Le bronze pour Gahié, la finale pour Louette-Kanning
La Française Lucie Louette-Kanning, projetée en finale des +78 kg par la championne olympique cubaine Idalys Ortiz / Officiel IJF
Après la belle performance de Loic Korval le premier jour, on attendait la suite avec intérêt, chaque combattant français ayant sa propre partition, ses propres enjeux à defendre dans ce Grand Prix au niveau contrasté et globalement un peu décevant sur le niveau de judo affiché.
Au deuxième jour, c’était au tour de Pierre Duprat d’entrer en action en -73 kg, avec l’idée de démontrer qu’il a les épaules d’un numéro un français, lui qui a déjà récolté une médaille au championnat d’Europe, alors que le retrait il y a peu de temps d’Ugo Legrand lui a ouvert un boulevard, ce qui paradoxalement semble l’avoir un peu crispé. Malgré quelques belles performances, il se fait surtout remarquer depuis quelques mois par des défaites un peu surprenantes.
Duprat, pour bientôt ?
À Cuba, on est resté un peu sur ce schéma, avec de très belles envolées contre trois adversaires accessibles, mais aussi une défaite cuisante au sol contre le combattant des Emirats (ex-Moldave), et 19e mondial, Victor Scvortov, qui le surprenait par une attaque brusque en étranglement après quelques secondes de relâchement, et contre l’Allemand Wandtke en repêchages – sa deuxième défaite de suite contre lui après le dernier tournoi de Paris – sur un sumi-gaeshi en garde croisée (non sanctionnée par l’arbitre malgré quelques secondes sans attaque), sur laquelle il se laissait enrouler avec un peu de naïveté.
Néanmoins, et c’est important à souligner, c’est surtout la dynamique actuelle de son judo très en mouvement, varié sur le plan technique avec de beaux enchaînements au sol, que l’on remarque. Ainsi dans son combat contre Wandtke, actuel 18e mondial, ce qui frappe surtout est la façon dont le Français l’a surclassé pendant quatre minutes, le trimballant dans tous les coins du tapis et manquant plusieurs fois de l’attraper au sol, notamment sur un beau sankaku-jime inversé à la Korval. Une compétition finalement très encourageante, et pour peu que le nouveau prétendant au ticket pour Rio trouve un peu de serénité et le bon équilibre entre ceux qui lui disent « lâche-toi plus ! » et ceux qui lui disent « contrôle mieux » – éternelle difficulté -, on serait prêt à faire le pari que Duprat est plutôt dans une logique ascendante. Espérons pour lui la confirmation de cette extrapolation au tournoi de Paris.
Schmitt, Clerget, Therec au tapis
Que ce soit le deuxième jour (Alain Schmitt en -81 kg), ou le troisième (Axel Clerget en -90 kg et Joseph Terhec en -100 kg), les masculins français se sont montrés finalement très discrets.
Confronté pour son retour de blessure au jeune Cubain de 19 ans, Felipe Silvo Morales, 32e mondial et médaillé mondial juniors 2015, Alain Schmitt (-81 kg) était victime d’un avant-arrière très propre.
Axel Clerget (-90 kg) pouvait se sentir frustré. Après une première victoire efficace au sol (contre le Cubain Juan Gomez Cerrera), il faisait face au Tadjik Ustopiriyon, l’un des hommes en vue au championnat du monde 2015 d’Astana. Sur la première séquence, il lançait un ko-uchi-makikomi où son coude venait peut-être (bien malin qui peut le dire à la lecture d’une vidéo comme en ont les juges qui ont décrété sa disqualification) faire un très léger effet de levier sur la jambe adverse. Avec un fair-play douteux, le Tadjik faisait de grands gestes en direction de la table pour demander la disqualification de son adversaire – là aussi on se demande comment on peut en arriver là dans le judo sans que personne ne semble réagir à la dérive actuelle provoquée par un arbitrage déficient – et la sanction tombait. Dommage pour la dynamique actuelle d’Axel Clerget.
