Lorsque l’arbitre l’a désigné vainqueur, il n’a pas esquissé le moindre sourire ou geste de joie. Loin, très loin des émotions exprimées lors de son premier titre, en 2019, au sein du Budokan de Tokyo. À peine a-t-il dit quelques mots à Manuel Lombardo, lors de la poignée de main, léger sourire poli aux lèvres.
Voilà Joshiro Maruyama double champion du monde. Contrat rempli ! Mais il y a pourtant un paradoxe entre ce résultat, forcément magnifique, et la prestation d’ensemble, le feeling laissé par le fantastique judoka de l’université de Tenri. Agacé lors de son premier combat où il pestait contre l’impossibilité d’aller chercher le ippon. Toujours sur l’initiative avec son uchi-mata, sans aucun doute le plus beau du circuit, mais se forçant à aller chercher le troisième shido, sur son quart de finale. Une tactique à rebours de son ADN de « Tenri Boy ». En clair, un Maruyama loin de son top niveau, concentré à faire job mais qu’on a senti, dès le départ, en-dessous de son optimum (ce qu’il nous confirmera en interview). Il y a bien sûr l’amertume pas encore digérée de sa défaite face à Hifumi Abe pour les JO de Tokyo. Il y a, aussi, le fait d’avoir été absent du circuit depuis novembre 2019 et le Grand Chelem d’Osaka. Presque deux ans sans compétition, cela se voit. Il y a, enfin, une préparation perturbée par la fermeture il y a peu du club de judo de Tenri (là où il s’entraîne avec Shohei Ono) pour cause de covid. Une situation connue également par Ryuju Nagayama, mais du côté de l’université de Tokai (voir notre article) il y a quelques semaines. Des conditions pas optimales. Si elles ont peut-être joué pour le génial lutin des -60kg (mais à quel degré ?), elles n’ont paradoxalement pas empêché Maruyama d’aller chercher son second titre mondial consécutif. C’est dire la marge du judoka de l’entreprise Miki House !
Son adversaire attendu de la finale, le musculeux et technique italien Manuel Lombardo (n°1 mondial), fait d’ailleurs une journée un peu identique à celle du Nippon : pas vraiment à 100% (il est à deux doigts de se faire piquer au sol dès son premier combat contre l’Allemand Sebastian Seidl), faisant toujours juste ce qu’il faut pour passer au tour suivant, le Transalpin n’aura jamais donné l’impression de pouvoir et de vouloir contester la victoire du Japonais, qui marque sur son enchainement favori : uchi-mata/yoko-tomoe-nage. Vice champion du monde après son titre continental à Lisbonne, l’Italien sera tout de même bien un candidat à la succession de Fabio Basile dans un mois à Tokyo.
Après le fiasco des -60kg, Maruyama relève donc le gant pour l’équipe de Kosei Inoue. Reste que les garçons du champion olympique de Sydney ne font pas de ces championnats du monde une formalité comme on pouvait le penser : Nagayama fut de tous les podiums des compétitions auxquelles il a participé depuis les Monde 2017. Le voir se faire sortir de manière totalement anonyme, hier, interroge. La prestation, demain, de Soichi Hashimoto, sera à analyser à cette aune.
Un questionnement qui ne se pose pas, en revanche, pour l’équipe féminine de Katsuyuki Masuchi. C’est simple : avec la victoire sereine d’Ai Shishime ce lundi, les Japonaises ne pouvaient pas espérer mieux en terme de performances depuis le début ! Deux titres (Natsumi Tsunoda hier et donc Shishime aujourd’hui) et une médaille d’argent avec Wakana Koga. La seule surprise concernant Shishime, qui remporte sa quatrième médaille planétaire consécutive et son second titre (après 2017) résida finalement plus dans le nom de son adversaire : Ana Perez Box.
Dans ces championnats du monde à l’ambiance morose (la configuration bulle sanitaire stricte, sans spectateurs ni de nombreuses stars de la discipline), certains pays ou judokas savent pourquoi ils sont là, intégrant parfaitement les données de cet évènement si spécial qu’ils leur offrent une chance, peut-être unique !, d’aller chercher une médaille mondiale. C’est le cas de l’Espagnole, 12e mondiale, récente 3e à Kazan qui a profite d’un tableau sans les n°1, 2, 4 et 5 de la ranking list mondiale pour se faufiler, avec un certain talent, en finale. Si Shishime prend son temps pour lui placer un uchi-mata parfaitement suivi en kami-shiho-gatame, Perez Box fait partie, tout comme Gefen Primo et la Suissesse Fabienne Kocher (toutes les deux en brobnze), de cette catégorie des outsiders bien décidées à profiter d’une compétition à la densité moindre.
