Un finale français à deux médailles : Merci qui ? Merci Emilie !

Et de sept en sept ans pour Teddy Riner ! / Emmanuel Charlot – L’esprit du Judo

Bien sûr, il faut parler de Teddy Riner. Le samedi, c’est son jour. Il gagne, tout le monde est content, il est suivi partout, dans les travées de la salle d’abord par une meute de journalistes surexcités (parce que pour certains, ils ne sont venus que pour ça), à la télévision ensuite, grâce aux efforts fébriles de ces mêmes journalistes. Cela fait déjà sept ans que cela dure, depuis le championnat du monde de Rio en 2007, et tout cette agitation, toute cette presse, au sens propre comme au sens figuré, c’est bien normal. Il n’y en a qu’un, et quand il sera parti vers d’autres aventures, on le regrettera longtemps.
Mais c’est d’Emilie Andeol que nous avons envie de vous parler en premier. Cette fille là, personne ne la calcule vraiment – comme on dit – même pas elle-même. Elle n’est pas Clarisse Agbegnenou la tornade, elle n’est pas Automne Pavia, la blonde qui fait mal, elle n’est pas Lucie Décosse, le génie dont l’aura plane encore sur l’équipe de France. Elle fait partie de cette catégorie qu’on décrie pour sa pauvreté technique et la faiblesse du spectacle qui est le plus souvent donné, qu’on méprise parfois. Elle fait partie des « lourdes » et elle n’a pas le judo de Tsukada, l’aura de Mondière, ni la force implacable de Tong Wen. Pourtant, aujourd’hui, c’était l’évidence. Emilie Andeol apporte à cette équipe quelque chose qu’elle n’avait pas démontré jusque là cette année, même dans ses meilleurs moments, même avec ses meilleurs éléments et qui nous met tellement d’euphorie au cœur qu’on se rappelle alors que c’est pour voir ça, et les beaux gestes, qu’on continue à aimer plus que tout être sur un grand championnat mondial. De quoi s’agit-il ? Mais de cette façon de s’arracher au-delà de toute limite, de se mettre plus qu’à la mort, sans rien en retrait, sans aucune once de réserve, ni une larme de carburant. Franchement, cette demi-finale contre Idalys Ortiz, colossale championne du monde et championne olympique, avec Christophe Massina hurlant à l’unisson de l’énergie dépensée par son athlète, c’était juste magnifique. La victoire, la vaillante de Champigny l’avait prise avec les dents du courage, l’avait arrachée de force à la championne qui baissait la tête et ne se révoltait plus. Il n’était pas question de technique alors, mais du fond du sujet, d’engagement, de capacité à aller au bout du bout du bout. Ortiz n’est pas championne pour rien. Sur l’attaque où elle allait prendre le shido décisif de ce golden score de demi-finale, elle a trouvé l’occasion de fixer Emilie Andéol en étranglement.
Dans ces cas-là, la sanction est claire. Dix minutes plus tard, la place de trois est perdue. C’est le prix des efforts faits, de la désillusion. C’est ce qui est arrivé au superbe Alain Schmitt en -81 kg, privé de finale, puis de médaille. Mais Emilie Andeol a cette simplicité de penser « qu’elle n’a pas fait tout ça pour rien » et de pouvoir se remettre à l’ouvrage sans trop s’écouter, modeste et courageuse, c’est décidément le mot qui lui convient bien.

Emilie Andeol face à Franziska Konitz pour la médaille mondiale / Emmanuel Charlot – L’esprit du Judo

La voici donc en place de trois face à Fransiska Konitz, une grande Allemande bien faite et policière de son état. Au championnat d’Europe, la Française avait su prendre l’opportunité en marquant d’entrée contre elle pour prendre l’or. Mais le combat n’est pas le même. Konitz est dans sa course vers la médaille et elle est fraîche. Il est rapidement évidemment que la Française n’a plus rien dans le sac, sinon son courage, qu’elle porte à deux mains. À chaque matte on se demande si elle va pouvoir se relever, et à quelle vitesse, car elle a rapidement un shido d’avance et on se dit que c’est sa chance de le tenir jusqu’au bout. À chaque fois, elle puise comme une éponge les quelques gouttes de glycogène qui lui permettent de repartir en vacillant un peu, et elle y va. On croit que ça va tenir, ou pas. Dans la dernière minute, Audrey délace sa ceinture sans autorisation, ou ne la resserre pas assez vite, et prend le shido de l’égalité. Normalement, là encore, c’est mort. C’est mort pour celle qui s’est accrochée comme à une bouée à son avance, à son espoir de victoire. Pourtant, dès le golden score engagé, Emilie repart, monte la main encore, inlassablement… et change de direction pour un o-uchi-gari juste et parfait. Alors répétons-le, c’était un grand moment de compétition, et c’est Emilie Andeol qui apporte ça à l’équipe de France cette année. Merci, et bravo pour cette première médaille mondiale.

