Gros coup sur la tête pour les Français ce matin au réveil. L’idole avait été renversée à l’aube, le grand Teddy Riner avait perdu.
Même si on avait envie de se dire l’inverse, même si son volontarisme faisait largement illusion et rendait optimisme, les premiers combats du Français avaient laissé une impression mitigée : une présence consistante, mais on ne retrouvait pas tout à fait le tranchant, la précision du meilleur Riner. Le patron était là, mais l’ombre d’un doute aussi.
Malgré tout, il n’aurait pas dû tomber dans le chausse-trappe russe, ce choix fait là-bas, non seulement de l’un des deux exceptionnels poids lourds de cette jeune génération, Bashaev ou Tasoev, mais aussi celui des deux qui avaient le plus de chance de trouver le trou de souris pour « passer en dessous » et faire vaciller le colosse. Comme lors de leur dernière rencontre, au Masters en janvier dernier, le Français parvenait d’ailleurs à capter sa manche droite et à monter sa main forte. Il prenait même de l’avance aux pénalités et il était à deux doigts de lui faire mettre un genou au sol, synonyme probable de troisième pénalité. Mais alors qu’en janvier, tout en mobilité et en anticipation, il parvenait par deux fois à contrer debout, bien droit, par uchi-mata et ko-soto-gari, cette fois Riner privilégiait les sutemis, allant lui-même chercher le sol pour projeter… avec une prise de risque qui allait lui exploser au visage. Alors que le golden score commence, le Russe Bashaev se lance à genoux, une action anticipée par le Français, mais au lieu de le châtier debout comme à Doha, il cherchait le sutemi…  Il part vers le sol, rate sa saisie sur la veste, se retrouve prisonnier de son propre déséquilibre. Le Russe est dans sa cohérence « avant-arrière » et pousse dans la direction de la chute. Une erreur. Une toute petite erreur… Mais c’est le principe de la chute en judo. D’un côté le bon choix, de l’autre la mauvaise décision, le geste un peu moins précis. Il est possible que ce combat refait dix fois aurait neuf fois donné le résultat inverse. Mais on ne refait pas les combats olympiques.

La bonne surprise de cette journée un peu triste pour les fans du grand Teddy, c’est de le voir revenu avec la « positive attitude » sur le tapis. C’est la force d’un champion de cette envergure d’être capable en quelques minutes de prendre ses pertes et d’assumer immédiatement la suite. Un quart d’heure après cet échec majeur, le double champion olympique avait tourné la page et se montrait prêt à faire face à une phase finale escarpée, notamment face au rival japonais. C’était un Teddy Riner transformé, presque rajeuni, qui martyrisait Harasawa, lequel n’était que l’ombre du combattant du début de journée. Une capacité à rebondir qui manifestait incidemment autre chose : les difficultés de la matinée pour Riner était moins dû à son manque de judo lié à sa blessure au genou – une raison que son staff n’utilisait pas en prétexte — que, sans doute, la tension spécifique des Jeux. Teddy Riner avait craint de ne pas pouvoir le faire, et il assumait cette médaille de bronze de bon cœur, non pas comme la preuve d’un échec, mais comme celle d’une réussite. Bien sûr il n’est pas triple champion olympique ce soir, mais il est tout de même sur son quatrième podium olympique, treize ans après le premier, avec deux titres à son actif. Ça aussi, c’est unique chez les garçons.
Et si les Jeux avaient eu lieu l’année dernière, les auraient-ils gagnés ? Il n’y a pas de réponse à cette question.

Un albatros plane sur les Jeux

On fait souvent l’analyse technico-tactique ou la comparaison des conditions physiques, mais quand on en arrive à une événement de cette intensité, ce qui ressort c’est la force de concentration sans faille des vainqueurs. Que cela se goupille bien ou non sur le plan technique, ce qui fait la différence – et on le voit depuis le début de ce tournoi très intense – c’est la capacité des meilleurs à ne faire aucune erreur.
Teddy Riner en fit une devant Bashaev, lequel se désorganisa devant Tushishvili. Le Tchèque Krpalek était bien devant Harasawa, moins bien devant Tushishvili… mais dans les deux cas il fit en sorte que l’adversaire fasse la faute avant lui. Ce sera le grand mérite de ce champion tchèque qui entre dans la grande histoire du judo avec un doublé olympique 2016 (en -100kg) et 2021 (en +100kg).

