Une médaille de bronze pour sept engagés français
Il ne faut pas (se) le cacher, la journée est décevante pour la France. Sept engagés, dont quatre combattantes, pour, au final, une unique médaille de bronze. C’est peu, sans aucun doute. C’est frustrant surtout, car à plusieurs reprises, la journée semblait vouloir prendre une meilleure direction générale. Et finalement, non.
Il y a pourtant eu du positif et ce serait une erreur de ne pas le souligner malgré la note globale. Il faudra en effet se souvenir que Mélanie Clément en -48kg est bien l’une des combattantes qui gênent la grande Daria Bilodid, qu’elle tenait jusqu’au golden score, avant de céder au sol sur le terrible sankaku-osaekomi du mannequin ukrainien. Malgré une cinquième place d’autant plus contrariante qu’elle était inattendue, il faudra aussi se souvenir que Walide Khyar est bien revenu dans la dynamique de tête européenne. Il bat une nouvelle fois le vieux briscard géorgien Amiran Papinashvili, une référence, ne cède qu’aux forceps face au futur vainqueur Lukhumi Chkhvimiani, un autre Géorgien, qui est allé puiser très profond pour trouver les moyens de passer le poison français, redoutable dans son jeu d’appels et de décalages et son très efficace travail de sape au kumikata. La différence ? Peut-être un soupçon de qualité d’appui, l’envie constante de faire tomber, le geste, l’enchaînement fort pour finalement arracher le waza-ari décisif, au cœur de la bataille tactique.
Khyar tout près
Comme pour le parcours de Walide Khyar, la médaille de bronze d’Amandine Buchard est à la fois un résultat un peu frustrant pour elle, qui ne vise que l’or partout où elle passe, et finalement, tout de même, une nouvelle à considérer comme bonne. Car elle « débloque le compteur » pour l’équipe comme on dit, mais aussi le sien au niveau européen, qui n’avait pas été médaillée continentale depuis 2014 et sa finale en -48kg. Moyennant quoi, on dira avec elle « qu’il y a du travail » pour déstabiliser la terrible Kosovare Kelmendi qui emporte son quatrième titre européen. La championne olympique de Rio est d’autant plus tranquille pour arracher les victoires d’un grand coup de faux final, qu’elle n’est jamais pénalisé pour son absence quasi complète d’attaque pendant les combats. L’autorité de son kumikata d’enfer et de sa réputation suffit, jusqu’à l’erreur dernière de son adversaire. Volontiers en position cassée avec sa prédilection pour les kata-guruma, Amandine Buchard n’a guère de solution face à ce mur… sinon tenter l’impossible comme cet uchi-mata qu’elle se faisait très proprement contrer. Il va falloir se creuser la tête pour trouver dans les deux ans qui viennent le schéma qui ira bien. Quant à la place de trois, cette fameuse médaille qui change quand même les choses pour les positions françaises, si elle l’obtient contre la finaliste des derniers Jeux olympiques, l’Italienne Odette Giuffrida, c’est au bout d’un face-à-face morne, qu’aucune des deux combattantes ne semblait très motivée à emporter. Cette médaille comptera pourtant au bilan. L’année dernière, elle n’était pas là.
Jorre Verstraeten, un bourreau de vingt ans
Ce qui fâche ? Essentiellement la façon dont le gentil Flamand de Louvain, Jorre Verstraeten — vainqueur de Tel-Aviv tout de même et 20e mondial, mais médaillé européen juniors 2017, vingt-et-un ans seulement — est passé au sol à travers les deux représentants français en -60kg. Un dégagement de jambe facile sur Luka Mkheidze, totalement surpris, et un très joli étranglement en sode-guruma-jime enchaîné après une tentative de renversement — rien que du classique — sur Walide Khyar, pourtant averti par une très chaude alerte un peu plus tôt dans le combat. C’est vexant et sans doute troublant pour le responsable des équipes de France Stéphane Traineau, d’autant que ce déficit au sol avait été identifié après les Jeux de Rio, il y a de cela trois ans.
Mélanie Clément (-48kg) perd elle aussi par deux fois au sol, face à Bilodid, mais aussi face à l’Espagnole Julia Figueroa contre laquelle elle restait sur deux défaites à Paris en 2018 et à Bakou en 2019. Le chemin est encore long avant une médaille continentale ou mondiale.