Teddy a trouvé quelqu’un à qui parler

Teddy Riner alors. Il a été formidable. Il l’a dit, il n’était pas content de sa reprise des championnats d’Europe. Cette fois ce sont ses adversaires qui ont des raisons de ne pas être contents. Teddy était pleinement lui-même, extraordinairement fort. Son o-soto-gari au premier tour contre l’ancien -100 kg israélien Or Sasson fut vertigineux, son uchi-mata contre le Tchèque Horak majestueux. Face au public russe, il a emporté haut la main son défi contre l’immense Renat Saidov, dont on attendait un peu pour voir le niveau de réplique. On a vite vu. Ecrasé par le kumi-kata du « petit Français » (Teddy Riner fait trois centimètres de moins que lui), il dû mettre le genou à terre plusieurs fois et il se faisait sortir assez piteusement sur un « pourri waza » (dixit Riner), un uki-waza pratique et passe-partout que le champion français adopte quand il veut conclure rapidement. La Russie a perdu la manche et legrand Saidov se relevait assez lourdement après le traitement subi. Teddy Riner est donc allé gagner une nouvelle médaille d’or. Un exploit déjà au niveau de la régularité ! Déjà sept championnats du monde, comme Tamura, mais sept ans de règne « seulement » quand la petit super-balle japonaise a rebondi de 1991 à 2008. Comparons toujours ce qui est comparable.
Encore une fois, Riner a été au-dessus des autres, et plus que largement. Personne ne s’est hissé à sa hauteur encore cette fois. Pourtant la finale a été mémorable. Le gracile Ryu Shichinohe, à deux doigts du ridicule en 2013, est passée à une autre dimension. Consistant sur tous ses tours et désormais tranquille avec presque tous les autres opposants de la catégorie, il a porté la réplique au champion avec une conviction et des moyens qui ont marqué les esprits. Bien sûr Teddy Riner a raison de dire qu’il a fuit plusieurs fois en mettant le genou au sol – à vrai dire à chaque fois que Teddy est parvenu à prendre sa saisie forte ce que le Japonais s’est constamment évertué à l’empêcher de faire – mais il a géré tactiquement en assumant la montée des pénalités avec l’idée qu’il pouvait tout renverser sur un coup dur… avec son o-uchi-gari exceptionnel. Et c’est exactement ce qui s’est passé. Il a lancé o-uchi-gari et il est parvenu à projeter Teddy Riner. Mais celui-ci n’est seulement un colosse,  c’est aussi un athlète d’exception malgré sa taille et son poids, et il est parvenu à se retourner. Yuko ou pas ? La table dit que non, comme d’ailleurs Shichinohe lui-même en interview, même si c’est peut-être par politesse japonaise. Et même si le Japonais avait marqué, il n’est pas dit qu’il aurait tenu les secondes restantes, avec déjà trois pénalités dans la musette. Quoi qu’il en soit, ce qui compte c’est qui ait fait vaciller l’empereur, le maître du jeu. Schichinohe et son équipe d’entraîneurs sont repartis très satisfaits de cette médaille d’argent. Elle leur a montré un chemin possible, une façon d’atteindre le but fixé : battre Riner, reprendre le leadership qui compte, le seul, celui des lourds. Teddy Riner a gagné à Chelyabinsk une médaille d’or, mais aussi sans doute un adversaire, un technicien qui ne devrait pas être aussi évanescent que le frustrant Kamikawa, un poids lourds qui va prendre encore de la puissance et de l’autorité, comme cette médaille d’argent l’y autorise. Le Russe Saidov est dans la même logique, même si il part de plus loin. Ses progrès sont impressionnants depuis 2011. Ces trois-là sont de la même génération, ils ont 25 ans. Dans deux ans, ils seront adversaires aux Jeux de Rio et ils auront travaillé d’arrache-pied en s’appuyant sur les signes positifs de ce championnat du monde. Teddy aussi aura travaillé, avec la motivation nouvelle de ne pas laisser ces deux hommes y croire. Pour Saidov, c’est encore le cas, pour Shichinohe, une fenêtre s’est ouverte dans la nuit. La suite va être passionnante.

