Après avoir gagné le Grand Chelem de Paris aux forceps début février, Clarisse Agbegnenou, en mode stage travaux pratiques, est allée se confronter à Tashkent en Ouzbekistan, à une catégorie qui s’était un peu habituée à faire sans elle. Elle avait frappé fort à Paris, elle redouble d’impact à Tashkent, emportant l’or à nouveau en signifiant clairement « qui c’est la patronne ». Histoire de bien enfoncer le clou, le jeu des stratégies nationales lui proposait deux Japonaises pour le prix d’une et ce fut un plaisir de la voir passer ces deux obstacles consistants, avec une nouvelle arme manifestement de plus en plus au point : son ne-waza.

On le sait, la championne olympique de Tokyo s’est cherchée au lendemain de la bataille de Tokyo de nouveaux centres d’intérêt, aspirant à maintenir constamment la fraîcheur de sa curiosité, de son désir de progrès. On la sait ainsi assidue depuis des années du côté de la « MKTeam », le club de Jujitsu brésilien d’Olivier Michailesco à Paris, où on croise régulièrement dans une bonne ambiance de camaraderie et sueur, de nombreux « haut niveau » de judo. Clarisse travaille depuis longtemps ce secteur de l’activité judo, et cela semble porter ses fruits, au bon moment.
La Russe Yana Makretskaya se faisait la première fixer au sol, avant d’échapper à la séquence pour prendre finalement un joli uki-waza. La Française continuait son chemin en immobilisant l’Espagnole Cristina Cabana Perez à la suite d’un travail technique assez complexe et bien mené qu’elle concluait en sankaku-osaekomi. Après un gros mouvement de hanche sur la Croate Oberan, elle abordait enfin le bas de la pente de la montée finale à l’Alpe d’Huez, avec les deux Japonaises comme juges de paix de sa journée : Nami Nabekura en demi-finale et Momo Tatsukawa en finale. Après avoir dominé la numéro deux Megumi Horikawa à Paris, Nami Nabekura, numéro trois, était un nouveau bon test de sa capacité à faire face aux meilleures techniciennes d’Asie. La Japonaise se montrait dangereuse en jouant sans trop de vergogne le jeu tactique, faisant chauffer la troisième pénalité contre Clarisse avec ses tai-otoshi. Mais la Française la poussait à précipiter un peu son attaque en l’agressant, captait le bras adverse au passage et administrait un tai-otoshi debout « à la Française » très opportun. Il fallait conclure contre Momo Tatsukawa, n°6 dans son pays, mais sortant d’une victoire significative au Grand Prix de Linz en Autriche, où elle avait notamment dominée sur o-uchi-gari la Française Deketer. En arrivant en suivant à cette finale de Grand Chelem, cela pouvait être son jour pour se montrer comme une relève possible après Paris… Dans cet esprit, elle faisait un gros travail de contrôle sur le bras gauche de la championne du monde en titre, qui ne lâchait rien non plus, et à deux pénalités partout, c’était ouvert pour la Japonaise au moment où, au golden score, elle se lançait une nouvelle fois dans une attaque sur son « tokui-waza » en o-uchi-gari… Mais solide en appui, Clarisse Agbegnenou attrapait au vol le bras de Tatsukawa et enchaînait irrésistiblement au sol en juji-gatame. Deux combats délicats à gérer que notre meilleure chance d’or à Paris, peut-être, dénouait par deux coups brillants en enchaînement debout-sol. En attendant, Clarisse Agbegnenou efface sans doute les mauvaises ondes de sa septième place des championnats d’Europe, renforce son classement mondial et entre « ric-rac » dans les têtes de série pour les Jeux, tout en montrant qu’elle a des solutions face à la technicité nippone. Cela tombe bien car celle qui viendra la défier à Paris, Miku Takaichi, et aussi la dernière du pays à l’avoir battue, en finale du Masters.

