Publiée en fin d’après-midi, la sélection pour la Coupe d’Europe cadets de Croatie (Zagreb, 12-13 mars) était attendue avec une franche impatience pour une catégorie d’âge dont le premier grand rendez-vous national avait eu lieu fin janvier à Marseille, pour le tournoi Bernard Tchoullouyan. Un évènement, qui contrairement à feu le Tournoi de France, ne remplit plus la fonction de sélection pour la première sortie internationale officielle de l’équipe nationale. Comme nous l’explique Gilles Nahon, nouveau responsable des masculins : « Avec mes collègues du nouveau staff, nous avons décidé de mettre en place des critères de sélection précis. Le premier, et prioriaire, tient dans les résultats internationaux obtenus cette saison, voire l’année dernière. Si nous avons donné la sélection ce mercredi c’est que nous attendions de voir les performances des cadets français présents sur les Coupes d’Europe d’Italie (Lignano, 12-13 février) et d’Espagne (Fuengirola, 19-20 février). Le second critère sur lequel nous nous fondons est le classement à la ranking-list nationale. Le dernier critère, enfin, trouve sa source dans les résultats nationaux depuis septembre. Ce triptyque a guidé une très grande majorité de nos choix, mais pas tous. 
Pour la priorité donnée au critère de performance international, il faut toujours avoir à l’esprit la question suivante : doit-on sélectionner pour un championnat international un judoka capable de battre des étrangers, ou simplement, si j’ose dire, d’autres Français ? Je sais que l’idée fait consensus dans le judo français : nos jeunes ne sortent pas assez, comparativement à d’autres nations. Et il faut donc valoriser ceux qui obtiennent des résultats lors des Coupes d’Europe. D’ailleurs, nous avons proposé pour la saison suivante une modification du barème de points de la ranking-list nationale, avec une valorisation plus grande donnée aux performances réalisées à l’international (Monde, Europe, et Coupe d’Europe).»
Le constat est en effet implacable. L’équipe de France cadet participe depuis de très nombreuses saisons à seulement trois Coupes d’Europe : généralement la Croatie (à Zagreb), l’Allemagne (à Berlin) et la Pologne (à Bielsko Biala). Loin des très nombreuses sorties de l’équipe russe, ou depuis l’olympiade précédente, des équipes italienne (qui rappelons-le a terminé en première nation aux championnats d’Europe 2019, mettant fin à l’hégémonie de la Russie) ou israélienne. Trois nations possédant un véritable collectif cadet,  une catégorie à laquelle appartient la France.
Une multitude de sorties synonymes de prise d’expérience précieuse (indispensable même ?) pour les grands championnats. Si aucune analyse empirique n’a été encore faite sur cette corrélation (nombre de sorties/chance d’être sur un podium de championnat international)*, reste que pour beaucoup d’entraineurs/professeurs tricolores celle-ci apparaît évidente, devenant presque de facto une causalité. Le choix de privilégier l’international présente donc une cohérence indéniable.
Reste toutefois plusieurs remarques à faire, avec une interrogation préalable : pourquoi ces critères, qui ont pour eux des fondements logiques, n’ont-ils pas été publicisés plus tôt auprès des clubs, professeurs, cadres techniques et judokas ? Une annonce officielle au tournoi de Marseille aurait été  en effet sans doute la bienvenue. Connaître ces critères a priori, plutôt qu’a posteriori, en somme.
Et ce, pour au moins une raison : permettre à toutes les structures (clubs ou pôle) de penser leur planification de compétition des mois de février en fonction desdits critères.
Seconde remarque : si les performances internationales brutes sont une donnée éminente, la prudence exigerait de ne pas en faire une boussole obsessionnelle, ne serait-ce que parce que la prise en compte de la densité et de la qualité de l’opposition proposées sont des données présentes dans l’équation. Au moins aussi importantes. Par exemple, la coupe d’Europe d’Espagne de Fuengirola comptait 229 compétiteurs avec des catégories à trois, cinq ou sept combattants pour quinze pays présents. À Lignano, ils étaient 246 au total avec là encore des catégories à trois, sept et neuf judokas et seulement douze pays représentés. À comparer aux 721 judokas de Zagreb en 2019, ou aux Coupe d’Europe 2021 (organisées à partir du mois de juin et donc dans un contexte sanitaire plus dur qu’actuellement) qui oscillaient entre 370 et 400 combattants pour une moyenne de trente nations. Soit le double.
Qu’on le veuille ou non, une performance se juge aussi à la configuration dans laquelle elle a été obtenue.
Troisième remarque : certains choix ont été opérés en prenant en compte le contexte de la catégorie plutôt que les critères cités. Décision logique et louable pour certains. Ainsi, en -70kg, Lila Mazzarino (FLAM 91) sera du voyage à Zagreb. Pourtant, cette gauchère qui – nous – avait fait forte impression lors du tournoi Bernard Tchoullouyan, n’est que 13e à la ranking-list nationale (mise à jour le 15 février) et n’a aucune sortie internationale à son actif de la saison. Mais sa très intéressante prestation marseillaise où elle termine en argent et meilleure Française (c’est une Italienne qui l’emporte) ainsi que sa médaille de bronze à Thionville ce week-end ont convaincu le staff de Véronique Laude, nouvelle responsable de l’équipe féminine, de lui donner sa chance. Une chance que n’aura par contre pas Keziah Harvent (La Couronne Grand-Angoulême Judo), pourtant lui aussi parmi les judokas les plus remarqués à Marseille. Une sélection qui paraissait incontestable pour une bonne part des connaisseurs de cette catégorie d’âge. En effet, le Couronnais, troisième année (comme Mazzarino), à la puissance physique presque effrayante, s’impose en -90kg (il remporte sa finale dès la première séquence) au Palais des Sports avec une autorité parmi les neuf catégories masculines. Actuel n°1 de la ranking-list (avec trois performances seulement, contre quatre à ses poursuivants), il lui a été pourtant préféré Daniel Kotche (AJBD 21-25) et Rayan Kais (JC Escales Argenteuil). Si Kotche, deuxième à la ranking-list, vient de terminer en bronze à Fuengirola (et remplit donc le fameux critère international),  Kais, troisième au classement national, ne compte lui aucune sortie internationale depuis le début de saison (comme Harvent)… mais vient de remporter le tournoi de Thionville. Cette victoire a-t-elle décisive dans le choix de l’équipe de Gilles Nahon ? Quoiqu’il en soit, la non-sélection de Harvent par le nouveau staff pose question, tant sa supériorité sur la catégorie au niveau français ne fait – au moins jusque-là – aucun doute. Un étonnement plutôt unanime qui pose la question suivante : à prendre des critères dépersonnalisants, quid de la valeur intrinsèque de judoka (potentiel de progression, qualités physiques, techniques, tactiques) dans les critères de sélection ? Une interrogation qui se pose également sur d’autres choix : combattants pris sur une et une seule performance à l’international ou à l’inverse, sélectionné alors qu’aucune sortie européenne n’a été effectuée.