Sept fois champion du monde, Teddy Riner a un nouveau compagnon de jeu  / Emmanuel Charlot – L’esprit du Judo

Maret, une grande opportunité gâchée

Cyrille Maret pouvait être champion du monde aujourd’hui. Il avait atteint le niveau requis, et il bénéficiait du brin de chance parfois nécessaire avec un excellent tirage qui se renforçait de quelques chutes de champions notoires, comme le champion du monde 2009 Rakov (KAZ), le champion olympique 2008 Naidan (MGL) et le champion du monde en titre Mammadov (AZE). Dans l’autre tableau une nouvelle fois le Néerlandais Grol qui ne lui réussit guère, se blessait et ne serait pas en finale. Comment dans ces conditions a-t-il pu laisser échapper un combat qu’il menait déjà d’un yuko, contre l’ « Emirati » de Moldavie Remarenco, monté cette année en -100 kg sans faire d’énormes éclats. Trente-quatrième mondial quand Maret est troisième… Comment a-t-il pu laisser échapper un combat de repêchages contre l’Allemand Frey, champion d’Europe junior 2010, contre lequel il menait de trois shidos à une minute de la fin ? Des questions douloureuses et lancinantes que le Bourguignon de Levallois va ressasser un moment. La réponse tient à la difficulté de gérer un championnat du monde, notamment quand on vient de changer de statut, passant depuis peu dans celui des favoris. Cyrille Maret voulait bien faire, mais ce qu’il faut, c’est faire bien. Moins présent, moins sûr de sa force, moins rude au kumi-kata, moins concentré que d’habitude, alors qu’il aurait fallu tout cela dan chaque seconde d’affrontement. À 27 ans, c’était la bonne occasion sans doute pour le champion du monde junior 2006, mais à chacun son timing. C’est le grand Tchèque Krpalek, champion du monde junior 2009, qui emporte ce titre à 23 ans, après trois ans de domination sur la catégorie et deux médailles mondiales en bronze. Il bat en finale l’inattendu cubain Jose Armenteros, champion du monde junior 2011. Le Néerlandais Henk Grol, champion d’Europe junior 2003 et médaillé mondial en 2004, lui, n’ y est jamais parvenu.
À Cyrille Maret désormais de s’affirmer régulièrement en tournois et dans les championnats intermédiaires pour acquérir la confiance et l’expérience qui lui manque encore dans ce rôle de leader mondial de la catégorie. Rappelons que, deux ans plus tôt, il n’avait pas été sélectionné pour les Jeux de Londres. Il reste deux championnats d’Europe et un championnat du monde avant les Jeux de Rio.

La France reste à sa place

La France finit donc deuxième nation, derrière un Japon qui n’a pas brillé de tous ses feux, mais où les filles sont revenues épauler les garçons, après un championnat 2013 catastrophique. Ce n’était pas exceptionnel, et encore aujourd’hui avec les deux lourdes qui se sont montrées très moyennes (une médaille de bronze tout de même…), mais avec quatre titres, deux chez les garçons, deux chez les filles, le Japon redevient quand même la nation intouchable, suivi de loin par la France, seule derrière à emporter deux titres, seule à pouvoir, dans un rêve doré, en combinant, la réussite magnifique de l’année dernière de nos masculins, avec la réussite des féminines de 2011, prétendre challenger un Japon fragile. Finalement, on est loin du compte. Chez nous aussi, les filles sont de retour (pas de médaille d’or en 2013), mais pas avec assez d’impact, et au côté d’une équipe masculine qui est restée elle aussi loin de sa performance de 2013, malgré Teddy Riner. L’un compensant l’autre, la France est à sept médailles et deux titres, comme en 2013.

Odalys toujours la première

Cuba, en or et en argent ce samedi, aurait pu nous jouer un tour inattendu. Idaly Ortiz continue à dominer les lourdes alors qu’elle était annoncée moins forte cette année. Là voici avec deux titre mondiaux et un titre olympique récolté en trois ans. Impressionnant… et quand on pense qu’Emilie Andeol déjà victorieuse de la 2e japonaise Yamabe, est passée à un cheveu de la victoire… Cuba ne lâche pas, et reste troisième nation, à égalité avec le Brésil, qui place ses deux lourds sur le podium aujourd’hui, comme en 2013.
La Russie a quasiment réussi la performance unique de placer tous ses combattants masculins sur le podium. Seul manque à l’appel deux grands leaders, Kirll Denisov (-90 kg), forfait pour la médaille de bronze face à son compatriote Voprosov, et le champion du monde et champion olympique Tagir Khaybulaev aujourdhui en -100 kg, qui a montré à la fois beaucoup de talent et quelques faiblesses de rythme, lui qu’on a peu vu depuis 2012. Il aurait pu passer en finale après avoir battu l’Allemand Peters et le Néerlandais Grol, en dominant le Tchèque Krpalek. Mais, pour une fois, comme par un jeu de compensation implicite mal maîtrisée, il a été arbitré sévèrement, l’un des seuls Russes dont on peut dire ça ! Mené d’une sanction absurde donnée en début de combat, il aurait pu revenir sur une pénalité donné par l’arbitre… mais refusée par la table.
Le retour d’un arbitrage équilibré et serein ? C’est pour demain.

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