Le jeune double champion de France seniors Joseph Terhec (-100 kg) continue son apprentissage international. Il prenait le Géorgien Tushishvili, 20 ans comme lui et 62e mondial et, sur la première séquence, en garde inversée, le Géorgien lançait uchi-mata et le Français contrait pour yuko. À la seconde séquence, le Géorgien lançait uchi-mata et marquait ippon.
Gahié, la marche en avant
Il restait deux combattantes, avec chacune, encore une fois, des enjeux à défendre. Marie-Eve Gahié, 19 ans depuis novembre dernier, a explosé en 2015, mais avait néanmoins mal fini son année avec deux défaites sèches au championnat d’Europe, pour laquelle elle était titulaire, et au Grand Prix de Tashkent en octobre. Tout est reparti à la hausse en ce début d’année 2016. Victoire à l’Open de Tunis la semaine dernière, et la voici troisième de ce Grand Prix de Cuba où elle a imposé non seulement sa puissance et sa garde envahissante, mais aussi de vraies qualités d’appui et le sens du combat, ce qui lui permet de rester debout dans les contres adverses et de revenir en position gagnante. Une démonstration impressionnante qui la replace dans la bataille très féroce que se livrent les -70 kg françaises Gévrise Emane, Fanny-Estelle Posvite et Margaux Pinot. Après une bagarre un peu brouillonne contre une Cubaine puissante qui lui mettait deux yuko après en avoir pris deux (et une pénalité décisive), elle se permettait de surclasser la numéro un brésilienne Portela, 19e mondiale (Gahié est 32e), en la prenant justement sur une tentative de ura-nage où elle la coinçait au sol. Face à la très solide Linda Bolder, néo-Israélienne, qu’elle n’avait jamais rencontrée, Marie-Eve Gahié mettait beaucoup d’impact, mais se faisait sanctionner par des gardes croisées incessantes et ne réagissait pas avant la quatrième pénalité. En place de trois face à l’Ouzbek Gulnoza Matniyazova, pourtant mieux classée qu’elle autour de la 30e place mondiale, la victoire ne parut être qu’une formalité. Elle lui infligeait tout le tableau.
Lucie Louette-Kanning, le retour dans la lumière
Les dernières aventures de la grande rivale d’Audrey Tcheuméo (et avant elle, de Céline Lebrun et Stéphanie Possamaï) en -78 kg dataient de 2014 avec une place de trois à Montpellier pour le championnat d’Europe et un échec rapide au championnat du monde de Chelyabinsk. En +78 kg, l’année 2015 avait bien commencé pour la nouvelle « lourde » française, avant d’être prématurément conclue par une blessure au genou dès février. Lucie Louette-Kanning n’a pas abdiqué et la voici de retour avec une finale à Tunis, et une nouvelle finale ici à Cuba. On commence à mieux mesurer son potentiel et il est d’ores et déjà intéressant. Sa taille, sa garde de gauchère décalée, sa maîtrise technique certaine, la mettent déjà à l’abri face aux moins performantes de la catégorie. Son uchi-mata traversait une Mongole, puis la Russe Chibisova, un « engin » qui manque de sensations, mais pas de puissance, et la référence est déjà intéressante, car cette combattante est 17e mondiale. L’Américaine Cutro-Kelly, petit gabarit tonique, tentait de repasser le bras à l’intérieur, non sans succès, mais tombait sur o-uchi-gari et uchi-mata. C’est sur o-uchi-gari que s’inclinait la copieuse Mexicaine Zambotti, 16e mondiale. Mais en finale, la grande Cubaine Ortiz, championne olympique en titre, s’imposait par un ura-nage/yoko-guruma pour ippon.
L’opération points – crédibilité est néanmoins totalement réussie pour Lucie. Il lui reste à faire la démonstration rapide qu’elle a trouvé des solutions pour faire face au « top 10 » et même au top 5, dans lequel on retrouve la Tunisienne Cheikh Rouhou, qui l’a battue à Tunis, et la Cubaine Ortiz qui la bat ici, et on pourra considérer que la France a un nouveau potentiel de médaille européenne et mondiale dans cette catégorie.