En résumé, si la majorité de la sélection montre une vraie cohérence, de vraies incompréhensions demeurent.

Et pour la suite de la saison ? Gilles Nahon nous explique que «le podium des championnats de France aura 99% de chance d’être sélectionné pour participer à la Coupe d’Europe cadets de Strasbourg (23-24 avril). Il y aura ensuite quatre ayant-droit sans doute les deux cinquièmes et septièmes à qui l’on proposera de participer également. Mais leur participation devra être prise en charge par leur club ou structure haut niveau. L’idée est d’avoir huit judokas français dans chaque catégorie. Suite à cette Coupe d’Europe française, nous choisirons un ou deux combattants par catégorie pour la Pologne
Le cadre futur est posé.

N.B : Suite à une demande du staff national cadets, voici quelques précisions que ce dernier voudrait voir exposer : «le classement de la ranking actuellement sur le site de France Judo ne tient pas compte des résultats de l’Espagne et des tournois de Thionville et Toulouse. En outre, le nombre d’engagés français pour la Coupe européenne de Strasbourg n’est à ce jour pas encore validé, même si il devrait s’approcher du chiffre annoncé (possiblement six à huit judokas par catégorie). Enfin, le staff venant d’être nommé, les critères et objectifs ne pouvaient être annoncés auparavant. Le souhait de l’équipe d’entraîneurs est une ouverture plus importante sur l’international à tous les niveaux.»

*L’Esprit du Judo proposera une analyse sur ce sujet d’ici quelques semaines.