largement, lors de leurs trois dernières confrontations au Grand Chelem de Tokyo, au Grand Chelem de Paris et au Grand Prix de Dusseldorf. Mais Trentsjak se battait comme si sa vie en dépendait – ce qui en fait était le cas – et comme une Slovène peut se battre, c’est à dire dans un mouvement un peu brouillon, mais permanent et inlassable sur les mains. Cette fois, cela ne passait pas pour Anne-Laure, pénalisée et prise dans un ko-uchi-gari où elle se tordait la cheville et sur lequel elle s’allongeait de tout son long, la défaite déjà dans les yeux. La « loi du sport » qui fait une heureuse avec la Slovène, qui assure la médaille mondiale habituelle pour son pays depuis 2005 (sauf en 2009), et une malheureuse avec la Française qui aurait pu raconter longtemps la grande histoire d’une combattante dont le système ne voulait pas et qui a fini par s’imposer envers et contre tout jusqu’à ce podium mondial rêvé… qui s’échappe d’un rien.
Alain Schmitt, une compétition parfaite / Emmanuel Charlot – L’Esprit du Judo
Alain Schmitt, un destin inaccompli
Alain Schmitt est le premier à prendre le monstre du jour, l’adversaire que tout le monde craint, le vice-champion du monde et champion d’Europe Avtandil Tchrikishvili. L’enfer lui est promis… Mais on sent vite que le Français a ce qu’il faut pour gêner considérablement le Géorgien. La rigueur sur la manche droite, la position de spécialiste de morote-seoi-nage à droite, légèrement en appui sur l’adversaire, le sens des dégagements rotatifs, ou vers l’arrière, pour ne pas se laisser fixer l’épaule ou repousser vers la sortie de tapis sur lesquels l’arbitrage est redevenu intraitable, et le coup de patte de la jambe droite qui vient saper l’habituelle « autorité posturale » du Géorgien qui aime se présenter de façon très latéralisée, presque dos tourné pour donner le sentiment (justifié car ses mouvements de hanche sont surhumains) que l’adversaire se recroqueville en défense. Dès les premières secondes, c’est lui qui se retrouve le nez dans le tapis, déstabilisé par le « shoot » fluide dans la jambe avant de Schmitt. Celui-ci ne commettra pas une seule fois l’erreur, et à au bout de deux minutes, il place son mouvement d’épaule et projette le Géorgien pour yuko ! La suite est tout aussi parfaite de lucidité, même si l’acide lactique commence à lui monter jusque dans les oreilles, au point que le Géorgien impuissant finit même par se placer en gaucher. Mais il fallait compter aussi avec l’arbitre – le même que celui qui a arbitré Takato – Mudranov et Korval – Khan-Magomedov (mais cela n’a rien à voir avec ces combats déjà sujets à litige). Pénalisé une fois très sévèrement pour sortie de tapis, deux fois pour défense illicite bras tendu – une aberration car c’est l’efficacité du kumi-kata de Schmitt qui est sanctionnée, alors que le Français est toujours présent dans le combat et en aucun cas dans une logique « d’anti-jeu » – il aurait sans doute fallu qu’il se laisse saisir à plein bras par l’ogre de Tbilissi ! Avec trois pénalités et la menace d’une nouvelle sanction pour son kumi-kata, le Français épuisé vacille dans les dernières secondes et lance une attaque de sauvetage que l’arbitre, soudain un peu gêné de la situation ne sanctionne pas. Mais à la séquence suivante, alors qu’il ne reste que 13 secondes au compteur, le Géorgien fait une nouvelle fois pression en tentant de prendre le Français à bras le corps, lequel tourne le dos et se jette à plat ventre. L’arbitre décide de faire tomber la quatrième. Hansokumake pour Alain Schmitt qui a pourtant maîtrisé, et projeté, le champion géorgien. De notre point de vue, il s’agit là sans doute d’un combat « raté » par l’arbitre, rien de plus. Mais il faut le constater une nouvelle fois, malgré les progrès constatés, il y a toujours quelque chose qui ne va pas très bien au royaume de l’arbitrage.
On peut être vraiment désolé pour le malheureux Alain Schmitt, valeureux guerrier, ancien vice champion d’Europe junior 2002, qui arrive à l’apogée de sa maîtrise, auteur d’une compétition parfaite, et qui se voit privé de cette finale mondiale dans laquelle il aurait eu toutes ses chances après avoir sorti le favori. Il se voit aussi privé de médaille, battu quelques minutes plus tard par le dangereux Ivan Nifontov et ses grosses attaques de jambe. Démobilisé.
Une finale franco-française, cela aurait été beau. Mais Alain Schmitt n’y était pas, et finalement le champion du monde Loic Pietri non plus, pas assez précis, et sorti d’un petit shido assez sévère pour un seoi-nage raté et immédiatement sanctionné en « fausse attaque » face au grand Québécois Antoine Valois-Fortier, déjà médaillé olympique en 2012… et sorti par Alain Schmitt au championnat du monde de 2013.
Agbegnenou ne doute plus
Heureusement que Clarisse Agbegnenou était là pour atténuer la frustration du clan français en survolant sa finale. Elle aurait pu douter en voyant revenir Yarden Gerbi, championne du monde en titre, qui l’avait surprise par un étranglement extraordinaire en finale déjà l’année dernière. Ce ne fut pas le cas. Acceptant le corps à corps, l’Israélienne, pourtant brillante avec ses mouvements de hanche toute la journée, revenue d’un waza-ari contre la diabolique nouvelle gamine japonaise, Tashiro Miku – un monstre de ne-waza qu’elle était pourtant parvenue à fixer au sol – était totalement surclassée par la Française, nouvelle championne du monde, après une finale déjà l’année dernière, dans la lignée des Decosse, Emane et autres illustres devancières. Un cycle doré qui commence sans doute, pour le plus grand bien du judo français.
Loic Pietri, une seconde fois sur le podium mondial / Emmanuel Charlot – L’Esprit du Judo
Au classement des nations, la France emporte sa première médaille d’or, ce qui l’amène, grâce à ses trois médailles de bronze, à la seconde place des nations, à distance, littéralement, respectueuse du Japon, qui a sorti aujourd’hui un Nagase brillant, mais trop timide et une jeune fille de 20 ans qui semble avoir les germes d’une Matsumoto de la grande époque.
L’année dernière, les féminines françaises avaient échoué à amener de l’or, voilà qui est fait. En revanche l’or de Pietri 2013 est perdu (il s’en est fallu de peu que ce ne soit pas le cas…). En théorie, la France pourrait encore atteindre les quatre médailles d’or avec les « calibres » de réserve, dont Teddy Riner bien sûr. La Russie continue à placer ses hommes sur le podium et à ne pas récolter d’or. La Géorgie revient dans le jeu en plaçant ses hommes dans la fourchette haute de leur potentiel. Papinashvili (-60 kg) en bronze, Tchrikishvili (-81 kg) en or. Pour la France, le sans faute est exigé.