Lundi 8 août : troisième journée, le bilan

Shohei Ono, Champion olympique 2016 / Emmanuel Charlot – L’Esprit du Judo

À l’époque de Kosei Inoue, entre 1999 et 2004, on pouvait se sentir privilégié d’être le témoin d’un tel pur talent en action. Avec Ono, on a connu le jeune spécialiste de o-soto-gari en 2012, la révélation de son uchi-mata en 2013 quand il devient champion du monde. Après sa légère éclipse de 2014, il est revenu encore plus fort en 2015, gagnant son second championnat du monde sur une dizaine de techniques différentes. Sur ces premiers Jeux olympiques, il est apparu encore différent, posé et sûr, prenant son temps à chaque tour, et appliquant avec une aisance surhumaine l’exacte solution à chaque problème, à chaque adversaire, dont l’étourdissant yoko-tomoe-nage qui convenait au Belge Van Tichelt et qui tourne déjà en boucle sur les réseaux. Voir un dieu en action, c’est divin ! L’impact qu’il a laissé aujourd’hui va résonner longtemps, pendant des décennies, dans les mémoires. Ono est jeune, il gagne tout et nous sommes là pour le voir. Combien de temps nous offrira-t-il la grâce de perfection qu’il est capable aujourd’hui d’exprimer ? Encore un an ? Une olympiade peut-être ? Profitons-en bien. On en parlera dans vingt ans.
En attendant, à 24 ans, Shohei Ono est déjà double champion du monde et champion olympique. Et il vient d’amener sa première médaille d’or au Japon, désormais deuxième nation avec… six médailles en six catégories. Un pari, on s’en rappelle, lancé avec un peu de bravade par la directrice des équipes de France. 
Un bilan à la fois mitigé et encourageant pour le Japon : Takato a déçu et Kondo n’a pas pu, Ebinuma et Nakamura passent à côté de leur rêve hier et c’est aussi le cas pour la magnifique Kaori Matsumoto aujourd’hui. Mais, dans le même temps, tout le monde, à la fin, termine sur le podium. A Londres comme à Pékin, le Japon avait fait sept médailles. Au bout de trois jours à Rio, il a déjà atteint ce chiffre, ou presque. A Londres il n’y avait eu qu’une médaille d’or, à Pékin quatre. Pour peu que le Japon parvienne à investir trois ou quatre des huit finales qui restent à jouer, et son score pourrait être exceptionnel. Ono a montré le chemin, mais le plus dur reste à faire.

Silva, une image du Brésil

Un chemin escarpé. Aujourd’hui encore, l’impression laissée est celle d’une concurrence féroce entre les grandes nations, les destins qui se jouent et les talents qui s’affrontent. La Russie avait les moyens de prendre une nouvelle médaille, mais Iartcev ne remonte pas son retard contre Van Tichelt malgré un waza-ari qui valait peut-être ippon, et se fait remonter par Shavdatuashvili. La Corée rate le coche aussi aujourd’hui avec l’échec inattendu de l’un de ses fers de lance, le vif An Changrim, médaillé mondial. Japon mis à part, cinq autres pays seulement sont à deux médailles, l’Italie, qui tient toujours le haut du pavé, la Russie, la Corée du Sud, le Kazakhstan et l’Ouzbékistan, les huit autres médailles vont à huit autres nations, dont l’argent à la Mongolie de la jeune Sumya Dorjsuren, qui est devenue mine de rien la première médaille olympique du judo féminin mongol, l’or à l’Argentine, au Kosovo… et désormais au Brésil. Hier et avant-hier, le Brésil avait beaucoup essayé sans résultat. Dès le matin de ce troisième jour, combattante parmi les autres dans cette catégorie formidable, Rafaela Silva s’était portée volontaire pour écrire l’histoire, s’imposant d’entrée en favorite avec une victoire intimidante contre l’Allemande Roper. Elle gagne et elle donne un visage au Brésil, le visage sombre et farouche d’une enfant des rues de Rocinha passée de paria à égérie nationale. Par la vertu du judo, du sport et de l’olympisme, par la vertu aussi de ceux qui se sont appliqués à ne pas la laisser prisonnière d’un clivage social, d’un destin collectif misérable, elle qui, à l’évidence, méritait mieux, méritait de toucher au collectif en devenant une figure, un exemple, une fierté pour toute une nation. Et c’est là que le sport, un peu décrié ici en cette période de crise politique et économique, peut encore donner une leçon pertinente à la société brésilienne, si elle veut bien l’entendre. En devenant la première Brésilienne championne du monde et championne olympique (à chaque fois ici, à Rio), elle a remis le Brésil dans le jeu des nations qui comptent. Une médaille, mais en or.

Il nous reste quatre jours

La France ne pèse toujours pas et c’est une nouvelle déconvenue, à chaque fois plus cuisante. On espérait Khyar, Gneto avait les moyens, Duprat aller se retrouver, Pavia devait ramener la médaille… Elle pouvait manifestement le faire, mais elle s’est consumée dans son combat contre Matsumoto, laissant non seulement la finale espérée, mais aussi les médailles de bronze se jouer sans elle, elle qui était jusque là si souvent parvenue à remonter l’impact négatif d’un combat perdu pour aller chercher le bronze. Cette fois elle n’y parvient pas et c’est peut-être le vrai premier signe négatif que Rio envoie au groupe France : ce groupe est-il capable de se transcender au pied du mur, dans la difficulté exacerbée d’un tournoi olympique où chacun joue sa vie. Pour l’instant, nous avons six réponses par l’exemple, six réponses négatives. Et nous voici déjà en retard d’une médaille sur Pékin, de trois médailles sur Londres… et même d’une médaille sur Athènes, notre pire résultat historique ! On pourrait même s’effrayer un peu en soulignant que sur les tablettes, il s’agit tout de même du pire démarrage du judo français lors des Jeux olympiques. Mais vérité d’hier n’étant pas celle d’aujourd’hui, il faut toujours se rappeler, dans les frustrations qui s’accumulent, que nous avons encore de très beaux champions qui rongent leur frein et que, selon toute probabilité, nous allons terminer par un formidable point d’orgue en or avec Teddy Riner. Il n’est toujours pas interdit, quand on considère l’éclatement actuel des médailles d’or, de rêver finir première nation. Avec Agbegnenou – Pietri demain, Emane – Iddir après demain, Tcheuméo – Maret et Andéol – Riner dans les deux derniers jours, on mesure que cette équipe est toujours l’une des plus fortes jamais alignées par l’équipe de France, cinq champions du monde sur sept représentants à venir… Pour la France, les Jeux doivent donc commencer maintenant. Mais cette fois, c’est sûr, nous sommes dos au mur.