Elle restera comme la première championne du monde de judo de l’Histoire. Désormais vice présidente de l’Union Européenne de Judo chargée de la formation, Jane Bridge, 60 ans, chroniqueuse depuis de nombreuses années au sein de notre magazine, revient pour nous sur l’événement qu’ont constitué les premiers championnats du monde féminins organisés en 1980 au célèbre Madison Square Garden de New-York.
Quel est le premier souvenir qui te revient en mémoire quand on évoque ces premiers championnats du monde ?
Beaucoup de soulagement ! J’étais très stressée avant cette compétition. J’étais l’une des favorites avec mes trois titres européens (1976, 1978, 1980). En plus, mes parents étaient venus me voir. J’étais bien sûr heureuse qu’ils soient là mais je ne voulais pas les décevoir. Je gagne en faisant partie d’une équipe anglaise très soudée (le Royaume-Uni remportera finalement cinq médailles, NDLR). Le soir, ça a été l’euphorie !
Peux-tu nous en dire plus sur le contexte de l’époque…
La première chose que je perçois, c’est en fait une certaine réticence du Japon. Car il faut attendre 1980, soit vingt-quatre ans après les premiers championnats du monde masculins pour que la fédération internationale décide d’organiser cette compétition pour nous. Ensuite, à ce moment-là l’Europe est déjà très forte : il y a les Françaises (huit médailles dont un titre pour Jocelyn Triadou, NDLR), les Autrichiennes (trois titres), les Italiennes (un titre). Le Japon, c’était un peu l’inconnu. Pourquoi les Européennes étaient si fortes ? Car la présence des femmes dans le judo, même si elle était très minoritaire, était une réalité en croissance depuis des années. Sur nos conditions d’entraînement, nous étions évidemment totalement amateurs ! Personnellement, je m’entraînais dans mon club. On a eu la chance que l’entraîneur national anglais, qui avait un club sur Londres, y établisse les prémices d’un centre d’entraînement pour nous, l’équipe féminine. On s’est retrouvé à six filles, logeant dans des appartements que notre entraîneur louait pour nous. C’était fin 1979. Le matin, on faisait du travail physique, du « circuit training » comme on dit maintenant. L’après-midi, c’était des séances individuelles. Et le soir, on s’entraînait dans son club, qui avait un niveau assez fort oo on se déplaçait dans d’autres clubs londoniens, comme le Budokwai. À l’époque, j’étais étudiante. Les copines de l’équipe, elles, travaillaient sur les marchés, dans des banques, etc.
Le choix de New-York comme lieu d’accueil de ces premiers championnats peut paraître étonnant non ?
Au départ, on avait entendu des rumeurs selon lesquelles ces premiers championnats du monde auraient peut-être lieu en Yougoslavie. Finalement, cela ne s’est pas fait. Pourquoi les États-Unis du coup ? Grâce à Rena « Rusty » Kanakogi. Une personne incontournable dans l’histoire du judo ! Elle a énormément travaillé en amont avec la FIJ pour pouvoir organiser cette compétition aux États-Unis (elle a même hypothéqué sa maison, NDLR). Elle avait réussi à ce que la chaîne de télévision CBS soit là. Je me souviens d’ailleurs avoir été interviewée après ma victoire.
Et puis, les États-Unis avaient une bonne équipe : il y avait une Américaine assez forte dans ma catégorie avant de me rendre à New-York ! (sourire). Elle était d’ailleurs venue combattre lors du British Open, l’un des tournois références de l’époque.
Quarante ans après, comment analyses-tu cet événement ? Et l’évolution du judo féminin ?
Sur le coup, je ne me suis pas rendue compte que c’était le début de quelque chose. Et depuis, je n’ai pas vu le temps passer ! (sourire)
Ce qui me frappe, c’est l’égalité qui existe maintenant entre le judo masculin et féminin alors que ce dernier accusait vingt ans de retard au niveau des compétitions majeures (championnats du monde et Jeux olympiques). Dorénavant, tout est mis sur le même plan entre les femmes et les hommes et ça, c’est génial. Il y a le fait aussi que le judo féminin s’est mondialisé. Enfin, je me dis que certaines judokates, grâce à leurs performances, ont réussi à se faire un nom au-delà de notre discipline, à être des ambassadrices du sport féminin. Il y a Majlinda Kelmendi qui a réussi malgré le peu de moyens de son pays; Kaori Yamaguchi qui n’a jamais cessé d’oeuvrer pour le judo féminin nippon; Ryoko Tamura-Tani, héroïne d’un manga et de devenue sénatrice de son pays ou encore Miriam Blasco elle aussi élue sénatrice en Espagne. Elles sont toutes, à leur niveau, comme nous l’avons sans doute été en 1980 à New-York, des pionnières.