La synthèse de ce qu’il faut savoir sur la bataille de Varsovie
1- La France laisse passer les Russes devant
Depuis une dizaine d’année, le paysage s’est stabilisé autour de l’opposition franco-russe, les deux seuls pays à avoir obtenu le leadership sur la compétition individuelle sur ces sept dernières années. La France a fini en tête en 2011, 2013, 2014 et 2016, la Russie en 2012, 2015, 2017. Nous sommes donc dans une année « en dessous », seconde nation cette année, avec sept médailles pour deux titres. On notera d’ailleurs qu’aucune des deux grandes maisons ne surclasse totalement l’Europe cette année, la Russie étant à deux titres elle aussi, pour le même nombre de finales (5). Mais ce qui frappe, c’est le quasi parallélisme des résultats français et russes, chez les hommes pour les Russes (2-1-4), chez les femmes pour les Français (2-1-2). La France montre traditionnellement une capacité équivalente à gagner les médailles masculines et féminines, et elle est quasiment seule en Europe à y parvenir à ce niveau ce qui explique sa régulière domination continentale. La Russie d’Ezio Gamba n’a pas encore démontré sa capacité à être très performante chez les féminines, mais elle y travaille à son rythme, avec deux finales tout de même cette année… comme les Français chez les hommes. C’est donc quasiment uniquement avec sa force de frappe masculine, sept médailles encore cette année pour deux titres, qu’elle emporte le leadership général en individuel — de deux médailles de bronze. Et c’est donc parce qu’elle n’a plus les moyens de s’opposer chez les garçons que la France n’emporte pas haut la main ce classement. Sa défaite très rapide par 0-5 contre la Russie par équipe le dimanche symbolisait la différence évidente entre les deux groupes masculins.
Car la France fait une belle performance avec ses féminines, avec cinq médailles, comme l’année dernière (mais un titre en moins), ce qui est quasiment le socle de base de ses résultats féminins depuis 2011, avec des piques au-dessus (huit médailles en 2011, six en 2014) et rarement de creux (trois en 2015). Tout roule à ce niveau.
En revanche, l’euphorique embellie des masculins de 2013 et 2014, avec sept médailles les deux fois, est désormais du passé. Trois médailles masculines en 2015, puis deux en 2016 – mais deux titres — et encore deux cette année, mais pas d’or… Une performance donc modeste sur le nombre de médailles, et mauvaise par l’absence d’or. Bien sûr Teddy Riner n’est pas là, mais il est temps de commencer à penser à une équipe de France sans lui. Le double champion olympique est sans doute loin d’avoir fini sa carrière, mais le quintuple champion d’Europe qu’il est s’arrêtera sans doute là.
La France a-t-elle vocation à se « spécialiser » sur le judo féminin ? Doit-elle renoncer à challenger l’armada russe en Europe, et les combattants géorgiens aussi performants que les Russes (ils étaient leaders chez les garçons en 2013 et 2016), sans parler des Japonais, des Coréens, des Mongols au niveau mondial… La réponse est non, bien sûr. La France fait partie de l’histoire prestigieuse et séculaire du judo de compétition pour les masculins et il n’est pas question d’en sortir par la petite porte. Ce qui vient après est : « comment retrouver rapidement un groupe performant ? » une question sur laquelle il faut se pencher désormais.
2- Le renouvellement est déjà là chez les filles…
Les féminines françaises font donc cinq médailles, et il est significatif en ce début d’olympiade qu’une seule de ces médailles soit dans la continuité des « acquis » de l’olympiade précédente. Cette médaille, c’est le quatrième titre d’Audrey Tcheumeo, le deuxième de suite, le troisième en quatre ans. Un titre qui l’installe de plus en plus haut dans le panthéon national et qui rassure sur sa capacité à repartir au combat après sa finale olympique de 2016, elle qui faisait son premier titre européen en 2011. Comme Clarisse Agbegnenou, blessée à mi-chemin de ce championnat, Audrey Tcheumeo est bien un pilier fort de ce groupe féminin en construction et elle en a donné la preuve.
