Agbegnenou… et de cinq !
Crédit photo : Emmanuel Charlot/L’Esprit du Judo

 

Elle eut les yeux embués quelques secondes à sa descente du tatami alors qu’elle était félicitée par Larbi Benboudaoud. Clarisse Agbegnenou pouvait enfin relâcher la pression. Un sourire, le premier de la journée pour ceux qui la suivirent tout au long de ce mercredi, apparu sur son visage. Se tournant vers la caméra, la Reine Clarisse commença alors à compter avec ses doigts le nombre de titres mondiaux à son actif. Et un, deux, trois, quatre et maintenant cinq !

Une statistique qui installe la judokate campinoise toujours plus dans l’Histoire. Avec cinq couronnes planétaires (dont quatre consécutives !) et deux médailles d’argent (2013 et 2015), Clarisse Agbegnenou se rapproche toujours plus d’Ingrid Berghmans (Belgique) et ses six titres, et de Tong Wen (Chine) et Ryoko Tamura (Japon), sept titres toutes les deux.
Un cinquième titre acquis dans une configuration particulière pour elle : devant digérer le report des JO, Agbegnenou s’est recentrée sur elle-même, s’entraînant autrement tout en explorant de nouveaux horizons (elle suit des cours à HEC) toute la saison, décidant de participer à cet évènement organisé à un mois de son objectif suprême. Aujourd’hui, elle n’avait pas en face d’elle ses grandes rivales, Miku Tashiro la Japonaise et Tina Trstenjak la Slovène. Très vite, on sentit que la Française ne connaissait pas son terrible impact habituel en tachi-waza, privilégiant le ne-waza, qui allait être le fil rouge suivi par la Française toute la journée. Une stratégie gagnante : cinq combats, dont quatre victoires au sol. Et tout y passa : immobilisation (en finale contre la Slovène Andreja Leski et lors de son premier tour contre la Danoise Laerke Olsen), clé de bras (contre la Cubaine Maylin Del Toro Carvajal) ou étranglement (en demi-finale contre la Néerlandaise Sanne Vermeer).
Cette stratégie est d’ailleurs le reflet d’une des choses les plus remarquables chez Agbegnenou : cette incessante volonté et capacité à faire évoluer, progresser et à s’ouvrir de nouveaux champs des possibles dans son judo. Avoir un maximum de solutions pour parer à toute éventualité et ainsi se donner le maximum de chance de toucher ce Graal olympique tant désiré ? Tel est le chemin suivi par la quintuple championne du monde, qui a fait de ce mercredi un point d’étape concluant.

Des leçons à tirer

Un mardi qui avait pourtant commencé de la plus mauvaise des manières pour le clan français. Dans l’obligation de finir au minimum vice champion du monde pour entrer dans le quota olympique et ainsi composter son billet pour Tokyo, Alpha Djalo, premier combat de la journée à la Laszlo Papp Sports Arena de Budapest, s’inclina rapidement face au Coréen Lee Moon Jin, vice champion d’Asie en titre. Démarrant son combat idéalement, le Français prenait les choses à son compte, secouant son adversaire, systématiquement en retard. Sur un enchaînement, il marquait un waza-ari sur harai goshi. On se disait alors que le judoka du PSG Judo tenait le bon bout pour remporter la première étape de son tortueux périple. Mais sur l’action suivante, Lee lançait un ko-soto-gari (son spécial, qu’il fait plutôt bien) sur lequel Djalo voyait se réveiller une douleur au cartilage des côtes. Immédiatement pris en immobilisation, il fut dans l’impossibilité d’essayer de se dégager, voyant son rêve olympique japonais s’envoler. Une défaite qui acte le fait que l’équipe de France masculine ne se présentera pas au complet lors de Jeux olympiques, aucun -81kg n’ayant réussi à se qualifier. Une situation connue pour la seconde fois après 2008 et la catégorie des -73kg. Un échec, indubitablement.
À l’heure des bilans, un devoir d’inventaire sera à faire sur cette catégorie des -81kg qui fut caractérisée depuis 2017 par des « one shot » : une médaille en Grand Chelem et puis plus rien ou presque derrière. Une configuration connue par quatre judokas différents : Baptiste Pierre et Pape Doudou N’Diaye (bronze à Paris en 2017), Alpha Djalo (argent à Düsseldorf en 2018), Nicolas Chilard (bronze à Budapest en 2020). Certes, certains ont connu la blessure (ligaments croisés pour N’Diaye et Chilard), coupant net leur dynamique. Reste toutefois que cette déconvenue ne peut être, et de loin, seulement imputer aux athlètes.
Et le fait que toutes les catégories ne soient pourvues en 2024 (en tant que pays organisateur) ne doit pas exonérer d’un bilan critique. Comme nous le disions hier pour les championnats du monde, l’influcence, la force et la légitimité d’une grande nation du judo (ce qu’est la France) tiennent dans le fait, notamment, d’avoir tous les qualifiés possibles pour le plus grand évènement de la discipline.