Hisayoshi Harasawa ruminera sans doute longtemps son humiliation en revanche. Il était prêt, mais sans doute pas assez fort mentalement – lui qui n’a jamais réussi à devenir champion du monde comme l’était déjà tous les médaillés d’or de cette équipe japonaise – pour une compétition de ce niveau. Et si le Japon avait engagé Kokoro Kageura, champion du monde en juin, dans cette catégorie ?
Quoiqu’il en soit, avec les cinq titres masculins, neuf titres pour l’ensemble de l’équipe – record olympique battu — que la nation hôte ramène finalement grâce à une dernière levée féminine pour la petite Akira Sone, la mission est clairement accomplie ! Le résultat global de cette équipe nippone valorise aussi la réussite d’un système, et celle d’un homme, Kosei Inoue, qui n’a sans doute pas fini de pousser le judo japonais vers les sommets.
Honneur aussi aux féminines japonaises, emmenées par Katsuyuki Masuchi, qui terminent en trombe avec trois médailles d’or dans les trois dernières catégories !
Exactement ce dont aurait rêvé l’encadrement français pour Pinot, Malonga et Dicko, en plus de l’or attendu de Riner. Mais si les trois premiers jours avaient été plein de bonnes surprises, les quatre suivants ne suivirent pas tout à fait sur le même registre. Sur ce dernier jour, mémorable il y a cinq ans à Rio avec les deux titres le même jour, la compétition arrive peut-être un peu tard pour le poids lourds français et un peu tôt pour la jeune Dicko. C’est la démonstration, aussi, qu’un tournoi olympique se prépare comme une fenêtre de tir. Réussite encore parfaite du judo japonais sur ce plan, puisqu’il réussit ses neuf médailles d’or olympiques avec ses neuf champions du monde, rampe de lancement parfaitement activés sur les années précédentes. Une leçon à retenir. Romane Dicko ? Une jeune fille de vingt-et-un ans qui vient d’obtenir sa première médaille olympique. Pas si mal, même si il y a pour elle un petit pincement de déception à ne pas s’élever à la hauteur de l’or, ni même à celui de la finale qu’on entrevoyait pour elle — et le duel des « jeunes » contre la Japonaise Akira Sone. Elle pourra se dire dans les prochains jours que les Jeux de Paris, chez elle, sont déjà marqués dans l’agenda et qu’elle aura vingt-quatre ans en 2024. Celle qui n’y sera pas ? La très formidable quadruple médaillée cubaine Idalys Ortiz, qui la renvoie cette fois encore à sa jeunesse pour rejoindre sa troisième finale olympique de suite. Romane Dicko n’a déjà pratiquement plus de rivale au niveau mondial. Son époque ne fait que commencer.

Il sera temps de faire les comptes et les « debriefs » dans les semaines à venir, mais on peut constater que le judo français, plein d’espoir après les trois titres mondiaux féminins de 2019, réussis d’excellents Jeux pour le nombre de médaillés – sept c’est même le meilleur score, à égalité avec Barcelone 1992 et Londres 2012 —mais reste un peu frustré dans l’avion du retour par ces médailles d’or qui se sont refusées. Il aurait fallu simplement celle de Teddy Riner pour que nous fassions notre second meilleur résultat historique après les fameux trois titres d’Atlanta en 1996. C’était aussi l’année où l’équipe féminine pouvait aller chercher les deux titres, comme on le lui prédisait. Il faut le reconnaître, la puissance de feu des Japonaises… et la disqualification de la nouvelle venue Sarah-Léonie Cysique (il faudra s’en souvenir), ne l’ont pas permis. Les Françaises à Tokyo en 2019 avaient passé le mur japonais. Elles n’y sont pas parvenues en 2021 comme l’atteste cette incroyable accumulation de quatre finales, dont trois perdues. Encore une leçon à tirer pour engager le travail. Paris, c’est juste dans trois ans.