Des piliers donc, mais aussi de la nouveauté. Si Mélanie Clément ne parvient pour l’instant pas à s’installer en -48kg, si Amandine Buchard se rate en -52kg alors qu’on la voyait déjà sur le podium, en -57kg, Hélène Receveaux prend sa première médaille européenne, elle qui a longtemps patienté derrière Automne Pavia. Elle est cependant éclipsée par une étonnante Priscilla Gneto, qu’on avait quittée sur l’olympiade précédente en souffrance pour assurer le statut de leader et pour aller chercher les médailles d’or, rongée physiquement et mentalement par les régimes, bloquée sur un judo à une main en première intention tout en impact, et finalement humiliée aux Jeux par une élimination d’entrée pour un contact sur la jambe. On la retrouve quelques moins plus tard transformée, s’appuyant sur une concentration patiente, un judo à deux mains beaucoup plus construit, traversé par des prises d’opportunité debout élégantes et irrigué par des séquences au sol redoutables et très bien menées. Une révélation ! Là aussi une très bonne nouvelle, la meilleure peut-être de ces championnats d’Europe pour ce qui concerne la France. Nous voici riches d’un potentiel nouveau qui nous amène déjà un premier titre européen, une récompense que la Priscilla Gneto 1.0 n’était jamais parvenue à atteindre en quatre participations. À 25 ans, elle a devant elle une belle olympiade qui s’ouvre et sur ce registre, les podiums mondiaux sont à sa portée.
En -63kg, on attendait Clarisse Agbegnenou, c’est Margaux Pinot qui se révèle, dans un registre impressionnant là encore. Elle ne tombe pas, ne se déconcentre pas, ne perd plus aux pénalités, mais au contraire montre beaucoup de sens tactique. Elle est très rigoureuse sur le placement des mains, ne se laisse jamais imposer le combat et quand son seoi-nage est bien réglé, elle fait tomber n’importe qui. Sur ce championnat, elle ne perd qu’un seul combat, au bout du golden score en finale contre la Slovène Trstenjak, championne d’Europe, du monde et championne olympique, et avec un arbitrage un peu moins favorable à la championne, c’est elle qui aurait gagné. Bref, la aussi la France se découvre un autre talent de tout premier plan de 23 ans. Enfin en -70kg Marie–Eve Gahié emporte sa première médaille européenne elle aussi. Sans doute déçue, frustrée de ne pas déjà être la championne incontestée, d’avoir encore des naïvetés, des maladresses défensives. Mais elle a 20 ans, elle est déjà quatrième mondiale et toujours en devenir.
C’est donc un groupe déjà très impressionnant qui aborde l’olympiade qui vient, avec des assurances rapidement obtenues et fortes dans les catégories qui réclamaient un renouvellement, comme en -57kg et -70kg, et des ondes très positives venues de celles qui n’en ont pas besoin, en -63kg et -78kg. Leur victoire par équipe le dimanche est dans le prolongement de cette solidité. Rien n’est fait en -48kg, et la séquence est ratée en -52kg, mais n’inspire pas une grosse inquiétude. Seule question, l’état de forme et de motivation d’Emilie Andeol en +78kg, troisième tout de même du dernier Grand Chelem de Paris, et totalement hors du coup sur ce championnat, mal dans sa peau et gênée par des douleurs auxgenoux, au point de se demander si c’était vraiment un service à rendre à la championne olympique que de l’avoir amener à Varsovie, se faire battre comme une benjamine par une gamine de 18 ans, la Hongroise Mercedesz Szigetvari.
3- …mais pas chez les garçons
L’objectif avoué de ce championnat d’Europe ? « Tester des jeunes ». C’est bien sûr du renouvellement quasi complet des masculins dont il était surtout question. Le résultat : deux médailles éclatantes pour ce groupe masculin, mais d’argent seulement, et venues par ceux qui ne peuvent incarner le renouvellement sur le long terme. Cyrille Maret (-100kg) le taulier de ce groupe avec Teddy Riner, parce qu’il annonce lui-même voir venir année après année. Axel Clerget, arrivé dans cette équipe de France l’année dernière par sa propre volonté, parce qu’il a déjà 30 ans. Deux médailles qui font cependant bien plaisir. Pour Cyrille Maret, qui affiche désormais un mental solide et une posture de patron. Après sa médaille de bronze aux Jeux, il avait affirmé sa volonté d’engranger sur son pic actuel. Mission accomplie donc, même si il se fait chiper l’or européen à portée de main et dont il rêvait (après le bronze en 2013, 2014 et 2015) par un revenant venu lui aussi pour prendre de belles récompenses avant de passer à autre chose, l’étonnant « troll » azéri Elkhan Mammadov, 35 ans… coutumier du fait puisqu’il avait été déjà un champion du monde surprise en 2013 en battant Maret au passage. Une frustration pour le Français, mais aussi un avertissement : les obstacles vont continuer à se dresser entre lui et l’or et son parcours à venir ne sera jamais un long fleuve tranquille. Pour Axel Clerget qui avait tout fait pour revenir à ce niveau avec patience et détermination, qui s’était donné les moyens de battre les meilleurs et avait dû finalement se rendre au rendez-vous de Varsovie avec six randoris derrière lui, une préparation minée par une mauvaise blessure au genou, une appendicite inopportune et une chute de scooter ! Dans ces conditions, l’argent fait le bonheur. Avec des moyens réduits, il s’est tout de même payé le luxe de sortir l’un des Russes les plus attendus, le redoutable jumeau du champion olympique -81kg Khasan Khalmurzaev, Khusen, qui lui avait administré un soleil lors de leur dernière rencontre et il obtient la première médaille européenne senior de sa carrière.