Du judo avec Pinot

La France était une nouvelle fois en finale aujourd’hui, et c’était avec Margaux Pinot en -70kg. Elle écartait par juji-gatame l’Ouzbèke Khurshida Razzokberdieva – non sans s’être fait voler un beau ippon / ko sur une analyse vidéo pointilleuse jusqu’au délire de l’interdit autour du contact aux jambes. Que l’adversaire soit une combattante du pays ajoute encore à l’agacement que provoque ce genre d’intervention de la table… Elle écartait ensuite la jeune Brésilienne Luana Carvalho sur une merveille de seoi-nage enchaîné en juji-gatame et s’offrait l’ultra-rugueuse Russe Madina Taimazova sur un waza-ari en seoi-nage et un impressionnant travail sur le bras pour obtenir un juji-gatame intimidant. En demi-finale, elle ne retrouvait pas la dangereuse Japonaise Saki Niizoe, mais celle qui l’avait sortie par un waza-ari « pointe de l’épaule »… la combattante du crû, l’Ouzbèke Gulnoza Matniyazova. Mais l’expérience de Pinot contrôlait le risque de gestion maison de l’arbitrage par une mécanique technico-tactique impeccable qui éclipsait Matniyazova. Elle restait une finale à faire, et c’était contre l’Allemande Miriam Butkereit, victorieuse en début de mois de son premier Grand Chelem, à Paris et contre la Française titulaire aux Jeux de cet été, Marie-Eve Gahié, qu’elle avait contré sur son o-soto-gari. Sur sa lancée, l’Allemande de vingt-neuf ans s’engageait dans une nouvelle finale ici à Tashkent. Pour une deuxième victoire en Grand Chelem à son profit, ou une cinquième pour la trentenaire française ? Margaux Pinot ne passait pas loin de la victoire en début de combat, et il fallait une bataille acharnée de l’Allemande pour sortir d’un osae-komi annoncé. Mais ensuite, sa garde étouffante déréglait progressivement le jeu de son adversaire et, sur une tentative de sutemi, Miriam Butkereit plaçait habilement son pied en ko-soto-gari et se voyait attribuer le ippon. Malgré cet échec en finale, c’est tout de même une belle journée de judo pour Pinot.

Des cadors en embuscade avant Paris

Nos garçons ? Discrets aujourd’hui avec l’échec, en -73kg, de William Gobert dès le premier tour face au Mongol Erdenebayar Batzaya (vingt-trois ans et 25e mondial), auquel il offrait, en se jetant un peu sur sa hanche, un énorme utsuri-goshi. L’ancien « top 20 » mondial dans la catégorie inférieure continue son apprentissage en -73kg. Échec d’emblée aussi du jeune Arnaud Aregba, vingt-deux ans, 46e mondial, qui finissait par se faire surprendre sur un souple coup de judo en sasae (sur la garde croisée haute de Français) de l’Espagnol José Maria Mendiola Izquieta, vingt-sept ans et 29e mondial.

En -73kg, c’était Manuel Lombardo qui faisait le spectacle avec ses sutemi efficaces. Vice champion du monde en -66kg en 2021 contre la légende Hifumi Abe (que certains voyait battu sur cette finale), l’Italien était passé dans la catégorie des -73kg un mois plus tard, aux lendemains des Jeux de Tokyo où il avait fini cinquième. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour y briller puisqu’il avait fait cinquième des championnats du monde 2022, et s’était à nouveau hissé en finale de ceux de 2023, battu par l’outsider suisse Nils Stump. Il obtient ici sa deuxième victoire en Grand Chelem dans cette catégorie, assez tranquillement – c’est sans doute l’un des seuls à remettre de temps à autre sa mèche en place quand il se bagarre au kumikata. Incontestablement un vainqueur potentiel des Jeux de Paris.
En -81kg, le spectacle était dans l’opposition au meilleur niveau du Japonais Nagase, en route vers sa meilleure forme pour aller gagner un second titre olympique, et le formidable Belge Matthias Casse, lui aussi prétendant à la victoire olympique après quatre finales mondiales successives. Malheureusement le combat était vendangé par l’arbitre qui choisissait tout seul le vainqueur (le Belge), lequel allait, après une finale difficile contre l’Autrichien Shamil Borchashvili, emporté son second Grand Chelem de suite après Paris… avec quatre victoires aux pénalités sur cinq combats.

Déjà trois fois en or, la France a encore les moyens, ce dimanche, d’accentuer son avance au classement des nations, avec les féminines notamment, Fanny-Estelle Posvite en -78kg et Léa Fontaine en +78kg.