Le double médaillé olympique appelé pour mettre de l’ordre dans la maison
Stéphane Traineau est nommé Directeur des équipes de France. La nouvelle fait du bruit, et ce n’est pas surprenant. D’abord parce que cela démontre que la FFjudo a pris conscience du fait que la tendance était clairement négative depuis des Jeux olympiques 2016, sauvés in extremis. Championnats du monde ratés chez les cadets, les juniors et les seniors, interrogations qui s’accumulent et dont nous avons largement été porteurs, ambiance de plus en plus délétère, dynamique collective introuvable, une échéance séculaire à préparer (les Jeux olympiques chez nous en 2024), des Jeux 2020 à Tokyo qui s’annoncent déjà difficiles, une grève insolite des athlètes sur les bras… Il était temps de réagir.
Mais le choix de Stéphane Traineau interroge aussi. Comme nous l’avons rappelé, celui qui possède l’un des plus beaux palmarès du judo français (double médaillé olympique, champion du monde, quatre fois champion d’Europe) a été écarté de ce poste en 2005 par Jean-Luc Rougé, dont il fut l’opposant à l’élection fédérale en 2012, une aventure violente qui s’est terminée par un long procès et une rupture qui semblait consommée. Aller chercher maintenant un tel homme est un acte fort, qui pourrait être interprété comme un signe de volonté de resserrer les rangs, d’enterrer les haches de guerre et les vieilles rancunes pour faire front commun. Sur ce plan, l’autorité de l’homme, sa crédibilité inentamée de champion et de meneur, peuvent jouer favorablement dans la communication avec les clubs. On parle de Kosei Inoue au Japon, d’Ezio Gamba en Russie, Stéphane Traineau pourrait être de cette trempe. Des épaules larges, qui sont aussi une façon de faire écran devant le DTN Jean-Claude Senaud, souvent visé par la fronde, lequel sort paradoxalement renforcé en termes de positionnement au sein de la structure, mais affaibli dans son leadership sur le haut niveau. Mais si cette option peut convaincre le judo français, et notamment des entraîneurs, des responsables de club et des athlètes, il lui sera aussi rappelé, ainsi qu’à ceux qui ont pris cette décision, que c’est sous sa responsabilité que la France a connu l’un de ses plus mémorables échecs, en 2004 à Athènes. Stéphane Traineau était l’homme qui devait redresser la situation à l’époque et n’y était pas parvenu, et même loin de là. Est-ce la qualification requise pour être le pompier en chef en 2017 ? L’homme providentiel ? Et puis si, en bientôt quinze ans, Stéphane Traineau a pris de l’étoffe et a sans aucun doute mûri, et notamment par cet échec, il s’est aussi éloigné de l’équipe de France de judo et du haut niveau.
C’est donc une nouvelle collaboration pour le moins inattendue qui vient d’être officialisée, qui porte peut-être une part de stratégie au moment où David Douillet, proche de Stéphane Traineau, se permet, à l’issue des derniers mondiaux à Budapest, d’exprimer quelques critiques qui ne sont pas passées inaperçues. Un choix en tout cas qui donne une immense responsabilité à l’intéressé. Un défi d’exception, mais aussi un piège potentiel qui pourrait se refermer sur l’ancien -100kg, lequel devra d’entrée de jeu faire preuve d’ouverture pour recréer une dynamique générale, lui qui avait laissé une image plutôt autoritaire, et porterait très vite le poids des échecs éventuels. Or il arrive juste au moment de la montée des périls, quant il y a le feu à la maison haut niveau, alors que Tokyo 2020 arrive comme un boulet de canon, que Paris 2024 doit se préparer dès hier. Un challenge « monstre », néanmoins passionnant à relever, excitant à suivre, pour un homme qui doit faire rapidement la preuve qu’il a digéré l’expérience du passé pour se projeter, nous projeter, vers l’avenir.
La FFJudo a officialisé ton arrivée en tant que directeur des équipes de France il y a quelques heures. Dans quel état d’esprit prends-tu ces nouvelles fonctions ?
J’arrive avec beaucoup d’enthousiasme. Ma passion pour le judo a été toujours forte durant ces quinze ans où je n’avais plus de responsabilités au niveau fédéral. Jean-Luc (Rougé) m’a appelé, nous avons beaucoup échangé sur la situation, sur ce qu’il attendait, sur ce que je pouvais apporter. Je prends ces nouvelles responsabilités avec beaucoup de plaisir et l’envie d’aider le judo français à être performant à Tokyo, en 2020.
Les JO, c’est dans trois ans seulement, le judo français vit une crise, il sera aussi beaucoup attendu à Paris en 2024… Est-on déjà dans l’urgence ?
Oui, nous sommes attendus. Moi non plus, je n’ai pas de baguette magique (En référence à des propos de Nicolas Hulot concernant Emmanuel Macron fin septembre, NDLR). Je suis là pour apporter de la sérénité. J’ai beaucoup discuté ces dernières semaines, avec beaucoup de monde, des gens comme David (Douillet), Cécile (Nowak)… Nous avons tous en nous cette passion du judo, du judo français qui gagne. Je suis là pour ça. Je connais les gens en place, mais pas forcément tous sur le plan professionnel. Le temps d’analyse, d’échange dans les quatre à six semaines qui viennent va être très important pour comprendre. Je sais que Tokyo va arriver très vite, mais on ne peut pas faire l’économie de ce temps d’observation.
Que souhaites-tu apporter à ces équipes de France ?
De l’envie, de la passion, de la clarté, de la transparence, de la simplicité aussi. Je sais que la performance, c’est beaucoup de travail, de l’engagement à tous les étages. C’est aussi le résultat d’un projet. Je vais travailler avec les gens en place, je vais écouter ce que me dit Arnaud (Perrier) qui est un ami, nous allons partager nos constats, et je vais me faire mon idée. Je n’arrive pas avec un schéma préétabli, ce serait prétentieux. Ma mission, c’est de répondre à des questions : comment accompagner l’équipe de France et comment les rendre tous les plus performants possibles.
Tu t’es présenté contre Jean-Luc Rougé en 2012, tu as aussi été en procès avec la fédération. Cela n’est-il pas incompatible avec cette prise de fonction ?
Je ne suis pas le même Stéphane Traineau qu’il y a quinze ans. J’ai fait mon parcours, connu d’autres expériences professionnelles. J’ai fait des rencontres enrichissantes, j’aime profondément le judo et, comme en compétition, je pouvais bastonner avec un adversaire et aller boire une bière avec lui le soir. Je serai d’ailleurs, c’est important, en relation directe avec le président. C’est à lui que je devrai rendre des comptes. Ma candidature à la présidence de la fédération en 2012, c’était le signe de mon engagement, de mon envie de participer à un changement. Là, c’est une autre manière, mais ça va dans le même sens. Pour moi, le judo compte plus que tout. Je suis resté très proche du milieu du judo depuis quinze ans, mais j’étais à l’extérieur. Désormais, j’ai la responsabilité de faire de l’intérieur.