Avec deux représentants en phases finales dans les deux catégories du jour, la France pouvait rêver d’un bon départ sur ces étranges championnats du monde en forme d’antichambre – ou de cul-de-sac – juste avant les Jeux. Mais ni Shirine Boukli (-48kg), ni Walide Khyar (-60kg), lequel s’était pourtant hissé à la force du mental en demi-finale, ne sont sur le podium à la fin de la journée. Deux occasions manquées d’alimenter un palmarès, et sur le plan collectif, de mettre l’équipe dans le bon sens. Parce qu’une médaille mondiale reste une médaille mondiale, même dans un championnat au rabais, et parce que les premières appellent les suivantes.
Elles sont allées, comme les titres, aux plus concentrés, aux plus volontaires. La Russie commence fort avec un titre en super-léger, une spécialité, et le Japon, qui sombre chez les garçons, se place déjà en leader avec ses féminines qui ramènent une médaille d’or et une d’argent pour une seule catégorie.

Le numéro de Yago

Le Russe Yago Abuladze, 23 ans, 9e mondial, finaliste du tournoi de Paris 2020 et vainqueur du Grand Chelem de reprise à Budapest, médaillé d’argent et de bronze aux championnats d’Europe 2020 et 2021, a immédiatement montré ce qu’il était venu chercher. Vainqueur d’entrée du second engagé français Romaric Bouda, il montait en puissance toute la journée, en particulier grâce à son renversement en ne-waza simple, mais imparable. Dominant d’un waza-ari le Bulgare Gerchev qui l’avait battu au dernier championnat d’Europe, il expédiait en demi-finale l’outsider venu du Kazakhstan Magzhan Shamshadin (65e mondial !) et surclassait en finale, sans lui laisser aucun espoir, le vainqueur de Walid Khyar, le n°2 du Kazakhstan, Gusman Kyrgyzbayev, qui avait montré lui aussi beaucoup d’envie et de concentration pour prendre sa chance. Dans un championnat privé rapidement des deux Japonais sélectionnés, dont le n°1 mondial Ruyju Nagayama, vainqueur désigné et pourtant battu par Keramat Huseynov, 24e mondial, mais aussi des leaders russe (Robert Mshvidobadze, n°2 mondial), Kazakhstanais (Yeldos Smetov, n° 4 mondial), Ouzbek (Sharaffudin Lutfillaev n°5 mondial), coréen (Kim Won Jin, n°7 mondial), géorgien (Lukhumi Chkhvimiani, n°8 mondial)… l’occasion était trop belle pour les suivants — le Russe n°9 et le Kazakhstanais n°11 — mais aussi l’Espagnol Garrigos, n°6 mondial, futur troisième, battu en quart de finale par Magzhan Shamshadin.
En parfait outsider, Walide Khyar, 17e mondial, fut longtemps lui aussi sur ce registre, mais sa volonté était un peu plus forte que son judo aujourd’hui. Mené deux fois, il sortait des fins de combat acharnées pour reprendre son destin en main, et profiter de la sortie de piste du n°1 mondial de son quart de tableau, mais ce ne sera finalement pas suffisant.

Il pourra, bien sûr, se souvenir longtemps de cette finale qui lui échappe par la décision de la table, revenant sur la troisième pénalité donnée à son adversaire. Mais si c’était bien lui le plus actif, son rival paraissait le plus dangereux avec les mains posées… et c’est Kyrgyzbayev qui ramassa la dernière mise d’un arraché rageur. Walide tomba encore une fois en place de trois contre l’Espagnol Garrigos, très serein contre lui avec son sens parfait du déplacement, une fois de trop pour un podium.

Des émotions fortes et un constat cruel : le Français était le cinquième mieux classé de tous les combattants présents. Nagayama éliminé, les trois autres combattants qui le précèdent sont sur le podium. Il restait encore une médaille à prendre, elle va à Karamat Huseynov (24e), auteur de l’exploit du jour contre Nagayama… et pourtant battu par Khyar. Rageant.

La leçon du premier jour est d’ores et déjà claire : entre les absents et les « présents-absents », ces championnats du monde – ce sera variable selon les jours – peuvent se prendre d’assaut comme un vulgaire Grand Prix pour peu qu’on sache vraiment ce qu’on fait là.

Deux outsiders japonaises

C’est peut-être un peu ce qui a manqué aujourd’hui à la Française Shirine Boukli (-48kg), venue à la fois pour une médaille mondiale, mais sans prendre le risque de se pénaliser pour les Jeux, et avec l’idée d’entrer dans les huit têtes de série pour Tokyo. Trop de paramètres en tête… Pour ce dernier objectif il fallait faire au moins cinquième pour prendre la place de la Russe Dolgova, la Française finit septième, dominée par deux « top 8 », l’Espagnole Julia Figueroa (n°6) sur une attaque arrière très bien venue et dans un beau combat, et, encore sur l’arrière par la n°4 mondiale, la Mongole Urantsetseg Munkhbat, qui en profitait pour récolter sa quatrième médaille mondiale.
Si la Française ne passe pas aujourd’hui le mur des « top 10 » encore devant elles, il est allègrement franchi par… les deux Japonaises du jour. Une sélection nippone un peu baroque composée de Natsumi Tsunoda, 28 ans, vice championne du monde en -52kg en 2017 et 41e mondiale, et de Wakana Koga, 19 ans et 23e mondiale, victorieuse en 2019 du championnat du monde juniors devant Shirine Boukli en finale. Les deux combattantes passaient facilement à travers les plus fortes, la Kosovare Krasniqi notamment pour Tsunoda, la Mongole Munkhbat pour Koga, l’une et l’autre avec un ne-waza formidable (juji-gatame pour la première, okuri-eri-jime pour la seconde), et une très forte technique debout, un tomoe-nage en deux temps pour l’aînée, un excellent o-soto-gari pour la plus jeune. En finale, comme il se doit, c’est la plus âgée avec son fort tomoe-nage qui prenait le dessus, mais on reverra sans aucun doute cette Wakana Koga, très à l’aise malgré son tout jeune âge.
C’est un joli titre pour Tsunoda qui courait après depuis très longtemps selon les critères japonais, et parvient à se forger un beau palmarès dans le contexte ultra-concurrentiel du Japon en particulier et des légères en général.

La Russie semble montrer ce dimanche que malgré son dossard sibyllin « RJF » (ce qui veut dire en fait « Fédération Russe de Judo), elle a bien préparé ses hommes à l’événement et qu’elle sera prétendante jusqu’au bout. Quant au Japon, il est en tête comme d’habitude, mais le signal donné par les deux combattants masculins est proche de l’alarme. Demain, Joshiro Maruyama (-66kg) montrera ce qu’il en est vraiment. Quant à la France, elle sait que tout est possible cette semaine pour ceux qui sont là. Il n’y a plus qu’à.

La réaction de Shirine Boukli, septième en -48kg

La réaction de Walide Khyar, cinquième en -60kg

Retrouvez les résultats complets ci-dessous :
https://lespritdujudo.com/championnats-du-monde-seniors-2021/