L’échec de Gneto
Une configuration faite pour Astride Gneto. Rendant sa défaite en huitième de finale d’autant plus cuisante. Tête de série n°4, sur une très bonne dynamique avec sa médaille de bronze au Masters de Doha en janvier et celle d’argent au récent Grand Chelem de Kazan, on se disait que les conditions étaient réunies pour voir la n°2 française saisir sa chance. Or, il n’en fut rien. Si elle passait sereinement son premier tour face à l’Azerbaïdjanaise Mammadaliyeva, elle s’empêtrait puis baissait totalement pavillon face à la Belge Amber Ryheul, 41e mondiale, championne d’Europe -23 ans en 2019 mais sans référence sur le circuit FIJ. Est-ce le profil de la Belge (gauchère très orientée) qui gêna la Tricolore ? Quoi qu’il en soit, Gneto ne trouva jamais la solution, s’effondrant crescendo lors d’un golden score qui dura trois minutes et au bout duquel la Française n’eut pas la force de résister au sankaku-jime de Ryheul. Gneto avait devant elle l’opportunité d’étoffer, et de quelle manière, son palmarès. Une hypothèque qu’elle n’a pas su lever. Un rendez-vous quasi immanquable. Et pourtant manqué.
Le Blouch, affûté comme jamais. Mais…
Reste Kilian Le Blouch. Saluons d’abord l’extraordinaire détermination affichée par le médaillé européen 2020. Allant toujours au bout de lui-même, maximisant ses incroyables qualités physiques, le judoka/entraineur du FLAM 91 aura, une nouvelle fois réalisé une journée où il sera allé au bout de lui-même. Voire bien au-delà. Ça c’est pour le verre à moitié plein. Pour le verre à moitié vide, l’incapacité à faire tomber ce lundi (aucune valeur marquée) aura obligé le -66kg français a usé uniquement de son sens tactique et de ses atouts physiques pour gagner ses combats. Reste que cela a un coût physique puisqu’après ses trois premiers tours, Le Blouch avait fait vingt minutes (en temps effectif !) de combat. Une débauche d’énergie hors-norme que le nouveau papa paya sans doute contre le Mongol Baskhuu Yondonperenlei en repêchages. Battu par l’Azerbaïdjanais Orkhan Safarov en quart de finale, le Français retrouvait le Mongol pour un combat de titan de près de sept minutes ! Une « baston » énorme qui voit Yondonperenlei poussé sur le dos un Le Blouch sans jus après une tentative d’o-uchi-gari.
Une compétition qui reste, c’est important à noter, une étape vers les JO pour le Français. Mais ce dernier devra impérativement retrouver ses coups de judo des championnats d’Europe de Prague pour pouvoir rêver à une médaille olympique. Il a un mois pour cela. Rien d’inquiétant donc.
Le Japon creuse l’écart
Ce soir la France ne compte toujours pas la moindre médaille alors que le Japon se détache (définitivement ?) avec désormais trois titres et une médaille d’argent. Suivent la Russie avec le titre de Yago Abuladze hier et le bronze de Yakub Shamilov ce lundi (sans doute synonyme de ticket olympique pour lui) et l’Espagne avec ses trois médailles (une d’argent et deux de bronze).
Demain, aucun Français ne sera engagé en -73kg et -57kg suite aux forfaits de Guillaume Chaine et Hélène Receveaux. Une situation totalement inédite et tout de même à peine croyable pour le grand pays de judo qu’est l’Hexagone.
À se demander pourquoi le staff n’a pas décidé de titulariser Gaëtane Deberdt (remplaçante pour les équipes), faute d’avoir sélectionné Fanny-Estelle Posvite en -78kg. Une situation qui fait que jusqu’à mercredi, et l’entrée en lice de Clarisse Agbegnenou et Alpha Djalo, la France n’aura toujours pas de médaille au compteur.