Kanta Nakano pose devant ses trophées sur le tatami du Nippon Budokan. 
Crédit photo : e-Judo

« Il a été le plus stable (sic) ce lundi. » Alors que Kanta Nakano se plie au protocole du vainqueur, les réactions à chaud des judokas japonais présents dans un Nippon Budokan à moitié rempli nous parviennent via l’application de messagerie Line, la plus populaire au Japon. Et le constat est unanime : Kanta Nakano, vingt-trois ans, 1m83 et cent-vingt kilos, aura été, aux yeux de beaucoup, le plus convaincant. En finale, il bat Hisayoshi Harasawa aux drapeaux, deux décisions à une. Un succès, le premier de sa jeune carrière, que le combattant de l’entreprise Asahi Kasei reçut avec flegme et self-control.
Pas si étonnant quand on connaît son background : Kanta Nakano est un Tenri Boy pur jus. Passé par le lycée de la célèbre ville de la préfecture de Nara, il rejoint ensuite le club de l’université, dont il sera le capitaine lors de sa quatrième année. Un leader tranquille, extrêmement judo, qui put parfois agacé par sa nonchalance mais au palmarès scolaire et universitaire brillant. Il fut, en effet, vainqueur de l’épreuve par équipes lors du championnat lycéen 2018 — une année où il battit Tatsuru Saito — et le capitaine victorieux lors de la victoire, historique, de Tenri lors du championnat universitaire par équipes de poids en octobre 2022, face à Tokai. Un gaucher qui aime les ashi-waza (sasae-tsuri-komi-ashi ou tani-otoshi) et qui, pour sa première sortie hors Japon, gagna le tournoi de Visé en janvier 2023. Cette année, il signe deux médailles de bronze, au Grand Prix du Portugal et au Grand Chelem de Paris, ce qui lui vaut d’être sélectionné pour l’épreuve par équipes des championnats du monde mi-mai à Abou Dhabi.

Un Zen Nihon de très belle facture puisqu’il ne manquait que Tatsuru Saito : Hyuga Ôta, Kokoro Kageura, Takeshi Ojitani, Ryunosuke Haga ou Hisayoshi Harasawa étaient bien présents et décidés à aller chercher un nouveau titre. Haga, champion du monde 2015 et médaillé olympique 2016 en -100kg, est battu en huitième aux drapeaux, alors que Kanta Nakano arrachait Kazuya Maeda dans un surpuissant utsuri-goshi.
En demi-finale, le duel entre Nakano et Ojitani, quatre fois vainqueur de l’épreuve, accouchait d’un tani-otoshi tout en action/réaction du premier. Harasawa, vice champion olympique à Rio et cinquième à Tokyo en 2021 (à chaque fois battu par Riner) plaçait la même technique à Kaito Green, vingt-deux ans et cinquième au Portugal en janvier chez les -100kg, dans l’autre demi-finale.
En finale, le duel entre le gaucher Nakano et le droitier Harasawa tourne à l’avantage du premier, plus frais, plus vif et qui se montera le plus actif avec ses mouvements de jambes. Rien n’est marqué durant les huit minutes de cette finale pour un combat rythmé et agréable à suivre.

Un événement, qui, une semaine après le Kogo Hai, appliquait également les règles d’arbitrage décidées par la fédération japonaise (AJJF) fin janvier : cinq minutes de combat (huit pour la finale), quatre pénalités, remise en place du yuko, suppression du golden score et retour au hantei (décision aux drapeaux). Pour quel bilan ? Spectateur, comme d’ailleurs beaucoup d’autres judokas français présents actuellement au Japon, Rodolphe Cerisier, responsable de la formation BEJEPS et DEJEPS au sein des Pays de la Loire, nous livre son analyse. « D’abord, je trouve que la victoire de Nakano est méritée. Il a beaucoup attaqué toute la journée, et même si Harasawa met le plus gros kinza en finale, c’est lui qui aura cherché à faire tomber le plus. Sur l’arbitrage, ensuite : le premier gros point positif est qu’il nous a évité les golden score à rallonge, souvent assez pénibles et soporifiques, où la plupart du temps les compétiteurs cherchent à faire pénaliser une troisième fois leur adversaire. Avec les cinq minutes, les quatre shidos et la décision, toute la stratégie consistant à aller chercher la victoire aux pénalités tombe à l’eau, car la quatrième pénalité ne tombait jamais. C’est simple, il n’y a eu aucun hansokumake de la journée ! Il valait donc mieux attaquer pour être sûr de l’emporter aux drapeaux. L’attitude et les kinza comptaient plus dans la décision que les shidos. En effet, il y a eu un combat où un judoka qui avait été pénalisé plus que son adversaire a tout de même été désigné vainqueur. » Si certaines décisions aux drapeaux ont tout de même fait tiquer quelques spectateurs nippons – le combat entre Yusei Ogawa, 140kg, et Yujiro Sato,  81kg notamment – ce retour à l’ancienne règle possède une autre vertu, et pas des moindres : elle redonne la chance au plus léger de pouvoir battre le plus lourd, ce que la règle golden score empêchait presque mécaniquement, comme le rappelait Shozo Fujii.
En attendant le bilan de la fédération japonaise sur cette « nouveauté » arbitrale, les amateurs nippons semblaient eux aussi plutôt convaincus. Une initiative qui met au premier plan le questionnement récurrent de toute une partie du judo mondial sur le chemin choisi par l’arbitrage international depuis au moins deux olympiades. Un questionnement qui prend, avec cette initiative du pays fondateur de notre discipline, d’un coup une épaisseur à la fois plus symbolique et concrète. La France s’y essaie également. Reste à voir si d’autres pays suivront et sous quelles forme. La question de la règle, cruciale dans l’image qu’un sport se donne de lui-même, sera l’un des grands enjeux de l’après JO de Paris.

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