Pas d’exploit pour Kilian Le Blouch en -66kg, bien moins tranchant qu’il y a quelques semaines à Trelazé et contré proprement par un Géorgien de vingt ans, Bagrati Niniashvili, tout juste sorti des juniors avec une médaillé européenne et mondiale. Pas de réussite pour les deux sœurs Gneto qui laissent la Corse (et Blanc-Mesnil) morose(s). La plus jeune, Astride, prend deux pénalités dans les dix dernières secondes de son combat contre l’Anglaise Chelsea Giles (qui ira chercher la médaille). C’est mal joué. L’aînée cède devant la tenante du titre et future finaliste, la Kosovare Gjakova, sur un tani-otoshi final au golden score. Ce n’est pas indigne évidemment, mais on attend toujours plus de la représentante française, qui, du coup, n’est pas classée.
Trois finales pour les trois combattantes russes !
Chez les filles, la grosse impression du jour, hormis les deux finalistes kosovares et la superbe ukrainienne Bilodid, revient aux trois autres finalistes, toutes russes ! Joli tir groupé en finale des -48kg, -52kg et -57kg de ces combattantes bichonnées par le staff de Gamba, dont les Français Roux et Gibert. Les deux premières, Irinia Dolgova, championne en titre en -48kg et Natalia Kuziutina, championne en titre en -52kg (mais en l’absence des deux grandes rivales Bilodid et Kelmendi l’année dernière), s’inclinaient, certes. C’est finalement la jeune Daria Mezhetskaia, médaillée européenne et mondiale juniors il y a quelques années, qui tire les marrons du feu dans un combat plein de conviction contre la championne en titre kosovare Nora Gjakova. Tout en détermination, la petite Russe arrache une décision très litigieuse en sa faveur sur un sode-tsuri-komi-goshi qui aurait tout aussi bien pu être donné à son adversaire en contre. Mais elle tenait le combat jusqu’au bout et sortait sonnée du tapis, comme incapable de réaliser qu’elle avait gagné pour l’éternité cette médaille d’or, qui met la « team » féminine russe dans une très belle position dès le premier jour. Trois finales pour un titre en trois catégories, c’est un très bon début. Quant à la jeune Daria Mezhetskaia, on se rappellera aussi que l’année dernière, elle avait été battue dans un combat exceptionnel par la jeune Française Sarah-Léonie Cysique, avant de céder en mai dernier au premier tour du Grand Chelem de Bakou par Hélène Receveaux. Qui sait ce qui se serait passé cette année ?
Les combattants russes en revanche ne se montrent pas, si bien que, pour la première fois depuis dix ans, les hommes de Gamba n’emportent aucune médaille sur les deux premières catégories. Ils restaient notamment sur deux titres successifs en -60kg, une catégorie qu’ils avaient emporté quatre fois dans les cinq dernières années, cinq fois dans les sept dernières. Mais dans cette catégorie, pas de Robert Mshvidobadze, pourtant n°1 mondial, pas de Beslan Mudranov, champion olympique et médaillé européen l’année dernière. Pas de trace non plus du triple finaliste mondial Mikael Puliaev en -66kg. Comme c’est de plus en plus régulièrement le cas, l’événement a été laissé à des combattants moins cotés. On notera aussi que quelques nations ont fait carrément l’impasse sur ce rendez-vous continental pour des raisons stratégiques, Israël par exemple préférant ménager les n°4 et n°6 mondiaux en -66kg, Baruch Shmailov et Tal Flicker, pour leur permettre d’aller chercher des résultats dans des tournois richement dotés pour prendre 100% de points nouveaux dans cette année cruciale de sélection olympique. Dans cette ambiance, la Géorgie, toujours entière, efface l’affront de l’année dernière, une équipe à la rue qui n’avait rien gagné, en plaçant ses quatre représentants masculins sur le podium. Une médaille d’or et trois de bronze pour une seule journée. On ne sait pas si c’est une très bonne idée dans la perspective des grands rendez-vous à venir, mais en tout cas c’est spectaculaire.
Russie, Géorgie, Kosovo, les forces sont en place mais, pour l’instant, derrière les deux monstre ukrainiens qui, comme en 2017, balaient toute opposition jusqu’à l’or. Daria Bilodid en -48kg, renforcée par la victoire en -66kg du grand Georgii Zantaraia sur l’étonnant Italien Matteo Medves, inexistant depuis… sa finale européenne de l’année dernière. Zantaraia, trente-et-un ans, emporte son troisième titre européen et se place sur la rampe de lancement pour Tokyo. Il marque aussi le plus beau ippon du jour sur l’Italien, un merveilleux uchi-mata aérien en contre de balayage. Vous ne l’avez malheureusement pas vu, étant donné la désinvolture avec laquelle est retransmis cet événement majeur du judo européen. Dommage, c’était beau.