Casse et Grigalashvili ont régalé

Mathias Casse, premier Belge champion du monde de l’Histoire !
Crédit photo : Emanuele Di Feliciantonio (FIJ)

Une catégorie des -81kg qui restera, pour l’instant, comme la plus attractive et dense de ses championnats du monde avec deux formidables animateurs que furent le Belge Mathias Casse et le Géorgien Tato Grigalashvili (en interview dans l’Esprit du Judo actuellement disponible en version numérique). Le premier est vice champion du monde 2019, le second, le meilleur judoka de la caté depuis la reprise du circuit (vainqueur des championnats d’Europe -23 ans et seniors 2020 et du Masters 2021). Mention spéciale au Géorgien, passé en France en cadets au club de Grand-Quevilly, qui place le plus beau pion de la journée en demi-finale face au Néerlandais Frank De Wit : un tai-otoshi à droite (pour lui le gaucher) en reprise de garde au bout d’à peine vingt secondes.
Dans cette finale 100% européenne, Casse, qui aura régalé avec ses mouvements d’épaule classiques,  se montrera le plus patient et le plus cohérent tactiquement. Grigalashvili, un peu chien fou chercha le coup dur dès le départ, sans trop se gérer. Et lorsque le golden score arriva, Casse saisit sa chance, lançant un o-goshi que le Géorgien tenta d’esquiver/contrer vainement. Il devient ainsi le premier champion du monde masculin belge de l’Histoire !
Un sacre attendu pour l’Anversois, champion du monde juniors 2017 et l’un des tous meilleurs judokas de la catégorie depuis quatre ans.
Une journée lors de laquelle le Japon n’aura pas brillé. La cinquième place de Sotaro Fujiwara, battu aux pénalités par Casse (en quart de finale) et De Wit pour le bronze, confirme la méforme générale pour l’instant constatée chez les hommes de Kosei Inoue. Hors du coup au niveau judo, le vice champion du monde 2018, plus sorti sur le circuit depuis Paris 2020, n’aura rien montré, hormis un manque d’enthousiasme et d’envie. Une faillite qui donnera d’autant plus au moulin de certains observateurs nippons, critiquant le choix de Fujiwara au détriment de Takeshi Sasaki, étincelant au Zen Nihon et qui étouffa totalement Fujiwara lors de la finale des championnats du Japon début avril.
Chez les féminines, Nami Nabekura, tête de série n°2 (et deuxième du Masters où elle fut battue par Agbegnenou) se fait elle carrément éliminer au premier tour par la Vénézuélienne Anriquelis Barrios, essayant de jouer grossièrement une victoire tactique. Une stratégie non maîtrisée et qui lui coûte d’être pour l’instant la première Nippone non médaillée à Budapest.

Au classement des médailles, le titre d’Agbegnenou fait remonter la France à la quatrième place alors que la Géorgie, grâce à l’argent de Grigalashvili, monte à la deuxième place. Demain, Marie-Eve Gahié défendra son titre mondial alors qu’il n’y aura pas de masculin engagé suite au forfait d’Axel Clerget.