Deux beaux combattants qu’on aura plaisir à suivre à Budapest pour les championnats du monde à un autre niveau. Le reste de l’équipe échoue, et s’échoue avec lui l’espoir de voir émerger sur la séquence de Paris à Varsovie, une nouvelle génération, des potentiels immédiatement performants, comme l’espérait l’encadrement français qui avait organisé ce grand brassage. Ce qui est apparu, c’est un groupe jeune et plaisant, notamment le -60kg Cédric Revol, dans lequel on devine pour chacun des qualités à faire valoir, mais encore loin du niveau requis. L’évidence s’impose : il leur faudra du temps pour combler le fossé qui les sépare encore d’un podium européen, et a fortiori mondial.
4- Il y a un nouveau shérif chez les lourds !
Les années pos-olympiques sont encore pleines des vestiges du passé et gorgées des prémices de l’avenir. Les trente-cinq ans de l’Azéri Mammadov, en or en -100kg appartiennent au premier, les seize ans de la nouvelle championne d’Europe des -48kg, l’Ukrainienne Daria Bilodid, nous montrent clairement le second. Comme le Français Maret, ils sont quelques uns à avoir fait le pont entre le premier et le second pour tâcher de prendre encore quelques belles médailles. Le plus prestigieux de ces rescapés du passé ? Sans doute le champion olympique des -100kg le Tchèque Lukas Krpalek, déjà troisième en +100kg. Mais aussi le magnifique Georgy Zantaraia, l’acrobate ukrainien, qui s’est assagi assez pour ne pas être disqualifié pour ses pivots sur la tête et qui reprend un beau titre européen en-66kg, six ans après le précédent en -60kg. La Russie, qui a gagné six titres européens avec six combattants différents depuis 2015 seulement, a de quoi voir venir le futur de pied ferme. Il y a ceux, celles surtout, qui sont clairement dans le présent, les deux championnes olympiques et championnes d’Europe en titre, la kosovare Kelmendi et la Slovène Trstenjak, qui ne lâchent pas de lest. Du côté de l’avenir, les trois finales obtenues par le judo allemand avec trois jeunes combattants (Dominic Ressel en -81kg, Theresa Stoll en -57kg et Giovanna Scoccimarro en -70kg), mais aussi le magnifique nouveau champion des -90kg, le Serbe Aleksandar Kukolj. Celui qui a néanmoins assommé la compétition de son talent bouillant est un jeune poids lourd tout juste issu des juniors avec deux titres continentaux, le dernier datant de 2015. Guram Tushishvili est Géorgien. Passé depuis peu en +100kg, c’est un petit gabarit par rapport à des colosses comme le Roumain Natea… ou le Français Riner, mais l’impact qu’il est capable de mettre à des tours de contrôle comme son compatriote Okroashvili, médaillé mondial 2015, témoigne de sa puissance. Agressif et tonique, il a balayé l’opposition, y compris celle du Tchèque Krpalek, et fait briller son arme secrète : un sode-tsuri-komi-goshi qui part entre les jambes et qui a satellisé du monde, et notamment le grand Russe Saidov en finale par équipes, offrant ainsi un nouveau titre à son pays. La Géorgie a trouvé un nouveau combattant comme elle les aime et Teddy Riner un adversaire à considérer.